Moi, rôliste awake

Philippe B le soir du réveillon de l'an 2000
Il doit exister quelque part une réalité parallèle dans laquelle le petit Philippe, 10 ans, n'a pas accroché à la partie de Donjons & Dragons organisée par un de ses camarades lors d'un goûter d'anniversaire. Il n'a pas cherché à en savoir plus, et il n'a pas traîné autour de plus grands jusqu'à ce que, de guerre lasse, ils lui proposent de rejoindre leur campagne de l'Appel de Cthulhu. Qu'est-il alors devenu ?

Sans besoin permanent de nourrir son imaginaire, il n'a pas éprouvé le besoin de lire autant. Sa timidité maladive l'empêchant de se choisir un loisir social, il s'est rabattu sur des activités en solitaire. La découverte du ZX81 l'a fasciné bien plus que le Philippe d'origine, qui, après avoir passé quelques après-midi à coder en BASIC des gros carrés clignotants, s'est vite lassé de la chose. Le déménagement à Marseille n'a pas arrangé les choses : alors que Philippe A a découvert, par le jeu de rôle, un moyen d'intégration et de rencontre, Philippe B s'est retrouvé encore plus isolé qu'avant. En lieu et place des Valet de Carreau, Dragon d'Ivoire, et autres boutiques de JdR, il s'est contenté des premiers magasins de hardware informatique. Pendant que Philippe A découvrait dans le JdR un catalyseur d'amitiés sincères et un moyen innocent d'approcher les filles, Philippe B discutait dans une arrière-boutique de caractéristiques de processeurs.

Certes, Philippe B est resté en terminale C et a eu de bonnes notes au bac, ce qui l'a aidé pour entrer en école d'ingé, quand Philippe A papillonnait d'un cursus à l'autre. Ne connaissant d'autres mondes que notre prosaïque réalité, il n'a pas été difficile à Philippe B de se concentrer sur ses livres de classe. Philippe A, lui, dans son besoin d'ouvertures et de contacts, s'épanouissait dans les filières universitaires, dans les choix d'options bizarres ("le droit canonique ? ça peut être sympa pour jouer un curé dans Maléfices ! Et j'ai toujours eu envie d'étudier la Règle templière !"), et dans les séances d'initiation auprès de groupes composés à 90% de filles. On ne l'a pas vu bien souvent en amphi, Philippe A, mais sa capacité de lecture et sa mémoire surentraînée par le JdR l'ont aidé à accumuler les diplômes sans erreur majeure. Sa plus mauvaise note, il l'a reçue en licence d'un prof aigri par son bronzage. Mais jouer sur des tables de jardin et traîner aux terrasses n'aide pas à garder le teint d'endive de circonstance pour un étudiant bêcheur.

Les études, c'est aussi l'occasion de voyager un peu, d'étudier à l'étranger. Philippe B en a-t-il conçu le projet ? Pour une fois, le projet initial de Philippe A lui aurait convenu : un séjour Erasmus bien balisé, en compagnie d'autres français, pour un cursus de droit pétrolier en Norvège - avec à la clé un stage sur une plate-forme pétrolière. Cours en anglais, formation diplômante, créneau porteur : un truc sérieux, sans risques, aussi excitant que l'idée d'une soirée Bingo dans un club du 3e âge. Au dernier moment, changement de programme : Philippe A modifie sur sa feuille de personnage la compétence Langues étrangères et part seul pour un séjour de plusieurs mois, non diplômant, dans un pays tropical - pays où il trouva rapidement ses marques avoir avoir repéré la boutique de JdR du centre-ville.

Après les études, ils ont abordé leur service militaire de façons bien différentes, ces deux-là. Philippe A n'a eu besoin que de 24h pour remonter une table de JdR, et les 10 mois de service ont à peine suffit pour pouvoir finir les campagnes d'Ambre et de Cthulhu lancées avec ses copains de chambrée. Plus qu'un moyen d'évasion, le JdR a servi, encore une fois, de ciment à des relations fortes et durables. Philippe B, lui, s'est retrouvé affecté à la DSI du régiment, et a passé la plus grande partie de son service sur Usenet.

A la fin de ses 10 mois, Philippe B n'avait plus qu'à suivre la voie, et continuer dans l'informatique et Internet. C'était la voie du moindre risque, mais Philippe B, peu entreprenant par nature, ne se voyait pas partir à l'aventure ou tout miser sur un jet de dé. Pendant que Philippe A passait de boulot en boulot, en capitalisant chaque fois sur ses aptitudes de MJ plus que ses compétences apprises : la capacité à parler en public, qui allait l'orienter vers les métiers de la formation; et la capacité à improviser, fondamentale dans les métiers du consulting.

