Millénium


J'ai tardé à lire la trilogie Millénium.
D'une part le succès unanime de ces bouquins les rendait particulièrement louches à mes yeux, d'autre part, je pensais que le titre de la saga (Millénium) faisait référence à une inspirition new-age et que les romans allaient mélanger polar et fantastique genre le-retour-des-évangiles-interdits-du-testament-secret-de-Galilée.
Bien évidemment, je me trompais lourdement.

Or donc, comment vous parler de ces trois livres sans dévoiler l'intrigue ? Disons que Millénium débute comme un roman classique : quelque part en Suède, un vieux et riche homme d'affaires à la retraite demande à Mikael Blomkvist, un journaliste, de raconter l'histoire de sa famille. Mais la biographie est un prétexte : le véritable but de la recherche est d'élucider une disparition qui s'est déroulée il y a plus de 30 ans sur une île. Le journaliste se met donc à fouiller dans les placards des membres de cette famille puissante et curieuse pour y trouver quelques remarquables squelettes.

Raconté comme ça, le premier tome de Millénium est aussi bandant que du cassoulet en conserve servi froid avec un verre de bière très chaude. Le talent de l'auteur Stieg Larsson est de complexifier l'affaire en racontant aussi la vie de Millénium, le journal dans lequel le journaliste travaille habituellement. Millénium est une sorte de Canard Enchaîné suédois (sans l'humour), un mensuel d'investigation économique qui dénonce. Et quand l'action débute, le journal est handicapé par un scandale puisque son journaliste vedette (Mikael Blomkvist) est condamné pour diffamation par un important homme d'affaires. Dès lors, non seulement le lecteur est entraîné par l'enquête sur la disparition, mais en plus il est très intrigué par les raisons qui ont amené Blomkvist à accepter sa condamnation sans se défendre.

Autre grande idée de Larsson : ses personnages. Le récit est construit essentiellement sur deux protagonistes : Mikael Blomkvist le journaliste qui plait aux femmes et Lisbeth Salander, une gotho-geek de 24 ans complètement azimutée qui trimbale un lourd passif. On est loin du cliché du polar avec un flic divorcé dépressif qui veut se racheter en trouvant le coupable d'un meurtre sordide. Ces deux personnages hauts en couleurs ont des secrets, une vie bien remplie et un grand réalisme dans la description. Impossible de rester insensible à Lisbeth, qui incarne l'anti-James-Bond-girl à merveille.

L'intrigue en elle-même n'est pas transcendante : pour tout dire, j'ai connu des polars plus marquants du point de vue de l'enquête. On est loin de la noirceur indélébile d'Ellroy, c'est certain, mais Larsson sait raconter une histoire et prendre le temps de développer les ramifications d'une enquête. Le réalisme avec lequel il décrit le monde journalistique n'est pas le fruit du hasard : avant de devenir un auteur acclamé, c'était un journaliste travaillant très fort contre le fascisme, le nazisme et le racisme en général (et, détail rigolo pour les gens comme nous, il a également été président d'une grosse association scandinave de SF). Du coup son Mikael Bromkvist prend vie avec facilité.

Le décor suédois est étrange. Certes, les noms sont écrits dans un drôle d'alphabet qui fait ressembler plusieurs personnages à des meubles Ikea, mais je n'ai pas été dépaysé par ce décor. L'histoire pourrait se passer en Allemagne ou en Italie sans bouleverser le récit. Je n'ai pas trouvé de parfum particulièrement suédois. Ah si : un long passage se déroulant lors d'un procès montre une justice suédoise où tout le monde se tutoie et où la confrontation des preuves se fait à la bonne franquette. Aucune objection de la partie adverse, le juge n'intervient pas, les preuves sont amenées à la dernière minute, et vas-y que je fais témoigner qui je veux... Je ne connais pas le degré de réalité de cette scène, mais la justice suédoise telle qu'elle est présentée est... légère.

Bref, on termine le premier volume en se disant "C'est excellent, mais que va-t-il pouvoir raconter dans la suite ?" Et là, on se rend compte que Stief Larsson est fort.


