C'est Pierre Desproges qui disait :
Il y a deux sortes d'Italiens : les Italiens du nord qui vivent au nord et les Italiens du sud qui meurent au sud.
Gomorra, c'est l'anti-Sopranos, le contrepied du Parrain, de Scarface et des Affranchis. Il n'y a ni honneur ni morale dans cette mafia. C'est au contraire la guerre perpétuelle entre des arrivistes qui se sautent à la gorge au moindre signe de faiblesse. Des gens que la misère pousse à bout, y compris à nier la valeur d'une vie humaine. Des petits caïds qui rêvent de tutoyer des mannequins, des adolescents avec pour seul horizon la came, le braquage et la prison. Pas d'échappatoire, ou si peu.
Roberto Saviano décrit un système poussé dans ses derniers retranchements. La camorra, c'est la libre entreprise extrême, le libéralisme le plus sauvage qui soit. Les fusions/acquisitions se font à coup d'AK47 dans les rues de Naples. Les parrains ne sont ni plus ni moins que des entrepreneurs qui délocalisent en Chine et appliquent toutes la logique néolibérale pour rogner sur les frais et augmenter les bénéfices. Les petits soldats sont payés à coup de lance-pierre, transportant des montagnes de dope pour des salaires de misère, quand ils sont payés. Et pour conquérir de nouveaux marchés, il faut les arracher aux mains des concurrents qui lorgnent depuis toujours sur le voisin dans l'espoir de voir une ouverture dans la défense adverse.
Cette Naples là, c'est le tiers-monde au cœur de l'Europe, une vaste machine à broyer les enfants pour en faire des hommes qui accepteront tous les sacrifices pour rêver de quelques miettes de pouvoir. Ce sont aussi des jeunes filles condamnées à épouser des mafieux pour ne pas à avoir à travailler au noir dans des usines sordides, en s'usant les mains sur des machines à coudre qui tissent la soi-disante mode italienne à grande rafale de misère. Tout passe par Naples, le port des trafics : drogue, tissus, contrefaçons, technologies, armement, main d'oeuvre... C'est le point névralgique de l'économie européenne, celle dont on nie l'existence quand on parle de CAC40 et de croissance.
C'est vrai que c'est loin, Naples. C'est presque une autre planète. Mais les intérêts de la camorra s'éparpillent de partout dans le monde. En bon investisseurs, plus fortiches que des gestionnaires de fonds de pension, les camorristes mondialisent comme des bêtes. Ils étaient déjà là quand l'URSS s'est effondré pour se tailler la part du lion dans l'arsenal militaire qui se bradait. Ils sont présents en Chine. Les grandes villes du monde ont des magasins chics qui vendent du luxe pour une poignée de parrains qui vendent de l'image de marque fabriquée par des sans-papiers. Un atavisme étrange qui poursuit les italiens même à l'étranger : la petite Italie de Montréal n'échappe pas à sa tradition, avec son clan sicilien, ses neufs cafés incendiés en un mois, le financement occulte des parties politiques par des entreprises de construction...
Dans une Italie berlusconienne, dénoncer la mafia semble aussi utile que de pisser dans un violon. Et pourtant, Roberto Saviano monte au barricade en racontant la camorra qui pollue son coin de pays. Avec le fantôme du juge Falcone en arrière-plan, on sait que ça risque de mal se terminer pour ce journaliste qui dissèque cette gangrène. Il doit se cacher, composer avec des gardes du corps, comme s'il vivait dans la Russie de Poutine. Des compatriotes comme Umberto Eco ont beau le soutenir, c'est le pot de fer contre le pot de terre. Parce que c'est enraciné dans les mentalités, c'est devenu un état de fait qu'on tolère d'autant plus facilement que l'on est pas éclaboussé par cette merde.
Elle est insupportable, cette indifférence morne face au meurtre. Pour une fois, c'est pas la faute aux jeux vidéos, ni celle du black metal. Non, c'est une nation qui a baissé les bras, de guerre lasse. Le monstre a gagné.
En plus du livre, Gomorra c'est également un film qui fait penser à la misère de La Cité de Dieu, la samba et Everybody was kung-fu fighting en moins. L'accent change, le bidon-ville est remplacé par du béton pourri, mais derrière ça c'est la même jeunesse qui se fourvoie dans le crime et la violence et qui bazarde son avenir, faute de mieux. Et comble de l'ironie, certains acteurs du film ont été arrêtés parce qu'ils étaient membres de la camorra. C'est comme si James Gandolfini travaillait réellement pour la mafia du New Jersey.
Si je fais des grandes phrases et que je semble découvrir tout à coup la dureté de la vie, c'est qu'une partie de mon patrimoine génétique vient de ce pays. Pas de Naples, non, plutôt du nord. Des bribes de souvenirs familiales, je crois me souvenir que la famille possède une usine de parpaings. Ouais, ça tutoie le monde de Gomorra, quelque part. En lisant le livre de Roberto Saviano, je me dis que si la Mama n'avait pas traversé les Alpes quand Benito faisait des siennes, qui sait quelle vie m'aurait tendu les bras...