Philippe B est-il marié et père de famille ? Sans loisirs, évoluant dans des professions essentiellement masculines, introverti, manquant de confiance en lui, c'est mission impossible. Certes, il est aujourd'hui expert en systèmes et réseaux, consultant senior chez Capos Stepra, mais avoir réduit la part d'aléa dans sa vie est-il un gage de bonheur ? Philippe A, lui, a aujourd’hui un boulot qui lui plaît, une femme adorable (non rôliste : il faut bien un pôle de stabilité dans le couple) et des enfants à qui il lit le soir pour s'endormir des Livres Dont Vous Etes le Héros. Il a contribué au lancement du plus gros site JdR français à ce jour, a écrit dans le vénérable magazine de JdR auquel il était abonné adolescent, et a fait des rencontres formidables tout au long de ces années - comme celle avec Cédric à l'origine même de ce blog !

Même si le rythme de ses parties a fortement diminué, Philippe A se voit toujours comme un rôliste. On peut se biclasser ou changer de carrière, on garde toujours les compétences de base de sa classe de personnage d'origine, rôliste.

Commentaires

  1. Une bien belle uchronie

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  2. Il y a des réalités parallèles qu'en tant que Slider, je n'ai pas envie de visiter... :)

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  3. J'applaudis des dix doigts. Très bel angle d'attaque et exécution sans faute. Respect. Tu devrais faire du JdR plutôt que de l'informatique, t'es clairement doué pour ça.

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    1. Merci Eric.
      Le problème du JdR, c'est les deadlines plus rigoureuses que dans l'informatique. ;)

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    2. Michaël C.21/6/12

      Faudrait surtout que tu te remettes en scelle. 4 parties par an, c'est pas la mer à boire, mais j'ai comme l'impression que c'est déjà mission impossible...

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    3. Dans ma tête je suis rôliste ! Je suis un rôliste imaginaire !

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  4. Très bon choix de vie.

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  5. La Mettrie22/6/12

    Très beau.
    J'ai éprouvé un fort sentiment d'admiration lorsque j'ai lu qu'en guise d'histoire avant de dormir, tu lisais des Livres Dont Vous Êtes Le Héros à tes enfants.

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  6. Merci à tous les deux pour votre feedback ! :)

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  7. C'est sûr que si je devais faire le même bilan que toi, il est clair que le Fabien B aurait lui aussi en apparence une situation plus enviable que le Fabien A ( moi quoi). Le Fabien A a découvert le jdr en 1986 lorsqu'un élève d'une classe de troisième venu de la lointaine ville de Nantes m'en parle durant un cours de gym. Je lui réponds que je suis intéressé et comme un miracle n'arrive jamais seul un autre élève est aussi intéressé. L'année suivante je contacte le foyer rural de ma ville pour monter un club. L'animateur du foyer va nous jouer de manière très occasionnelle avec nous. Et paf ! une des rencontre les plus intéressante de ma vie qui va me faire prendre conscience de certaines valeurs et qui va me redonner confiance en moi. Le club se développe et j'y rencontre ceux qui deviendront mes deux meilleurs amis ( et grâce à qui je vais rencontrer des nons rôlistes qui deviendront aussi des amis ou de bons copains. ) A côté de ça sur le plan des études après mon bac G je loupe complétement mes études et je vais au service militaire. Malheureusement contrairement à Philippe je ne rencontre qu'un seul autre rôliste dans la caserne de soixante bidasses où j'émarge.
    Après chômage, petits boulots. Mais je fais du bénévolat dans une bibliothèque locale. Ce qui me permet d'avoir du boulot et de travailler 3 ans dans une BU. Ce qui me donne envie de reprendre mes études. Je saute le pas et décroche une licence. Depuis je n'ai connu que le chômage et le petits boulots et je ne joue plus que une ou deux fois par an. Mais sans le jdr je ne pense pas que j'aurais repris mes études. Le Fabien B travaillerait dans une usine ou un supermarché et consommerait des atidépresseurs pour supporter un emploi qu'il déteste. Il serait le souffre douleur de ses collègues et ferait peut être même des séjours en maison de repos. Le Fabien B aurait sans doute femme et enfants et sûrement aussi un divorce sur les bras.
    Certes moi, le Fabien A, je vis des moments difficiles mais le jdr m'a donné une détermination et une volonté de m'en sortir quelque soit le prix à payer, même si je dois sacrifier une partie de mon confort et avoir les pieds dans la merde.

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  8. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  9. Le JdR m'a juste permis de te rencontrer. Merci au JdR.

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