Arkham Horror The Roleplaying Game - Hungering Abyss


Petit préambule : je n'ai jamais joué au jeu de cartes Arkham Horror, donc je ne savais pas grand chose en achetant cette boîte d'initiation, si ce n'est que Croc et Michael Croitoriu étaient à la manœuvre. Et je dois bien l'avouer, l'illustration de la boîte m'a fait méchamment de l’œil avec cette bibliothécaire serrant son livre, la jeune sportive noire, cette énigmatique femme, ce fossoyeur qui va essayer de faire 1d8 de dégâts avec sa pelle... La composition est aux petits oignons. Et pourquoi donc ai-je acheté une boîte d'initiation pour un jeu que je ne connais pas ? Je n'ai pas encore le droit de le dire. Disons que c'est la veille stratégique.

Et donc Hungering Abyss est en fait composé d'un unique livret de 48 pages. Grosse surprise pour moi, je m'attendais à un diptyque règles + scénario, mais non, ils ont opté pour une fusion très efficace. En effet, lès règles sont expliquées à mesure que le scénario est déroulé. La première scène en est une d'exposition avec les personnages qui rencontrent leur commanditaire : paf, on vous dit comment résoudre les actions de base. Et puis vlan, quand les monstres attaquent soudainement, on prend le temps de nous expliquer comment se battre. Ça manque cruellement d'exemples, mais les règles sont franchement pas compliqués. On dispose de 10 compétences qui varient de 6+ (pas terrible) à 2+ (génial). On jette des d6, et il faut faire égale ou plus que le score de la compétence pour réussir. Notre réserve de dés va également servir à mesurer notre santé. Évidemment, il y a aussi une mécanique fort simple pour gérer le stress. Le tout est vraiment aisé à prendre en main, et l'écran livré avec la boîte est largement suffisant pour jouer. Certains objets et sorts sont gérés via des cartes, c'est très ludique.

Et le scénario ? C'est une intrigue très linéaire qui s'appuie sur de mystérieuses disparitions dans les rues d'Arkham. Pif, paf, pouf : enquête. Clic, clac, clang : baston. Re-enquête puis baston finale. Vous ne tomberez pas de vos chaises en suivant ce scénario : il est hyper archétypal. Toutefois, il répond à un besoin précis : harponner des joueurs avec les clichés du genre lovecraftien. Enfin, d'un certain genre lovecraftien, car dans Arkham Horror, on ne joue pas un antiquaire neurasthénique qui va se morfondre en se sentant écrasé par l'horreur cosmique. Oh non, on incarne des héros qui sont là pour mâcher du chewing-gum et distribuer des bourre-pifs (et manque de bol, ils sont à cours de chewing-gum). Pour vous donner une idée, la serveuse du diner où ils vont reprendre leur souffle après le premier affrontement pratique la magie. Et c'est pas un dark secret : elle peut utiliser ses sorts pendant la scène. D'ailleurs, la magie s'apprend hyper facilement : un jet de la compétence Lore, et le sort est appris. Y'a un magasin qui propose des sorts et de talismans pour quelques dollars. Et juste avant la grande baston finale, le MJ apprend qu'un autre magasin vend des mitrailleuses Thomson et des bâtons de dynamite. On n'est pas là pour beurrer les coquillettes mais bien pour canarder du cultiste en se contrefoutant de l'impuissance qui étreint habituellement le protagoniste des nouvelles du Maître de Providence. On est ici dans l'empowerment : puisque les créatures du Mythe saignent, alors elles peuvent être vaincues.

Alors, je ne vais pas le cacher, le jeu me prend à rebrousse-poil car je suis plus Lovecraft canal historique. À ce titre, je trouve que Horrifique est parfaitement dans le ton, puisque tout conflit avec une créature du Mythe se conclue forcément par la mort du PJ. Et là, forcément, Arkham Horror est à l'autre bout du spectre. J'ai pouffé plusieurs fois dans le métro en lisant le scénario. Non pas qu'il soit absurde, mais il est frontal. C'est un peut comme si vous conseilliez à votre prof d'Histoire qui ne jure que par Nuit et brouillard de regarder Inglourious Basterds : ça pique. Mais évidemment, c'est un faux problème, car les deux films sont extraordinaires chacun dans leur genre. C'est également le cas avec Arkham Horror : ce n'est effectivement pas la version de Lovecraft la plus subtile, mais boudiou, quand on accepte son postulat de base, ça dépote.  C'est pas tant pulp que décomplexé. Je suis persuadé que c'est très marrant à faire jouer avec une table qui est sur la bonne longueur d'onde.

Comme le jeu est issu d'une licence de jeu de cartes, les illustrations sont splendides. Les prétirés ont la classe (même si je trouve qu'il y a beaucoup de texte à lire pour commencer à jouer). Il y a plein de jetons et plusieurs cartes détaillées des scènes marquantes du scénario. Si on ajoute à cela les d6 et les aides de jeu, on ne fout vraiment pas de la gueule du client. Un petit bémol, toutefois : deux énigmes du jeu reposent sur la même mécanique : le taquin. C'est un peu dommage, cette répétition.

Tout ça pour dire que non, je ne vais pas faire jouer ce scénario à mes vieux briscards à qui j'ai déjà fait jouer les Oripeaux du Roi ou Eternal Lies. On a passé des mois à flipper avec Les Encagés, ce n'est pas pour défourailler dans les rues d'Arkham. Par contre, avec mon adolescente qui n'a pas encore tout vu et tout joué, et qui s'en fout de Lovecraft comme de son premier petit pot Blédina, ça serait du tonnerre. Parce qu'elle et ses amies ont un peu plus besoin d'être poussées dans la bonne direction, quand on joue. Et le matériel qui est présent dans la boîte les fera rêver. Je vais donc être client du livre de base qui est annoncé car la simplicité des règles est vraiment un gros plus. Si la gamme offre des scénarios un peu moins caricaturaux, je vais pouvoir les embarquer dans cette version plus à la cool de Lovecraft. Pis bon, je vais avoir du mal à critiquer ce parti pris : après tout, j'ai déjà fait jouer les Masques de Nyarlathotep en mode pulp avec les règles de Spirit of the Century, et on s'était amusé comme des petits fous. Comme quoi on peut faire coexister plusieurs approches de Lovecraft à une même table de jeu, il suffit de bien se mettre d'accord en amont.


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