Avant d'écrire, j'ai travaillé l'espace de quelques livres comme relecteur/correcteur pour la Bibliothèque interdite qui publiait il y a encore peu les romans des franchises Warhammer et Warhammer 40'000. Relecteur, c'est un peu comme un des multiples métiers du cinéma dont on ne soupçonne pas l'existence quand on regarde un film : si le correcteur fait bien son boulot, on ne voit pas son travail. Ma petite expérience n'est évidemment pas très riche (une douzaine d'ouvrages tout au plus), mais je voudrais en profiter pour mettre de l'avant ce travail souvent ingrat, mais nécessaire.
En théorie, je disposais de 30 jours pour relire une traduction de roman. Ça semble énorme au premier regard, mais en définitive, il arrivait très souvent que le traducteur soit à la bourre et que donc la relecture soit un peu plus rapide que l'exigent les règles de l'art. J'ai déjà relu un roman en une semaine pour cause de gros problème dépassement de délai, mais dans la grande majorité des cas, c'était entre 15 et 30 jours. Et comme ce n'était pas mon activité principale, je ne passais pas 8h par jour pendant un mois sur le texte, on s'entend.
Corriger un roman, c'est chiant. On lit le livre une fois pour comprendre l'histoire (dans le cas de Warhammer 40'000, ce n'est pas la partie la plus complexe de l'opération) puis on relit le texte plusieurs fois en faisant attention à un milliard de détails différents. Le traducteur a-t-il traduit le nom du vaisseau spatial ou bien laissé en VO ? A-t-il respecté le glossaire fourni par l'éditeur ? A-t-il fait gaffe au fait que dans les premiers volumes de la série, tel truc a été traduit de telle manière ? Dans les moments de fatigue, a-t-il laissé passer quelques faux amis (du genre cry/crier, un classique indémodable) ? Son doigt a-t-il accroché sur le clavier pour finalement écrire "sommmes" ?...
Les questions à se poser n'ont pas de fin car les fautes possibles sont innombrables. Quand au final on passe le texte dans un correcteur orthographique pour faire un dernier tour de piste, on a la surprise de trouver encore des tonnes de lettres manquantes ou d'étourderies sur lesquelles notre cerveau glisse sans s'arrêter tant il est programmé pour reconnaitre un mot uniquement en se basant sur les consonnes. Car je ne sais pas pour vous, mais moi si je ne mets pas en mode "chasse à la faute", je ne remarque pas les fautes les plus évidentes. De base, je n'analyse pas chaque phrase que je lis.
Le pire que j'ai fait, c'est de corriger quelque chose de juste. Dans une scène où plusieurs chasseurs suivaient une piste, la traductrice avait écrit "Le chasseur de tête avançait silencieusement". J'ai tout de suite dégainé et changé le passage en "Le chasseur de têtes avançait silencieusement" car je sais que c'est la bonne orthographe. Maître Capello pouvait être fier de moi, j'avais le verbe juste et intraitable. Manque de bol, on ne parlait pas de chasseur de têtes dans le sens primitif, mais bien du chasseur qui était en tête du groupe. J'ai encore honte.
Ce n'est pas uniquement une question de correction orthographique sans fin sur "au temps pour moi" et "sens dessus dessous", c'est un travail de dingue. Le traducteur a beau faire attention (car, non, il ne fait pas exprès, il a lui aussi l'amour du travail bien fait, il ne faut pas croire), tu te rends compte que les noms des personnages changent au fil du texte, qu'il a oublié une phrase dans un coin ou qu'il ne connait pas vraiment l'univers de référence. Des fois, c'est carrément le texte en VO qui est bancale.
La pire situation, ce sont les livres de jeu de rôles sur lesquels travaillent plusieurs traducteurs. Il faut alors unifier les traductions parce que l'un a traduit tel nom de la sorte, mais le second d'une autre. Horrible. Et en plus, il faut connaître le système de jeu pour savoir si ce que disent les règles traduites est valide. Ma seule expérience de relecture rôliste a été sur la gamme Dark Heresy et c'est elle qui a été la plus usante. Ce sont de gros volume de texte, il faut donc plusieurs traducteurs ce qui produit une traduction inégale. J'ai déjà vu l'éditeur reprendre lui-même la traduction d'un chapitre complet quand ça merdait vraiment.
