Je vais vous faire un aveu : la première fois que j'ai entendu parler des Terres d'Arran, j'ai eu une réaction épidermique pédante et pleine d'a priori face à la combo "série à rallonge" + "Encore du méd-fan" + "Editions Soleil".
Et puis l'adaptation en jdr (dont je parlerais dans un second billet) est sortie et j'ai eu très envie de voir le travail de mes amis de Black Book. Et comme mêmes les cons changent d'avis, banco, j'ai pris une paire de tomes de la BD pour comprendre de quoi il retourne. Deux semaines plus tard, j'ai une douzaine de volumes sur toutes les séries qui composent cet univers. Comme quoi...
Précision : ce court article critique se base sur la lecture de Elfes t.1-3, Nains t.1-3, Mages t.1-2 et Orcs et Gobelins t1. Même s'il y a quelques références entre certains volumes, et un arc narratif global qui démarre au tome 6 d'Elfes, il n'est pas nécessaire de lire les volumes dans leur ordre de parution, toute série confondue.
Or donc, de quoi s'agit-il ?
D'une série médiévale-fantastique tout ce qu'il y a de plus traditionnel côté univers : des Nains généralement bourrus, des Elfes hautains pour la plupart, des Orcs et des Gobelins belliqueux mais heureusement trop désorganisés pour être une vraie menace, et quelques humains aux milieux de tout ça dont les plus chanceux ont accès à l'une ou l'autre forme de magie. Autant d'individus qui vivent des Aventures avec un grand A dans une tradition si ce n'est Tolkienniste, en tout cas très D&D Royaumes Oubliés et sur lequel World of Warcraft serait passé entre temps.
C'est sur la forme que la série innove et sur la forme que je suis conquis. Les Terres d'Arran se composent de quatre séries consacrées à autant d'espères ou cultures - les Elfes, les Nains, les Mages et les Orcs & Gobelins. Chacune alterne entre les différentes races d'Elfes (Bleus, Sylvains, Blancs, Noirs et Demi-Elfes), ordres Nains (forge, talion, temple, errants et bouclier) et écoles de magie (élémentaliste, runique, nécromancie et alchimie) respectivement - les Orcs et Gobelins alternant entre ces deux espèces. Chaque volume est ainsi une histoire complète qui explore son propre bout des Terres d'Arran et ses propres personnages. Cela n'empêche pas certains de revenir et les plus emblématiques sont régulièrement cités. Il se tisse ainsi une toile plus que de fond qui sert à la fois le propos de chaque auteur (plusieurs couples de scénariste/dessinateur se succèdent) et à construire un édifice d'ensemble. Cette capacité à rendre intéressante à la fois le macro et le micro en moins de 60 planches (ce qui est plutôt court même pour du franco-belge) est impressionnante, et le résultat fait tutoyer l'épique et l'intime. De quoi rendre attachantes toutes les gueules qu'on croise, et il y en a!
La politique et le social se mêlent ainsi aux destins individuels et à la mythologie des Terres d'Arran. Scénario et narration arrivent pourtant toujours à entrecroiser habilement les trois pour des récits très fluides qui montrent sans jamais être lourds toute la profondeur de l'univers qui se cache derrière - et ce dès le premier tome de la première série, ce qui me rend très interrogateur sur la quantité de travail préalable qui a dû être réalisé avant de lancer la machine. Une sacrée machine de guerre en l'occurrence, puisqu'en moins de 10 ans, les Terres d'Arran cumulent plus de 60 tomes sur 4 séries !
Des bémols ? Très peu en réalité. Un seul tome m'a paru plus faible (le troisième Elfe) et un seul m'a mis à l'aise (le premier Orcs et Gobelins). Avec une réalisation toujours impeccable, tant sur le scénario que le dessin, les Terres d'Arran ont réussi à m'accrocher malgré un léger trop plein de méd-fan ces deux dernières décennies, ce qui n'est pas rien. Sur ce, j'y retourne, j'ai encore cinquante et quelques volumes de retard à rattraper !
PS: Au moment de publier ces lignes, je découvre que la série fait l'objet d'une publication d'intégrale. La logique par série est conservée, mais pas l'ordre de publication: le premier tome regroupe les premières histoires consacrées aux nains de l'Ordre de la Forge, soit les tome 1, 6 et 11. L'idée est intéressante, même un regroupement plus transversal croisant les séries (chronologique par exemple), auraient été un choix à la fois pertinent et plus audacieux (... et plus complexe à réaliser aussi, certainement...).
Les débuts d'Arran tome par tome
Elfes t1: Le crystal des Elfes Bleus
Lanawyn, elfe bleue, et son acolyte humain Turin enquêtent sur le massacre des habitants d'une ville portuaire. Tout semble accuser des hommes du nord connus pour ne pas apprécier les elfes bleus. Ce premier tome est une très bonne entrée en matière. Sous la forme d'une enquête politique, il dévoile rapidement l'ambiance sociale tendue des Terres d'Arran, mais aussi un premier bout de sa mythologie. Ces trois axes rendent l'histoire touffue mais pas étouffante. On y perçoit déjà toute la profondeur de l'univers qui se cache derrière - à défaut de son originalité.
Elfes t2: L'honneur des Elfes Sylvains
Changement de cadre complet pour ce second tome, mais aussi de style. Une humaine dont la cité est menacée par les Orcs part demander l'aide des Elfes sylvains, seul espoir de la ville. Mais ceux-ci ont depuis longtemps tourné le dos aux humains, qu'ils accusent d'avoir sacrifier la nature. Ce volume lorgne nettement plus vers l'aventure, mais comme le précédent (et globalement l'ensemble de la série, je vais donc arrêter de le rappeler), l'histoire individuelle des protagonistes se mêle habilement à une histoire politique et sociale et à la mythologie de l'univers.