Au lieu de refaire ce qu'il a fait dans le premier volume, l'auteur va fouiller dans le passé de ses personnages. Tout ce qui était allusif dans le portrait de Lisbeth Salander dans le premier volume va trouver une explication. Et au lieu de resté centré sur deux personnages principaux, Larsson intègre d'autres personnages à son histoire, pour briser le rythme. Des flics débarquent, les points de vue change, les personnages ont chacun leur agenda. Ça enfle, ça devient énorme, on avale de nouveau 650 pages sans s'en rendre compte et PAF, le bouquin ne se termine pas réellement. On se rend compte qu'il est obligatoire de lire le troisième et dernier ouvrage pour avoir le fin mot de l'histoire. Et là encore, Larsson rajoute de la complexité en augmentant le nombre de personnages : ce n'est plus seulement l'enquête d'un journaliste, c'est une sorte de mille-feuille avec des motards, des hackers, la police, des enquêteurs privés, la vie interne de Millénium, le changement de rédacteur en chef d'un autre pilier du journalisme suédois, des hommes politiques, le monde judiciaire... Bref, en commençant tranquillement avec une histoire assez intimiste sur une disparition sur une île, Stieg Larsson élargit progressivement l'angle d'attaque en laissant le temps au lecteur de glisser dans un complot à l'échelle d'un pays en 2 000 pages.


Des défauts ? Oui, il y en a. Pas mal de répétition, car la multiplicité des points de vue entraîne beaucoup de redites. Je trouve également que Larsson a une vision très romantique des hackers.. Le piratage des systèmes informatiques est un brin simpliste à mon goût. Je trouve également que ses méchants sont un poil caricaturaux par moment : les riches sont systématiquement mauvais, les seconds couteaux sont racistes et bêtes quand ils ne sont pas des pervers sexuels. Le personnage de Mikael Blomkvist est aussi agaçant de perfection : journaliste intègre et droit, il plait aux femmes, n'abandonne jamais... On frise le Mary-Sue. Je ne connais pas la part d'autobiographie de Larsson dans ce personnage, mais c'est par moment abusif. Autre point pénible : la traduction est assez bancale. Je ne parle pas le Suédois, mais certaines tournures dans la traduction française sont faibles ou même erronnées (je ne suis pas le seul à m'en plaindre). J'imagine que les traducteurs ont travaillé dans l'urgence, mais ça ne pardonne pas tout.

Pour finir, Stief Larsson a un gros défaut : il est mort d'une crise cardiaque. Quelque part, ça nous épargne une suite à rallonge, mais c'est bien dommage car il était doué pour raconter la vie sociale suédoise et ses histoires sordides. Évidemment, un film est déjà prêt à débarquer dans tous les cinémas du monde et une série télé de 6 épisodes va elle aussi raconter la même histoire. Il ne manque plus que la BD et le jeu de plateau.

Donc, si vous devez lire un polar nordique avec du journalisme dedans et des lesbiennes satanistes sadomasochistes, c'est Millénium qu'il vous faut. Surtout si vous avez aimé le Wallander de Kenneth Branagh comme moi.

Millénium, de Stieg Larsson
Tome 1 : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes
Tome 2 : La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette
Tome 3 : La Reine dans le palais des courants d'air

Commentaires

  1. Anonyme13/3/09

    "Et là, on se rencontre que Stief Larsson est fort". Ca alors, je ne m'en étais jamais rencontré ! :)

    Et le critique du nouvel obs est un gros c*****. Dans tout ce qu'il note, je n'ai remarqué qu'une traduction bizarre (la première : "pleine de réussite") avant de laisser tomber l'article. Tout le reste, c'est du pinaillage sans intérêt.

    RépondreSupprimer
  2. Merci Cédric pour le billet. Je me demandais si ça valait le coup de céder à la pression populaire, ou si c'était un nouveau phénomène Da Vinci Code. Il me fallait un cobaye, et tu as joué le rôle que ma femme a tenu pour le DVC. :)

    J'ai vu par ailleurs qu'il y avait une réponse des traducteurs, mais bon on va pas orienter le débat sur la trad et de toutes façons les commentaires du nouvel obs sont ouverts.