Bosser comme relecteur m'a appris un truc : la syntaxe est relative, pas absolue. Chacun articule sa prose à sa manière, les virgules peuvent ne pas être à la même place selon que l'on se nomme Hugin, Munin ou Xanthor78. Ainsi, moi, je cadence mes phrases à ma manière, selon une rythmique qui m'est propre. Dois-je l'imposer à la traduction ou bien respecter le tempo virgulatoire du traducteur ? C'est un métier, semeur de virgules, ça ne s'improvise pas.
Alors, oui, en tant que lecteur, quand on tombe sur un texte bourré de fautes, on rouspète. On a envie de lapider le traducteur avec des figues molles. Mais peut-on réellement demander à un éditeur de sortir 2 ou 3 traductions par mois pour étancher notre soif de lecture et espérer que tout va pouvoir se faire sans faute ? Je ne le crois pas. Ça prend du pognon et de la patience. Or on ne veut pas payer notre bouquin trop cher et que le bouquin soit disponible en VF une semaine après sa sortie en VO.
J'ai arrêté de relire des romans. Par manque de temps, mais aussi par humilité syntaxique. Les lecteurs se plaignaient sur des forums, malgré tous mes efforts, il restait toujours des scories que même Antidote ne voyait pas. Je ne suis pas assez vigilant. Il y a des types capables de regarder défiler des lignes de code en binaire et de trouver l'erreur. Moi, je ne suis pas une machine. J'hésite à chaque fois que je dois écrire "magasin" et "magazine". Et maintenant, c'est quelqu'un d'autre qui doit corriger les textes que je remets à mon éditeur. Mais quand je trouve une faute dans un livre, au lieu de maudire le relecteur sur 16 générations, je réalise qu'il a sans doute corrigé une brouette d'autres fautes dans le texte, pour mon confort. Et en plus, 99% du temps, son nom n'apparait pas dans les crédits.
Ton article est très intéressant, car il est vrai que l'on manque souvent d'indulgence vis-à-vis des traductions. Grâce à toi, je vais porter un regard plus lucide sur la chose. Merci.
RépondreSupprimerJ'adore ce genre d'article sur des métiers insoupçonnés et ingrats.
RépondreSupprimerVoilà en tout cas une prose que j'ai eu plaisir à lire. Merci d'avoir mis en lumière ce métier de l'ombre.
RépondreSupprimerJe me suis promis qu'à la prochaine faute détectée dans un livre, je penserai à toutes celles que le relecteur aura arrêté.
Bravo. Il fallait que ce soit dit. Maintenant, je crois aussi que si les éditeurs envoyaient au écrivains, scénaristes et traducteurs une copie du manuscrit en surlignant les corrections, on obtiendrait un résultat bien plus satisfaisant. Le coup du "chasseur de tête(s)" aurait ainsi été évité, par exemple.
RépondreSupprimerComme quoi il y a pire métier que celui de traducteur... Merci Cédric d'avoir jeté un coup de lanterne sur ce coin obscur des donjons éditoriaux.
RépondreSupprimerNormalement, c'est le traducteur (ou écrivain) qui a le dernier mot, il reçoit un jeu d'épreuves corrigées et signe le bon à tirer. Je dis normalement: tous les éditeurs ne procèdent pas ainsi. Mais les plus sérieux le font.
RépondreSupprimerJe ne peux que donner mon accord, en tant que correcteur bénévole puis pro (lire "payé") depuis plusieurs années.
RépondreSupprimerClin d'oeil en passant à M. Eric "dK" Nieudan, qui a écrit la première prose que j'ai corrigée.
Il est effectivement dur de lire les plaintes (justifiées) des lecteurs après notre passage, mais j'ai appris deux choses grâce à la trentaine de livres que j'ai corrigés :
1) Il reste toujours des fautes. Toujours.
