Le Chevalier inexistant


Ma première expérience avec Le Chevalier inexistant a été sous la forme d'une pièce de théâtre complètement folle dans laquelle les acteurs portaient en guise de heaume des passoires en métal sur lesquelles étaient soudés des guidons de vélo pour en simuler le cimier. C'était génial.

Au temps de Charlemagne, vivent les paladins. Pas ceux qui font des impositions des mains et qui sont équipés d'une épée vorpale, non, ce sont des paladins imposants qui accompagnent l'empereur à la guerre pour ne pas à avoir à supporter leurs femmes à la maison. Or tandis que Charlemagne passe en revue ses troupes, il croise le plus inflexible de ses paladins, qui répond au doux nom d'Agilulfe Edme Bertrandinet des Guildivernes et autres de Carpentras et Syra. Ce brave chevalier a une particularité de taille : il n'existe pas. Son armure est vide, même si elle bouge et qu'une voix sort de son heaume. Et c'est le plus pénible des chevaliers, car il est bourré de valeurs chevaleresques et de vertus inflexibles.

À ce personnage central s'ajoutent d'autres intervenants :
- Gourdoulou (aussi appelé Martinzoust ou encore Martinbon, Bertinzoust, Pestanzoust, Jean Piffre ou Pierre Pignoche), le fou qui sert d'écuyer à Agilulfe.
- Bradamante, la belle femme chevalier qui s'est tapée toute la chevalerie franque mais qui cherche le chevalier ultime qui saura la rendre captive d'amour.
- Raimbaut, un jeune bachelier qui ne désire qu'une chose : venger son père qui a été occis par un infâme mahométan.

Le tout prend la forme d'une courte fable burlesque (170 pages) racontée par une mystérieuse nonne qui narre comment tous ces personnages servent dans l'armée de Charlemagne et qui vont devoir partir en quête pour justifier le titre de chevalier d'Agilulfe. En effet, ce dernier a été adoubé après avoir sauvé une vierge des griffes d'une bande de gredins. Or des révélations surprenantes tendent à prouver que la belle n'était plus vraiment pure au moment des faits. S'ensuivent quiproquos, rencontres mystérieuses, voyages aventureux et moult rebondissements, le tout raconté par une nomme pas très catholique qui passe plus de temps à parler d'elle qu'à être fidèle au récit. En invité surprise, nous avons même droit aux chevaliers du graal.

Italo Calvino se moque donc là des romans médiévaux en décrivant une armée de balourds. Un triangle amoureux sert de moteur à l'histoire qui est l'occasion de toucher à de multiples clichés médiévaux : la pureté des vierges, la réclusion des nonnes, le sauvetage d'une veuve en danger... C'est délicieux de cynisme tant Calvino s'amuse à dénaturer les valeurs de l'époque. On se dit bien évidemment que Calvino n'a rien inventé, que c'est une sorte de Sacré Graal à l'italienne. Et puis l'on regarde la date de parution de l'ouvrage : 1959. Ouach.

Et qu'apprends-je ? Le Chevalier inexistant n'est en fait que le 3ème tome d'une trilogie ? Aaaargh. À moi Le Vicomte pourfendu et Le Baron perché. S'ils sont aussi amorales et drôles que le dernier volume, c'est un délice assuré.

Commentaires

  1. Calvino est un très grand... Mais contrairement à GRR Martin, il ne se répète jamais. Les deux autres de la trilogie, s'ils ont des titres aussi beaux, sont très différents.
    Un petit coup de coeur pour le "Vicomte Pourfendu", lu grâce à "Je bouquine" (ça ne nous rajeunit pas)

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  2. Wouahhhh...

    Agilulfe Edme Bertrandinet des "Guildivernes"

    Petite critique dans un but constructif :

    - Les gens à l'époque, même les plus hauts nobles, ne portent pas de nom et n'ont pas 3 prénoms, mais un seul;

    - Autre anomalie, il n'existe pas non plus alors de titres comme vicomte ou barons ...
    Il faudra bien des siècles avant qu'on y arrive et on n'utilise sous Charlemagne que ceux de comes (comte) et de duc (chef) pour les plus puissants de leurs seigneurs, titre biensûr non encore transmissible ...