    RépondreSupprimer
  3. L'avantage, c'est que le premier roman se suffit à lui-même. Il a une vraie fin. Du coup, au pire, tu peux lire le premier volume. Si tu n'accroches pas plus que ça, tu auras quand même une histoire complète.

    Je voulais presque proposer aux lecteurs du blog de donner un titre de livre qu'ils n'osent pas acheter et le lire à leur place pour en faire un billet "explorateur".

    RépondreSupprimer
  4. Anonyme16/3/09

    Qu'est ce que l'ambiance totalitaire soft de la social-démocratie suèdoise a pu me gonfler...
    Désolé !

    Pour plus de détails : http://quoideneufsurmapile.blogspot.com/2007/10/une-enqutitude.html

    RépondreSupprimer
  5. Anonyme16/3/09

    J'ai eu la chance de lire ces livres avant qu'il ne soient très populaire et je dois dire que j'ai beaucoup aimé.
    Cela faisait longtemps que je n'avais plus été happé par des romans de cette manière.
    Je rejoins Cédric sur le côté parfois peu réaliste du monde des hackers mais cela n'enlève pas grand chose à la qualité globale de la trilogie.

    Des films tirés des livres sont en cours de tournage, avec des acteurs suédois. J'espère que cela sera bien; c'est à dire pas trop proche du rythme du roman mais suffisamment fidèle pour retrouver la patte de Stieg Larsson.

    RépondreSupprimer
  6. Gromovar, c'est assez paradoxal, mais je suis pratiquement d'accord avec tous les points que tu exposes dans ta critique (sauf que je ne vois pas ce que Ségolène vient faire là dedans, mais je comprends ta méfiance envers le modèle nordique), et pourtant, je maintiens mon affection pour cette trilogie.

    RépondreSupprimer
  7. Anonyme17/3/09

    A l'époque où j'ai lu le livre nous étions en pleine campagne et Ségo n'avait que les pays nordiques à la bouche. De plus son passage au ministère de l'enseignement scolaire dans le gouvernement Jospin m'a laissé le souvenir d'un contrôle permanent et très normatif malgré le perpétuel sourire.

    RépondreSupprimer
  8. La seule erreur d'Orwell est là. Ce n'est pas Big Brother qui nous surveillera. Il y a bien longtemps que les pubards ont compris qu'au niveau communication il vaut mieux un visage féminin.

    Big Sister te surveille, citoyen.
    L'ignorance, c'est la force.
    La guerre, c'est la paix.
    La liberté, c'est l'esclavage.

    RépondreSupprimer
  9. Merci pour la précision, Gromovar.
    En tant qu'expatrié, j'ai eu une vision très limitée de la campagne, je n'avais pas remarqué la fixation de Ségo sur le modèle nordique.

    La politique québécoise (et dans une moindre mesure, canadienne) est désormais mon pain quotidien, j'ai juste quelques échos de la politique française quand je regarde le JT de France 2 sur TV5 ou qu'un article du Monde attire mon attention...

    RépondreSupprimer
  10. Anonyme17/3/09

    Bonjour, et oui le syndrome Millenium a encore frappé un lecteur. Personnellement, je les ai lus dès la parution de chacun et j'ai trouvé le temps long entre le 1er et le 2ème. Je confirme que le premier se suffit à lui même et que le troisième ne peut se lire sans le troisième tome (et inversement). Lisbeth est une sacrée nana. Chapeau Mr Larsson.

    RépondreSupprimer
  11. Pour ma part, encore une série dont je voyais l'engouement un peu partout et qui m'a dissuadé de m'y mettre. Maintenant, avec un peu plus de recul, je lis 2/3 critiques qui me donnent envie finalement de m'y mettre. Si je le trouve chez un bouquiniste, je me lancerais. Mais pas au prix fort par contre. XD

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire