Lost


Or donc, Jack traversait pour la 743ème fois ce morceau de jungle qui séparait la plage de l'un des multiples bunkers secrets de l'Initiative Dharma.
Il était perdu. Pas géographiquement, mais plutôt factuellement.
Pourquoi courrait-il cette fois ? Était-ce parce qu'il était poursuivi par un ours polaire ? Fuyait-il le mystérieux nuage arracheur d'arbres ? Il ne se souvenait plus.
Il tenta de se souvenir de la dernière conversation qu'il avait eu, un peu plus tôt, sur la plage. C'était avec Sawyer. Enfin, pas réellement. Ce n'était pas le Sawyer de maintenant, mais le Sawyer du futur qui lui avait parlé d'une bombe atomique du passé, d'une serre disparue dans l'avenir proche, des Autres qui étaient maintenant des Notres, de Aaron (son neveu, mais il l'ignorait), de John Locke qui était encore plus mystérieux qu'un fortune cookie mal traduit... Tout était si confus dans sa tête.
Et puis il y avait son père, le médecin alcoolique. Les gens de la mission de secours aussi, même si en fait ils n'étaient pas là pour les aider. Et puis le fantôme dans la cabane, oui, peut être...
Il était fatigué. Il s'arrêta de courrir sans but pour reprendre son souffle en s'appuyant sur le premier arbre venu.
La soudaine vacuité de toute cette histoire le frappa telle la giffle implacable d'une mère qui vous punit d'avoir enfermé le chat dans la machine à laver alors qu'elle en était à la phase remplissage.
Tout ce ramdam n'était pas réel. C'était une mauvaise saison de Dallas qui serait plus tard oubliée en prétextant que ce n'était qu'un rêve.
Non, son cerveau devait réarranger des éléments au hasard, comme s'il défragmentait son disque dur mental. L'ours polaire était en fait une peluche qu'il avait vue dans une boutique avant de monter dans l'avion. Kate n'était autre qu'une hotesse de l'air qui lui avait fait un clin d'oeil quand il était monté à bord et qui avait ensuite touché les fesses d'un stewart mal rasé sur l'uniforme duquel on lisait le nom Sawyer. Le bruit métallique du nuage mystérieux (sans doute le panache de fumée des réacteurs) venait des moteurs de l'avion. Le coup de la demi-soeur cachée était un grotesque appel du pied de son inconscient pour compenser vaguement la solitude de son enfance de fils unique. Les Autres, c'était ces gros richards de la classe affaire, tandis que lui était coincé en classe économique avec un couple de coréens et un mec chauve qui lui racontait sa vie depuis le décollage. Jack avait enchaîné les mignonettes de whisky avec la régularité d'un métronome atomique.
Adossé à son arbre, le souffle retrouvé, Jack sut que cette histoire d'île perdue n'était qu'un bad tripp en plein vol commercial vers des vacances trop longtemps repoussées. Alors, histoire de se réveiller une bonne fois pour toute et de sortir de ce fantasme, il prit en main le pistolet que Sayid lui avait prêté (le fameux Sayid étant probablement la photo d'un kamikaze irakien dont Jack avait vu le visage dans un LA Times qui trainait sur son siège) et se le pointa sur la tempe droite.
Dans quelques instants, tout ce merdier allait prendre fin, d'une façon ou d'une autre.

Avis de Cédric
Vous l'aurez compris à travers ce petit texte, j'annonce officiellement que j'ai renoncé depuis plusieurs épisodes à Lost. J'ai trippé comme un malade au début, chaque couche de mystères m'amusait, je me régalais des retournements de situation et des révélations, je trouvais le format et le scénario très bandant. Je cherchais les indices, je faisais des théories débiles, j'essayais de lire entre les lignes...
Et puis un jour, je me suis vu étalé sur mon sofa en train de regarder une bande de gugusses courrir dans la jungle. Et je n'avais aucune, mais alors aucune curiosité pour la destinée de ces gens. Je les regardais s'agiter par habitude. C'était comme se forcer à regarder la seconde mi-temps d'un très mauvais match uniquement parce que j'avais vu les 45 premières minutes.
Je ne sais pas si les scénaristes bottent en avant continuellement (on remarquera la finesse avec laquelle je file la métaphore sportive) ou s'ils ont une véritable explication finale qui donne du sens à tout. Je m'en moque.
Lost était une excellente série qui a été victime de son succès. En voulant à tout prix allonger indéfiniment les prolongations (oui, toujours la même métaphore subtile), ils ont noyé mon enthousiasme dans un torrent de suspense artificiel. Les producteurs de
Battlestar Galactica n'ont pas rajouté 4 saisons quand la série s'est mise à fonctionner, ils ont gardé leur histoire serrée pour mettre un point final élégant.
Quand mes enfants retomberont sur la 17ème rediffusion de
Lost et qu'ils se moqueront de notre chère télévision actuelle ("Comment faisiez-vous pour regarder 40 minutes de course d'orientation dans la jungle chaque semaine ? Vous n'aviez pas le net à l'époque ?") l'amour-propre en prendra un coup.


Avis de Munin
On a beau jeu de critiquer Lost, mais quelle série représente le mieux la désorientation née de l'angoisse existentielle face aux incertitudes de l'existence ? Les disparus de Lost courent en tout sens dans la jungle, en se croisant les uns les autres de façon impromptue ? Certains épisodes sont frénétiques, d'autres d'une contemplativité qui aurait été zen si elle avait été intentionnelle ? Des éléments du passé disparaissent ou apparaissent sans lien véritable avec l'actualité ? Tous les personnages sont loin d'être aussi attachants les uns que les autres ? Oui, tout cela est vrai. Mais quelle différence avec nos vies ? A moins de faire appel aux services d'un scénariste qui se charge de planifier les moindres détails de votre vie en fonction des principes de l'art dramatique (ce qui serait vite usant : le cliffhanger de fin de journée, c'est mauvais pour le stress), notre quotidien n'est pas très différent de celui de l'île : nous ne ressentons pas la même sympathie pour l'ensemble des personnes de notre entourage (je ne sais pas pour vous, mais moi je fais une nette distinction entre ma femme et mon patron), nos journées peuvent être intenses ou assomantes, etc. Et c'est là que réside le génie de la série : arriver à nous faire comprendre que même transportés sur une île tropicale peuplée de gens beaux et athlétiques, qui propose des agréments comme des voyages dans le temps, des bunkers remplis de bières et de chips, ou des parties de chasse à l'ours, nous ressentirions la même lassitude, la même routine que dans notre vie quotidienne. Quelque part, c'est rassurant : ça revalorise notre existence que de se dire en regardant les disparus de Lost "hé ben, mieux vaut eux que moi". Loin de favoriser le processus d'identification aux héros, les personnages de Lost produisent un phénomène de rejet qui a la saine conséquence de nous pousser à éteindre la télé. Bravo aux auteurs de la série, qui ont choisi de faire de Lost, plutôt qu'une bonne série parmi tant d'autres, une source d'inspiration pour les détournements et les parodies sur Internet.

Commentaires

  1. Je continue à aimer, même si je dois être la dernière. Bon quelque chose me dit que la fin n'est pas du tout prévue et qu'elle risque d'être bien foireuse comme savent le faire les séries qui s'éternisent.
    C'est marrant quand Mumin parle "d'un scénariste qui se charge de planifier les moindres détails de votre vie en fonction des principes de l'art dramatique", je pense à la série Firefly que je viens de voir. J'ai trouvé que le créateur faisait tellement d'effort pour rendre tout le monde sympa même le traître et beauf de service que ça en devenait trop lisse pour être honnête.

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  2. J'ai abandonné Lost il y a maintenant déjà bien longtemps. Ce n'est pas la première fois que ressent la même chose que Cédric en regardant une série ou en lisant un cycle d'heroic fantasy. Tout d'un coup on se rend compte que le charme n'opère plus.

    On se dit que le scénariste (ou l'écrivain) ne sait pas comment cela va se terminer et que l'éditeur lui a commandé vingts nouveaux épisodes.

    J'aurais préféré que Lost se termine après 2 ou trois saisons avec une conclusion intéressante mais qui peut laisser des questions en suspensions. Et pourquoi pas, faire une seconde série liée à Lost mais avec d'autres personnages, dans d'autres lieux et avec une autre atmosphère.

    Et puis, quand je faisais du scoutisme, j'en avais vite marre des courses d'orientations en forêt.

    Oui bon, OK, on avait pas les ours blancs..

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  3. J'ai eu une relation en dents de scie avec Lost : j'ai beaucoup aimé la 1e saison tant qu'elle restait rigoureuse dans son utilisation des flashbacks et son exploration systématique des personnages. Et puis ils trouvent la trappe, et le début de l'inaction commence, si je puis dire. J'ai ronflé devant une bonne partie de la 2nde saison, malgré un début sympa (les autres rescapés) et une fin qui laissait espérer beaucoup. La 3e commençait mal, mais la 2nde moitié m'a beaucoup plu. La 4e était assez serrée, pas trop mal, mais ça commençait à devenir le gros foutoir ingérable question scénario. Et c'est autour du corps de la 5e que nous sommes aujourd'hui rassemblés, afin de rendre un dernier hommage aux heures que nous avons perdues à regarder cette série qui n'a pas eu les moyens de ses ambitions. Ite, missa est.

    :)

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  4. Je pense que c'est en systématisant les flashbacks puis les flashforwards (comme disent les chinois) que l'action a été trop diluée. Peut être qu'en ne regardant que les épisodes du "présent" on obtient un rythme plus soutenu.

    Boucler l'histoire principale correctement en 3 saisons puis faire une suite ("Ils reviennent sur l'île...") et un saison "avant le crash" aurait certes été moins révolutionnaire mais aurait eu l'avantage de ne pas nous donner l'impression qu'on retarde au maximum le final.

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  5. @ Isil : pas vu Firefly, juste Serenity, mais Cédric a pondu un billet sur les deux si tu veux voir ce qu'il en dit.

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  6. Jamais regardé un épisode entier, juste aperçu 5 minutes sur deux trois épisodes par hasard mais vos textes sont amusants... :)

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