Il y a bien longtemps, j'expédiai d'une critique courte et cinglante le tome 1 de la trilogie de Joe Abercrombie, la Première Loi, et Cédric en remettait une couche après moi. Après deux ans de sevrage quasi-total en Fantasy, il me fallait ma dose, et je n'avais sous la main que la suite. Je me suis donc embarqué dedans, en me disant qu'au pire, cette lecture permettrait le come-back de Bob. Après tout, il y a pire que les écrivaillons de Fantasy : il y a les écrivaillons de Fantasy qui crachent dans la soupe qu'ils essaient de nous vendre.
A ma grande surprise, une fois entamé le 2e tome et après avoir refait connaissance avec les personnages (seuls l'inquisiteur infirme et le barbare prudent m'avaient laissé quelque souvenir), j'ai été incapable de reposer les livres, et je me suis enfilé d'une traite les deux tomes.
A quoi est dû ce revirement ? Certainement pas à l'histoire, qui ne s'améliore pas. Au contraire, elle perd même en intérêt. Le monde aussi, d'ailleurs. Mais ira-t-on reprocher à une pièce de théâtre la mauvaise qualité des effets spéciaux numériques ? Abercrombie renonce à nous faire croire que son histoire est intéressante, et se focalise entièrement sur la seule chose intéressante à ses yeux (et aux miens), à savoir les personnages. Chaque chapitre met en scène de façon magistrale une crise, un dilemme, ou une tension, en changeant à chaque fois de point de vue. Pour se focaliser sur ce qui l'intéresse uniquement, Abercrombie use à bon escient d'un art de l'ellipse qui aurait grandement bénéficié au premier tome, qui pêche par manque d'ambition et d'audace.
Les personnages, un peu trop construits comme des contre-clichés dans le premier tome, acquièrent une véritable humanité, à en devenir, chose rare en Fantasy, touchants. Les doutes du barbare, la carapace de hargne de l'esclave, les peurs secrètes du nobliau, ne sont plus des attributs secondaires destinés à une caractérisation facile, mais de véritables faiblesses qui sont mises en scène par les péripéties du roman. L'humour noir et le cynisme facile de certains dialogues deviennent, chez l'inquisiteur, une véritable amertume.
Certes, à trop vouloir prendre le contre-pied des clichés de la Fantasy, l'auteur en devient parfois prévisible, mais même en sachant que rien ne se passera comme les prémices peuvent le laisser penser, il parvient à nous surprendre par son refus des concessions et des facilités. Enfin, il s'en permet quelques unes, mais il faut bien construire un peu de tension dramatique, n'est-ce pas ? Et la notion de "sauvetage de première minute" n'y aiderait pas beaucoup.
A bien des égards, cette Première Loi est à la Fantasy épique (le genre où un groupe se constitue sous l'égide d'un vieux magicien pour aller trouver un moyen de sauver le monde de la menace de Maaaal) ce que les films de Sergio Leone sont au western : une oeuvre crépusculaire qui joue avec les codes du genre pour les déconstruire, et qui pousse jusqu'au bout sa dissection de la violence - en refusant toute ésthétisation. Les combats sont des successions de faux-pas, de tâtonnements, de coups donnés en aveugle, de blessures vicieuses, on crève de trouille et on se pisse dessus.
Là où la Fantasy s'intéresse uniquement à la quête du pouvoir (le Trône de Fer, les Princes d'Ambre, et tant d'autres), Abercrombie regarde ce que ses personnages en font, et, surtout, son influence sur les relations. Le trekking du groupe du magicien à travers le monde ne propose aucun événement particulier, ou presque, et refuse tout climax. Pourtant, on est fasciné par les timides tentatives de ces individus marginalisés (par leur laideur, par leur violence, par leur beauté, par leur puissance) pour tisser entre eux un semblant d'amitié et de confiance. Les plus beaux moments de cette série se trouvent dans les lendemains de bataille, moments que la plupart des oeuvres de Fantasy esquivent : quand les survivants, couverts de blessures, hésitent entre la joie d'être encore en vie et la tristesse de la mort de leus compagnons; quand ces soudards durs à cuire s'ouvrent, et exhibent leurs doutes et leurs cicatrices. J'ai lu dans cette série la moins romantique, la plus crue et la plus émouvante des scènes de sexe que j'ai trouvée en Fantasy, et d'autres scènes tout aussi surprenantes et marquantes.
Qui plus est, le talent de dialoguiste de l'auteur s'affirme (surtout, essayez de lire le livre en VO, les personnages parlent comme dans un film de Ken Loach, ce que la traduction a considérablement affadi - du moins dans mon souvenir), et le 3e tome révèle toute l'efficacité de la construction de la trilogie.
Oeuvre parfaite ? Non, loin de là, il y a encore des scories, quelques longueurs, trop de magie pour de la Fantasy "gritty" et pas assez pour de la Fantasy "épique", tous les personnages ne sont pas aussi réussis les uns que les autres. Mais elle révèle un écrivain d'un très grand talent, et, puisqu'il semblerait que son goût pour les trilogies lui ait passé, je vais continuer avec grand plaisir à lire tout ce qu'il produira.
A ma grande surprise, une fois entamé le 2e tome et après avoir refait connaissance avec les personnages (seuls l'inquisiteur infirme et le barbare prudent m'avaient laissé quelque souvenir), j'ai été incapable de reposer les livres, et je me suis enfilé d'une traite les deux tomes.
