Dans un futur loin de chez nous, une compagnie exploite l'énergie libérée sur les rifts sous-marins afin d'alimenter la surface en électricité. Mais l'automatisation de ces installations n'est pas complète : il faut encore faire appel à des êtres humains pour la maintenance des thermopompes. Des employés vivent donc en totale promiscuité dans une station abyssale. Dehors, aucune lumière naturelle, que la froideur des profondeurs et les rares traces de bioluminescence symbiotique. Les poissons qui survivent à une telle pression sont monstrueux mais souffrents de carences alimentaires qui les rendent inoffensifs. Pour le moment. Pour qu'ils puissent tenir le choc, les employés ont été modifiés avec des implants qui leur permettent de respirer sous l'eau. Mais quand ils sortent de la station pour assurer l'entretien des installations, tout peut arriver. Le sol peut s'ouvrir à tout moment et une cheminée projeter de l'eau bouillante qui ne peut pas s'évaporer à cause de la pression. Et toujours ces énormes poissons aux dents acérées qui cassent comme du verre.
Étrangement, la pression la plus forte n'est pas celle de l'eau, elle est au contraire à l'intérieur de la station, entre ces quelques êtres humains qui vivent les uns sur les autres. La plus dangereuse des failles n'est pas tectonique, elle est psychologique. Les carences des poissons des profondeurs fait écho aux carences émotionnelles de ces employés cabossés dont le corps n'est plus vraiment humain maintenant qu'il a été adapté à d'autres contraintes. Quand la station se met à grincer et couiner sous l'effet de la pression, c'est la psyché de ces forçats qui travaille et se fissure. D'autant qu'à force de jouer avec leur équilibre chimique, certains développent d'autres sens qui rappelleront des choses à ceux qui connaissent l'effet Polaris.
Peter Watts décrit dans Starfish un drôle de mal des profondeurs. La station agit comme un aquarium inversé où l'on regarde ces hommes et ces femmes coincés dans une bulle qu'ils cherchent de plus en plus à fuir à mesure que la pression augmente. De temps à autre, le lecteur entend parler d'un monde en surface où le Net est infecté, et d'une corpo qui magouille des trucs pas clairs dans la plus grande tradition du cyberpunk. La station s'accroche au rift comme un remora, grapillant des miettes d'énergie. On comprend vite que ses occupants pourraient être pour la faune abyssale une source d'alimentation qui lui permettrait de vaincre les carences qui la rend si fragile quand vient le moment de s'attaquer à ces intrus. Pourtant l'auteur ne joue pas sur le registre des Dents de la mer, il est bien trop obnubilé par son huis-clos pour jouer le jeu du film d'horreur. C'est plutôt un Abyss psychologique et biologique.
L'histoire pourrait très bien se dérouler dans l'espace : l'obscurité, le danger de l'environnement, les communications difficiles avec le reste du monde, l'enfermement, la dynamique de groupe, la mission, la découverte d'un mystère scientifique… Ce sont les ingrédients connus de la SF, mais ils prennent ici une autre saveur. Sans doute parce que je suis de la génération du Grand bleu qui a bouffé les documentaires de Cousteau chaque dimanche soir avant d'embrasser un détendeur et d'apprendre à calculer la bonne durée des paliers de décompression.
Starfish est en fait le premier roman d'un trilogie nommée Rifters qui se poursuit avec Maelstrom et βehemoth.
La page Wikipédia Poisson abyssal est un bon départ pour en apprendre plus sur ce petit musée des horreurs.
Parlons un peu de Peter Watts, maintenant. Il est canadien et sans surprise, il est également biologiste spécialisé dans les mammifères marins. C'est un auteur prolifique de nouvelles qui a fait parlé de lui après s'être fait agressé à la frontière américaine par un douanier bas de plafond. Après avoir été menacé de 2 ans de prison, Watts a finalement été interdit de séjour aux USA. Il est également actif dans le design de jeux vidéo. Sur son blog, il parle de plein de choses intéressantes, notamment de son expérience comme porteur de l'ignoble fasciite nécrosante, aussi connue sous le nom de bactérie mangeuse de chair. Et du coup, sa SF biologique devient monstrueusement personnelle.
Voici un roman qui me tente beaucoup et depuis un moment.
RépondreSupprimerJe l'avais déjà repéré également, c'est vrai que ça donne envie.
RépondreSupprimerAttention, petite coquille : "le lecteur entend parlER".
Il est sur ma PAL, et il attend patiemment que je vienne le chercher...
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