2) Même en prenant du temps, avec de nombreux correcteurs (Bloodlust 2, Warsaw), chaque faute sera ratée par au moins un correcteur. Conclusion, voir 1)
Avec l'implacable théorème du correcteur: "Même s'il ne reste qu'une seule faute, ce sera la première chose sur laquelle le correcteur/ auteur/ traducteur/ éditeur tombera en ouvrant au hasard le premier exemplaire fraîchement sorti des presses."
RépondreSupprimer"Des fois, c'est carrément le texte en VO qui est bancale."
RépondreSupprimerFranchement, tu pourrais faire attention à l'orthographe...
;-)
C'est vrai qu'on a souvent tendance à surligner les coquilles qu'on lit dans les romans en se disant que les traducteurs et relecteurs sont des ouvriers chinois exploités dans un sous-sol à soutenir des cadences insupportables.
RépondreSupprimerCet article nous fait changer de point de vue.
mais j'ai une question : dans le cadre de ton travail de relecture, utilisais-tu la VO pour corriger les zones d'ombre de la traduction ?
Yep, j'achetais toujours la VO pour pouvoir revenir au texte d'origine en cas de doute.
RépondreSupprimerLa seule exception, c'est D&D 4, ça allait tellement vite que je n'ai eu le temps que de vérifier la maquette et de lire le texte une seule fois.
Très intéressant comme article.
RépondreSupprimerJ'ai une question indiscrète : une relecture de livre c'est payé combien en moyenne ? (juste pour savoir à quel point le taf est ingrat :D)
550 euros par roman.
RépondreSupprimerEn plus de la direction littéraire de la revue Solaris, je relis évidemment la revue une fois mise en page. Notre coordonatrice relit aussi en parallèle. On sait qu'il restera toujours des erreurs. Le stress, c'est de mal écrire le nom d'un auteur en couverture. Récemment, la correction a été faite à la dernière minute en ordonnant à l'imprimeur de retarder l'impression de la couverture!
RépondreSupprimerJoël Champetier
L'utopie c'est de croire que l'auteur aura le temps de recevoir son manuscrit corrigé avant l'envoi chez l'imprimeur pour démasquer d'éventuelles incompréhensions du relecteur !
RépondreSupprimerEt celle du relecteur, c'est de croire que le traducteur passera le correcteur orthographique la prochaine fois ou, mieux encore, fera une comparaison de fichiers pour ne plus jamais faire les mêmes fautes !
Bien évidemment, une fois qu'on reçoit l'ouvrage publié, des la première page consultée, on tombe sur une faute énorme qu'on a laissé passer !
Ca fait rêver comme métier, n'est-ce pas ?
Mais ça a été un plaisir de bosser avec toi, Michaël. Ça a été très formateur, comme boulot. Et j'ai bossé avec des traducteurs aux petits oignons, qui plus est.
RépondreSupprimerCeci dit, après 6 ans de vie à Montréal, mon français a été totalement contaminé par les anglicismes. À force de les entendre, certaines faussetés finissent par me sembler normales. C'est moche.
Pas mieux messire Ferrand ! Un relecteur qui reçoit les coups de fouet sans piper mot, c'est rare ;)
RépondreSupprimerOu alors, c'est qu'il a un bâillon, mais je soupçonne que là, on en parle plus du même genre de "jeux de rôles". ;)
RépondreSupprimerMoi, j'aurais une question à laquelle je ne trouve pas de réponse : je trouve souvent une virgule avant les et. Ca me dérange pas mal car je ne mettrais pas de ponctuation devant une conjonction de coordination.
RépondreSupprimerMerci d'avance
Alexandre
Pourtant, il faut parfois le faire. Exemple :
RépondreSupprimer"Éric discutait avec Pascal et Rémi s'en foutait."
La première fois que tu lis la phrase, tu as l'impression que Éric discute avec Pascal et Rémi.
"Éric discutait avec Pascal, et Rémi s'en foutait."
La virgule permet au premier coup d'oeil de comprendre que les deux propositions sont distinctes.
Maintenant, je reconnais que certaines personnes abusent des virgules avant le "et".