A quoi est dû ce revirement ? Certainement pas à l'histoire, qui ne s'améliore pas. Au contraire, elle perd même en intérêt. Le monde aussi, d'ailleurs. Mais ira-t-on reprocher à une pièce de théâtre la mauvaise qualité des effets spéciaux numériques ? Abercrombie renonce à nous faire croire que son histoire est intéressante, et se focalise entièrement sur la seule chose intéressante à ses yeux (et aux miens), à savoir les personnages. Chaque chapitre met en scène de façon magistrale une crise, un dilemme, ou une tension, en changeant à chaque fois de point de vue. Pour se focaliser sur ce qui l'intéresse uniquement, Abercrombie use à bon escient d'un art de l'ellipse qui aurait grandement bénéficié au premier tome, qui pêche par manque d'ambition et d'audace.
Les personnages, un peu trop construits comme des contre-clichés dans le premier tome, acquièrent une véritable humanité, à en devenir, chose rare en Fantasy, touchants. Les doutes du barbare, la carapace de hargne de l'esclave, les peurs secrètes du nobliau, ne sont plus des attributs secondaires destinés à une caractérisation facile, mais de véritables faiblesses qui sont mises en scène par les péripéties du roman. L'humour noir et le cynisme facile de certains dialogues deviennent, chez l'inquisiteur, une véritable amertume.
Certes, à trop vouloir prendre le contre-pied des clichés de la Fantasy, l'auteur en devient parfois prévisible, mais même en sachant que rien ne se passera comme les prémices peuvent le laisser penser, il parvient à nous surprendre par son refus des concessions et des facilités. Enfin, il s'en permet quelques unes, mais il faut bien construire un peu de tension dramatique, n'est-ce pas ? Et la notion de "sauvetage de première minute" n'y aiderait pas beaucoup.
A bien des égards, cette Première Loi est à la Fantasy épique (le genre où un groupe se constitue sous l'égide d'un vieux magicien pour aller trouver un moyen de sauver le monde de la menace de Maaaal) ce que les films de Sergio Leone sont au western : une oeuvre crépusculaire qui joue avec les codes du genre pour les déconstruire, et qui pousse jusqu'au bout sa dissection de la violence - en refusant toute ésthétisation. Les combats sont des successions de faux-pas, de tâtonnements, de coups donnés en aveugle, de blessures vicieuses, on crève de trouille et on se pisse dessus.
Là où la Fantasy s'intéresse uniquement à la quête du pouvoir (le Trône de Fer, les Princes d'Ambre, et tant d'autres), Abercrombie regarde ce que ses personnages en font, et, surtout, son influence sur les relations. Le trekking du groupe du magicien à travers le monde ne propose aucun événement particulier, ou presque, et refuse tout climax. Pourtant, on est fasciné par les timides tentatives de ces individus marginalisés (par leur laideur, par leur violence, par leur beauté, par leur puissance) pour tisser entre eux un semblant d'amitié et de confiance. Les plus beaux moments de cette série se trouvent dans les lendemains de bataille, moments que la plupart des oeuvres de Fantasy esquivent : quand les survivants, couverts de blessures, hésitent entre la joie d'être encore en vie et la tristesse de la mort de leus compagnons; quand ces soudards durs à cuire s'ouvrent, et exhibent leurs doutes et leurs cicatrices. J'ai lu dans cette série la moins romantique, la plus crue et la plus émouvante des scènes de sexe que j'ai trouvée en Fantasy, et d'autres scènes tout aussi surprenantes et marquantes.
Qui plus est, le talent de dialoguiste de l'auteur s'affirme (surtout, essayez de lire le livre en VO, les personnages parlent comme dans un film de Ken Loach, ce que la traduction a considérablement affadi - du moins dans mon souvenir), et le 3e tome révèle toute l'efficacité de la construction de la trilogie.
Oeuvre parfaite ? Non, loin de là, il y a encore des scories, quelques longueurs, trop de magie pour de la Fantasy "gritty" et pas assez pour de la Fantasy "épique", tous les personnages ne sont pas aussi réussis les uns que les autres. Mais elle révèle un écrivain d'un très grand talent, et, puisqu'il semblerait que son goût pour les trilogies lui ait passé, je vais continuer avec grand plaisir à lire tout ce qu'il produira.
Les commentaires sous mon billet m'enjoignaient de continuer ma lecture, je n'ai pas pris le temps de le faire, mais ce billet enthousiaste va me donner le coup de pied au cul pour que je retourne dans cette trilogie.
RépondreSupprimerAu passage, ça fait du bien de lire à nouveau tes billets, ça me manquait, ces critiques.
Tout d'abord je confirme : ça fait plaisir de relire l'un de tes billets.
RépondreSupprimerSinon, pour revenir à Joe, tu m'intrigues. Finalement ça à l'air pas mal. De plus, la vraie réussite tient, semble-t-il, dans les personnages. Et ça, ça me parle. Je note et j'attends la sortie poche.
Merci les gars, j'avais peur qu'après avoir trop longtemps déserté ce blog, je n'y sois plus le bienvenu ! ;)
RépondreSupprimerLe 1er tome existe déjà en poche, mais comme toujours, mieux vaut attendre que la série soit complète pour se lancer dedans.
Une série qui m'attire depuis un bon moment. Je crois que je vais me laisser tenter!
RépondreSupprimerPersonnellement, j ai bien apprécié la lecture des 2 premiers tomes. Surtout les personnages, l auteur ayant réussi a creer des personnages a la fois trés typés (limite caricature) etavec une épaisseur qui m'a étonnée. Le style est trés agréable a lire.
RépondreSupprimerPoint négatif je n ai pas tout compris a l'intrigue, l'auteur saupoudre le roman de révélations et d'éclaircissement sur des evenements trés anterieurs a l'action, mais ca manque de cohérence et de vue d'ensemble. Dommage le background semble interressant, mais du coup on lit un peu pour savoir ce qui ce passera entre les persos, ca donne un coté télé novella a cette Fantasy...et cest ce qui rend le lecteur accro.
Pour moi ca reste une série a conseiller.