Roberto Saviano décrit un système poussé dans ses derniers retranchements. La camorra, c'est la libre entreprise extrême, le libéralisme le plus sauvage qui soit. Les fusions/acquisitions se font à coup d'AK47 dans les rues de Naples. Les parrains ne sont ni plus ni moins que des entrepreneurs qui délocalisent en Chine et appliquent toutes la logique néolibérale pour rogner sur les frais et augmenter les bénéfices. Les petits soldats sont payés à coup de lance-pierre, transportant des montagnes de dope pour des salaires de misère, quand ils sont payés. Et pour conquérir de nouveaux marchés, il faut les arracher aux mains des concurrents qui lorgnent depuis toujours sur le voisin dans l'espoir de voir une ouverture dans la défense adverse.
Cette Naples là, c'est le tiers-monde au cœur de l'Europe, une vaste machine à broyer les enfants pour en faire des hommes qui accepteront tous les sacrifices pour rêver de quelques miettes de pouvoir. Ce sont aussi des jeunes filles condamnées à épouser des mafieux pour ne pas à avoir à travailler au noir dans des usines sordides, en s'usant les mains sur des machines à coudre qui tissent la soi-disante mode italienne à grande rafale de misère. Tout passe par Naples, le port des trafics : drogue, tissus, contrefaçons, technologies, armement, main d'oeuvre... C'est le point névralgique de l'économie européenne, celle dont on nie l'existence quand on parle de CAC40 et de croissance.
C'est vrai que c'est loin, Naples. C'est presque une autre planète. Mais les intérêts de la camorra s'éparpillent de partout dans le monde. En bon investisseurs, plus fortiches que des gestionnaires de fonds de pension, les camorristes mondialisent comme des bêtes. Ils étaient déjà là quand l'URSS s'est effondré pour se tailler la part du lion dans l'arsenal militaire qui se bradait. Ils sont présents en Chine. Les grandes villes du monde ont des magasins chics qui vendent du luxe pour une poignée de parrains qui vendent de l'image de marque fabriquée par des sans-papiers. Un atavisme étrange qui poursuit les italiens même à l'étranger : la petite Italie de Montréal n'échappe pas à sa tradition, avec son clan sicilien, ses neufs cafés incendiés en un mois, le financement occulte des parties politiques par des entreprises de construction...
Dans une Italie berlusconienne, dénoncer la mafia semble aussi utile que de pisser dans un violon. Et pourtant, Roberto Saviano monte au barricade en racontant la camorra qui pollue son coin de pays. Avec le fantôme du juge Falcone en arrière-plan, on sait que ça risque de mal se terminer pour ce journaliste qui dissèque cette gangrène. Il doit se cacher, composer avec des gardes du corps, comme s'il vivait dans la Russie de Poutine. Des compatriotes comme Umberto Eco ont beau le soutenir, c'est le pot de fer contre le pot de terre. Parce que c'est enraciné dans les mentalités, c'est devenu un état de fait qu'on tolère d'autant plus facilement que l'on est pas éclaboussé par cette merde.
Elle est insupportable, cette indifférence morne face au meurtre. Pour une fois, c'est pas la faute aux jeux vidéos, ni celle du black metal. Non, c'est une nation qui a baissé les bras, de guerre lasse. Le monstre a gagné.
En plus du livre, Gomorra c'est également un film qui fait penser à la misère de La Cité de Dieu, la samba et Everybody was kung-fu fighting en moins. L'accent change, le bidon-ville est remplacé par du béton pourri, mais derrière ça c'est la même jeunesse qui se fourvoie dans le crime et la violence et qui bazarde son avenir, faute de mieux. Et comble de l'ironie, certains acteurs du film ont été arrêtés parce qu'ils étaient membres de la camorra. C'est comme si James Gandolfini travaillait réellement pour la mafia du New Jersey.
Si je fais des grandes phrases et que je semble découvrir tout à coup la dureté de la vie, c'est qu'une partie de mon patrimoine génétique vient de ce pays. Pas de Naples, non, plutôt du nord. Des bribes de souvenirs familiales, je crois me souvenir que la famille possède une usine de parpaings. Ouais, ça tutoie le monde de Gomorra, quelque part. En lisant le livre de Roberto Saviano, je me dis que si la Mama n'avait pas traversé les Alpes quand Benito faisait des siennes, qui sait quelle vie m'aurait tendu les bras...
Laurent Kloetzer en parle très bien.
Ah oui, de la SF et de la fantasy.
Promis, j'y reviens.
Ah Naples... toutes mes dernières vacances ! Merci, Cedric, de m'avoir fait me sentir l'espace d'un billet de blog comme un intrépide explorateur :-)
RépondreSupprimer