Je vois passer de plus en plus de phrases du style :
"Éric se servit un café, et il en profita pour y mettre du sucre".
À mon sens, la virgule n'a ici pas de sens, il n'y pas de réelle rupture entre les deux propositions.
Mais mon cher Cédric, si tu abuses des virgules, comment veux-tu, comment veux-tu...
RépondreSupprimerMwahah.
Autre question :
RépondreSupprimerêtes vous tenus de prendre en compte les réformes de l'orthographe de l'académisme francophone qui s'illustre ici : http://www.orthographe-recommandee.info/enseignement/regles.pdf ?
Je trouve ça interessant, mais aussi très stupide sur certains points.
À titre personnel, je n'ai jamais reçu de telles consignes. J'intègre certaines améliorations quand elles sont logiques ou bienvenues, mais certaines modernités me hérissent le poil et n'ont pas le droit de cité dans mes textes.
RépondreSupprimerCeci dit, je suis (encore une fois) dans une position particulière : je vis dans un univers schizo-linguistique qui dit courriel mais canceler, qui appellent un feu rouge une lumière et qui inverse le sens de cartable et de classeur.
De mon expérience du tout petit secteur de l'édition de jeux de rôle, jamais personne n'a demandé d'appliquer la réforme de 1990, car la plupart des gens en ignorent jusqu'à l'existence.
RépondreSupprimerA titre personnel, vieux con que je suis, je ne pourrais jamais me résoudre à l'appliquer. La réforme de l'utilisation des tirets me fait vraiment trop mal aux yeux !
Comme dans tout secteur en sorte, les stars sous les feux de la rampe, les petites mains s'activant en coulisse.
RépondreSupprimerah ah j'aurais put rédiger le même texte que vous tant la relecture d'un ouvrage que l'on m'a proposé m'a posé problème.
RépondreSupprimerDe plus, étant encore étudiante, j'avais quelques difficultés à remettre en cause la syntaxe et surtout la ponctuation des textes rédigés par mes professeurs ...
Denis Hugot - Relecteur-correcteur professionnel
RépondreSupprimerCela fait plaisir de lire tout ce qui est au-dessus...
Effectivement, relecteur est un métier ingrat, exigeant... bret, tout sauf une sinécure...Le 100 % du premier coup, ça n'existe pas... Ou alors il faudrait passer une minute par phrase et le boulot ne serait pas "vendable" financièrement... Un grammairien pour qui j'ai corrigé un roman (eh oui...) m'a dit que, selon lui, il fallait 7 corrections par 7 correcteurs différents pour avoir la perfection... Jusque-là, je parlais de 3...
Quand il faut, d'un seul coup, corriger orthographe, grammaire, syntaxe, ponctuation, typographie... Pas évident...
Il faut donc parfois un tout petit peu d'indulgence... Cela dit, sur mon site, j'ai mis les photos d'emballages de produits courants (chocolat, café...) imprimés à des millions, des centaines de millions, voire des milliards d'exemplaires, qui contiennent des fautes énormes (l'emballage comporte maxi quelques centaines de mots)... Et là, c'est véritablement scandaleux...
Vous trouverez quelques exemples sur mon site
http://relecteur.synthasite.com/
Et vive la belle relecture-correction !
A tous : Bonne Année 2012 !
RépondreSupprimernote : je vois parfois écrit "Bon Année" ou dans l'autre sens "Bonne anniversaire"... La liaison peut parfois créer des problèmes...
Allez, tous mes voeux de bonheur !
Clordialement,
Denis Hugot
http://relecteur.synthasite.com/
il fallait bien sûr lire
RépondreSupprimerCordialement !
Denis Hugot
http://relecteur.synthasite.com/
Merci pour ce fail des plus ironiques...
RépondreSupprimerBonjour Cédric,
RépondreSupprimerJ'aurais aimé vous contacter par e-mail relativement à cet article (je recherche des conseils pour mettre les pieds dans cette profession), mais je n'ai trouvé nulle part de "contact".
Etes-vous joignable ?
Merci d'avance,
Caroline
carocaillat@hotmail.com