    - donc exit aussi les titres de propriété comme "des Guildivernes".

    L'auteur, qui semble ici pêcher par manque flagrant d'infos sur l'époque, devrait pouvoir aisément vérifier l'authenticité de tout cela et gagnera en vérité, même si c'est pour un ouvrage littéraire.

    J'espère qu'il ne prendra pas ombrage de mes remarques ; ayant 3 décennies et demi d'expérience de ces époques, j'apprécie biensûr quelqu'un qui écrit dessus, ne pouvant que transmettre ce goût d'un passé hélas bien révolu. Amitiés. AGdH

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  3. Anonyme2/12/09

    Merci Cédric pour ce billet : moi, je ne connaissais que les deux premiers (lus il y a plus de vingt ans...). Je vais me jeter sur celui-là !
    Turiya

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  4. Caine2/12/09

    @ AGdH : l'auteur ne risque pas d'en prendre ombrage étant donné qu'il est mort en 1985...

    En revanche, je pense que vous n'avez pas bien saisi le concept de "fable burlesque" : ce livre est un texte humoristique qui n'a que faire de réalisme historique. Le but n'est pas là.
    Mais si visiblement vous êtes calés en histoire médiévale, vous ne l'êtes visiblement beaucoup moins en littérature...
    Comme on dit : la culture c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l'étale.

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  5. Ouuuuh dis donc, je n'ai jamais qu'un livre de Italo Calvino (un recueil de nouvelles) à mon actif et mon navrant manque de curiosité m'a visiblement fait rater des perles.

    Je suis particulièrement intéressé par Le Vicomte pourfendu (voire le Baron...) pour mon propre projet de jeu de rôles (Terra Incognita) que je suis en train de boucler ces jours-ci. Je vais vite comblet ce manque : merci encore les Hu-Mu (quel rythme en ce moment !).

    Pour le commentaire de AGdH, je vote pour une blague, non ? NON ??

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  6. @ AGdH, il y a effectivement méprise, Italo Calvino n'a pas écrit un récit historique mais une fable se moquant des récits médiévaux. Quand on a pour personnage central une armure vide, la nomenclature patronymique de la noblesse est accessoire.

    @ les autres, en cliquant sur le nom de AGdH dans le message, on débarque sur un site de patronymes polyphylétiques. Évidemment, ça ne sent pas le bleu de chauffe et la casquette Ricard, mais de là à le pendre avec les tripes du dernier curé, il y a de la marge.

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  7. Je suis tombé dans la marmitte oulipienne il y a fort longtemps, et la trilogie Nos Ancêtres de Calvino continue de secouer mes entrailles d'un fou rire à peine contenu. Le Vicomte pourfendu est l'histoire d'un nobliaux qui se voit tranché en deux par un coup de canon malencontreux, ses deux moitiés continuant de vivre indépendamment l'une de l'autre. Le Baron perché, est lui moins drôle, plus long, et tout aussi intéressant quoi que dans un registre différent. Un jeune fils de noblesse décide suite à une dispute avec son père de grimper dans les arbres de la forêt et de ne plus jamais en descendre... Et puis il y a tous les autres romans et recueils de contes de Italo Calvino. Ils sont souvent assez secoués. Et j'ai presque tout aimé.

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  8. Les Paladins on des épées "Holy Avenger" et pas des "Vorpales", lol .... :)

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  9. Excellent souvenir que mes lectures d'Italo Calvino si "Le Vicomte Pourfendu" n'avait pas répondu à mes attentes très élevées, "Marcovaldo ou les saisons en ville" s'est révélé une de mes meilleures lectures scolaires.
    Va falloir que j'y revienne...

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  10. Excellent souvenir pour moi et pour toute la trilogie.

    Donner des leçons de littérature à un grand auteur mort, c'est presque sublime à mon avis. Pour rendre service à AGdH qui a l'air d'aimer le premier degré, il peut aussi s'en prendre à Tolkien et son "Fermier Gil de Ham", qui ose aussi utiliser des noms à rallonge dans un texte un peu parodique et vaguement médiéval :-)

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