Les années club (2ème partie)

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Où l'on apprend que les Grands Anciens sont célibataires

Fréquenter un club de jeu de rôles pour la première fois, c'était aussi intimidant que faire semblant de s'être trompé de porte pour pénétrer dans les vestiaires pour filles à la piscine municipale. Le lieu en lui même n'avait rien de spectaculaire : c'était une simple Maison des Associations avec des salles de réunion plutôt sordides. Incarner Gruntar le Barbare en beuglant des imprécations contre Zarkar le Nécromant alors que dans la pièce d'à côté se tenait l'assemblée générale du club de philatélie, ce n'était pas toujours facile.

Non, ce qui frappait quand on se présentait pour la première fois dans ce cercle d'initiés, c'était l'imposante aura de mystères qui entourraient ceux que l'on nommait du bout des lèvres "les Grands Anciens" (les fondateurs du club). Encore imperméables au champ lexical de Lovecraft, nous ignorions l'origine de ce surnom, mais une chose était certaine : ces vieux (le doyen avait 20 ans) avaient l'air cool. Ils connaissaient de grands auteurs de la littérature (Vance, Zelazny, Moorcock...) que nos professeurs de français n'avaient jamais ne serait-ce qu'évoqués. Ils parlaient fort et dans un language cryptique fait de sigles abscons ("Avec ce TAC0 de merde, pas moyen de faire de l'XP en combat, même sur des créatures avec peu de dés de vie. Vivement que le DM me file un Wish ou que je puisse faire des fireballs at will.") Ils nous intimidaient, mais un détail nous rassurait : eux aussi ne parlaient jamais de gonzesses.

Pour augmenter leur mystérieuse réputation, ils refusaient de se faire appeler Bernard comme tout le monde. Non, eux ils possédaient des surnoms qui les rendaient encore plus énigmatiques : Stat, Ambre, DM, Rubicon... Ce n'est que des années plus tard, en apprenant les origines de ces surnoms, que le mythe s'effrita : Stat devait son surnom a une insupportable habitude de calculer sur sa machine à calculer scientifique les probabilités de réussite de chaque jet de dés qu'il faisait. Ambre était évidemment un fan de la saga de Zelazny, mais c'était finalement les seules livres qu'il avait lus dans sa vie, d'où des sujets de discussion un peu limités. DM se nommait en fait Damien Matoir et ses initiales le condamnaient invariablement à faire le MJ tous les samedis soirs. Quand à Rubicon, plus on le connaissait et plus le côté Con l'emportait sur le côté Rubi.

Pour aider à l'intégration des petits jeunes que nous étions, nous avons eu l'honneur de créer des personnages niveau 1 à D&D afin d'accompagner les personnages niveau 15 qu'ils incarnaient depuis que nous étions à l'école primaire. Notre groupe de pignoufs newbies servit d'appât pour attirer un dragon que les Grands Anciens massacrèrent avec moult rires gras tandis que nous découvrions que 1 dé de vie, ça fait pas beaucoup. DM, nous prenant en pitié et sous son aile, sauva la vie de nos personnages avec notre tout premier deus ex machina rôlistique ("Mais tout ceci n'était qu'un rêve, vous vous réveillez à l'auberge") et nous fit dès lors jouer régulièrement une campagne de son cru. Nous avions passé avec succès l'épreuve d'initiation du club et désormais, nous avions soif de devenir un jour prochain des Grands Anciens pour à notre tour se faire appeler Random ou Satanas et profiter de la naïveté des merdeux du club.

Commentaires

  1. Ah, ça recoupe aussi pas mal de mes souvenirs. Moi, mes années club, je les ai passées au Théâtre Bompard, à Marseille, et le nom du club ne s'invente pas : Les Princes Hyper-Bourrés. Si la référence à Conan est sympa, il a pas été facile de convaincre mes parents que fréquenter ces gens-là était sans risque. Je ne sais pas, d'ailleurs, comment ils ont fait pour persuader la boulangère de les laisser coller sur sa porte l'affiche qui m'avait fait venir à eux. Pour atteindre la salle de jeu, il fallait passer derrière la scène où des assos de théâtre répétaient, pour arriver dans une salle meublée de tables et de chaises dépareillées. Mes premières séances furent d'abord des séances de création de personnage. Je devais y passer l'après-midi pour pouvoir rejoindre le groupe la semaine suivante, mais chaque fois le jeu était décommandé et remplacé par un autre.

    En guise de dépucelage, j'ai eu droit à une création de personange pour Légendes Celtiques (pas la version "Premières", s'il vous plait : non, le 4 pages où l'on doit calculer sa distance de saut en longueur, avec barda et sans barda, face au vent et dos au vent). Après, ce fut un jeu de super-héros maison où il fallait surtout dessiner son costume, à partir duquel le MJ déterminait la personnalité et les pouvoirs. Heureusement que la partie n'a jamais eu lieu, avec le dessin que j'avais fait j'aurais sûrement incarné GruyèreMan, l'homme en fromage fondu. Après, il y a un Investigateur - que j'ai eu la joie de faire vivre 2h de jeu, avant sa mort horrible. Puis un clerc humain qui m'a servi à faire des Cure Light au reste du groupe le temps de faire mes classes à AD&D (1 an, quand même), le seul jeu qui restait programmé d'une semaine à l'autre, les autres étant trop souvent victimes de l'enthousiasme cyclothymique du reste des MJ putatifs).

    Tout a changé quand le président du club, Sigfried, a découvert les filles. Il était le seul à avoir la clé, et venait de plus en plus tard pour repartir de plus en plus tôt. Finalement, nous avons ouvert un autre club aux 5 Avenues, les Kobolds Hyper-Furieux (me semble-t-il). Mais ce n'était déjà plus tout à fait pareil, il n'y avait plus que deux tables, on variait les jeux, les MJ préparaient les scénarios, les joueurs s'investissaient dans le rôle et l'histoire. Il y avait des boulets, quand même, et tous les scénarios n'étaient pas réussis, mais cela n'avait plus rien à voir avec les délires approximatifs des années précédentes...

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  2. Anonyme14/12/06

    C'est savoureux comme souvenirs.

    Pour les noms de club, c'est une maladie qui touchait toutes les régions de France. À Chambéry, j'ai connu un excellent club qui s'appelait "Les Nouveaux Saigneurs". Le genre de nom d'association qui t'aide bien à demander une subvention à Monsieur le Maire.

    Faudrait que tu écrives tes années club à toi, tu as visiblement de la matière.

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  3. J'ai pas mal de souvenirs, en effet, mais un billet "mes années club à moi " ferait double emploi avec le tien. Mes anecdotes sont très bien comme cela, en contrepoint des tiennes. :)

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