Elfes t3: Elfe Blanc, coeur noir
Les Elfes blancs, isolés du reste des Terres d'Arran, se voient comme les ultimes gardiens du monde. Ils recueillent et protègent des savoirs, des objets et même des êtres vivants. Ce tome raconte la quête de l'un d'eux pour capturer le dernier des Dragons Blancs. Il s'agit probablement de l'un des tomes les plus faibles du début de la série. Il n’est pas mauvais en soit, et la quête qu’il narre prend une tournure d’autant plus épique qu'elle s’étale sur plusieurs dizaines d’années. Mais cette durée atténue aussi fortement les aspects sociétaux de l’histoire, même s’ils ne sont pas totalement absents, ce qui tranche un peu avec le ton des autres volumes.
Nains t1: Redwin de la Forge
La rupture avec les premiers tomes d'Elfes est assez brutale, et c'est tant mieux. Loin des quêtes et de la politique feutrée et posée des Elfes, ce premier volume de la série consacrée aux Nains est plein de bruit et de fureur. Il raconte l'émancipation difficile et l'ascension au plus haut de Redwin, certainement le cogneur nain de tous les temps. Redwin devient d'ailleurs un personnage récurent de la série. L'occasion au passage de découvrir toute la rigidité de la société Naine, véritable machine à broyer ou à forger des destins - c'est selon...
Nains t2: Ordo du Talion
Le Talion est l’ordre nain le plus riche et le plus puissant. L’une de ses branches secrètes, la Loge Noire, entraine les meilleurs assassins qui sévissent ensuite sous sa coupe. Mais Ordo, arraché à sa famille dès son plus jeune âge pour rejoindre la Loge, a bien l’intention de se venger d’une vie de souffrance. Il n’y a guère de héro dans cette histoire - il y a rarement de héro au sens pur du terme dans la série, en fait). Mais son principal intérêt est de chambouler notablement la société naine, montrant ainsi que les Terres d’Arran ne sont en rien figées et que la série est capable de faire évoluer son univers dans le temps.
Nains t3: Aral du Temple
C'est l'histoire d'une quête mystique. Une quête motivée par la découverte d'un cube couvert d'écritures ésotériques qui emmène Aral sur les traces d'un mal profond. Grandeur et décadence pourrait être le sous-titre de cette aventure souvent à deux doigts de verser dans l'horrifique. Avec ses personnages touchants, sa conclusion (que je tairais) a réussi à me toucher tout en ouvrant une porte sombre sur ce qui peut se terrer dans les tréfonds des Terres d'Arran.
Orcs et Gobelins t1: Turuk
Turuk, amnésique, reprend ses esprits dans une ville abandonnée. Mais comment est-il arrivé ici ? Et qui est cet archer qui le prend pour cible ? S'il est techniquement tout aussi réussi que les autres, ce tome-là m'a quelque peu gêné à l’encolure. L'orc que l'on suit admet en effet explicitement son délit de sale gueule, « comme tous les orcs », tout en admirant la plastique des femmes Elfes. Certes, Turuk est techniquement mi-orc mi-elfe, mais cela reste un peu faible pour expliquer qu’un orc rejette aussi catégoriquement les siens et préfère des critères finalement très… humains. Reste une intrigue pas inintéressante mais affaiblie par un procédé narratif amnésie/flashback un peu convenu.
Mages t1: Aldoran
Tyrom est un vieux (mais costaud) ermite qui a perdu la mémoire. La petite Shannon l'entraine contre son gré dans la protection de la cité indépendante de Castlelek. C'est à cette occasion qu'il déclenche à sa propre surprise un terrible pouvoir. Pourrait-il être un mage? Ce tome montre que l'aventure ne passe pas nécessairement par un long voyage, puisqu'il est entièrement centré sur Castlelek jusqu'à sa conclusion, qui voit le duo de héros promus protecteur de la ville. Le moteur géopolitique de l'intrigue et les mystères sur les origines de Tyrom forment un bon mélange, mais sont un poil trop convenus pour être une pleine réussite. Ceci dit, l'idée d'une communauté menacée dans son indépendance est une excellente accroche de campagne.
Mages t2: Eragan
Eragan se rend avec son maitre dans un monastère consacré à l'étude de la magie runique. Ils y vivront coupé du monde pendant une année entière... mais peu après leur arrivée, un clerc est retrouvé le corps couvert de runes gravée dans sa chair. Aral du Temple frôlé déjà de prêt à la folie, Eragan la touche à pleine main. Il faut dire que la puissance est définitivement corruptrice, et la magie runique n'en manque pas: il suffit d'un peu de folie pour oser combiner des runes en de puissants sortilèges, en espérant avoir la maitrise suffisant pour contrôler ce dernier. Eragan fonctionne comme une huit-clos un peu polard, un peu horreur. Là encore, si "l'enquête" n'est pas exceptionnelle, son personnage principal est plutôt bien croqué dans ses forces et surtout ses faiblesses: difficile de ne pas se laisser broyer par un système plus grand que soit à l'âge où l'on doit se construire. Point d'orgue, une fin qui pourrait n'être qu'un commencement. En espérant un peu plus de maitrise de la part d'Eragan, mais est-ce bien sûr?
Commentaires
Enregistrer un commentaire