Oltrée! chez John Doe



C'est pas tous les jours qu'on se prend à écrire non seulement la critique d'un nouveau jeu, mais la critique d'une nouvelle manière de jouer. Cet été, je suis tombé amoureux d'Oltrée!, à la lecture mais en y jouant au cours de 4 parties avec mes enfants et certains de leurs copains.

Disons-le tout de suite, je suis a priori assez client des productions du Grümph (son malheureusement confidentiel Charognards reste pour moi une référence en matière de post-apo) même si certains de ses jeux m'ont noyé dans le détail d'univers très (trop?) fouillés. Oltrée! prend le parti inverse, à la manière des premiers jeux medfan: l'univers n'est pas décrit, il est implicite à travers le rôle des personnages, quelques indications au fil du texte et les descriptions des créatures et des pouvoirs des personnages.

Ce qui distingue Oltrée! de jeux medfan passés ou présents c'est d'abord son approche: c'est un jeu tourné sur l'exploration, et le travail préalable du MJ n'est pas dans la création de scénarios ou la description détaillée de lieux à explorer, mais dans la peinture à gros traits d'une région. Oltrée! s'insipire en cela des univers de type sandbox (bac à sable) où chaque hexagone de la carte comporte des accroches, des personnages, et des lieux à découvrir. La différence, c'est qu'Oltrée! n'est pas un sandbox, c'est une boîte à outils pour créer très rapidement une ébauche de sandbox qui s'étoffe progressivement au fil du jeu.

Mon travail préalable (réalisé en partie dans un avion entre Paris et Bombay) a donc été de dessiner une carte sur du papier à hexagone et, une fois les points de repère géographiques posés, de peupler succinctement cette carte de lieux potentiellement intéressants. Le jeu propose une foultitude de conseils, d'approches, de tables aléatoires et autres outils pour faire cette opération assez rapidement. J'avais un peu peur que les outils ne fonctionnent pas avec moi, je suis assez exigeant et j'ai toujours été circonspect à l'idée de création semi-aléatoire. En fait ils m'ont surtout servi à débloquer la créativité, et ça fonctionne plutôt bien. En quelques heures, j'avais une carte de 5 hexagones sur 5, largement assez pour y lancer mes jeunes aventuriers.

Une fois ce travail effectué, on fait les persos et on est prêt à jouer. A Oltrée!, on retrouve toutes les composantes inspirées de D&D, mais revues à la sauce Grümph. Les classes deviennent des métiers, que les personnages peuvent avancer en parallèle à leur guise. Les aptitudes générales se traduisent par trois vocations (Soldat, Voyageur, Erudit) qui couvrent l'ensemble du spectre des actions possibles. C'est simple, très facilement compréhensible et la création de personnage est facile une fois qu'on comprend l'enchaînement qui n'est malheureusement pas expliqué dans le bouquin mais seulement sur la feuille de perso. J'ai d'ailleurs commis un tableau listant les étapes pour clarifier les choses vis à vis de mes joueurs peu expérimentés.

Les personnages appartiennent à la Patrouille, une organisation autrefois officielle qui tente à sa petite échelle de remettre sur pieds l'Empire déchu par les attaques incessantes de Monstres du Roi-Sorcier. Leur rôle est donc une part boy scout (aider les communautés en difficulté, etc.) une part Indiana Jones (explorer les lieux oubliés) et une part Chasseur de Dragons (tuer les monstres et autres fées maléfiques qui menacent ce qui reste de la civilisation.)

De ce fait, une partie du rôle des Patrouilleurs est de sécuriser le territoire. A chaque fois qu'ils voyagent. un des joueurs tire une carte Patrouille. Celle-ci liste des éléments de décor ou des personnages que le joueur doit utiliser pour décrire une situation de départ. Puis, au moment où le MJ dans un jeu normal dirait "Qu'est-ce que vous faites", le MJ d'Oltrée! reprend la main et joue la scène comme dans n'importe quelle autre JdR, sauf qu'il improvise sur la situation brossée par le joueur. La beauté de cette mécanique c'est non seulement qu'elle implique les joueurs dans la création de l'univers (j'étais surpris de vois à quel point mes enfants se souviennent de chaque rencontre au cours de nos parties) mais qu'elle permet au MJ (qui connaît la vue d'ensemble de la région) de rattacher ces rencontres s'il le souhaite à des éléments de décor existants pour créer une cohérence d'ensemble. Là encore, j'avais des doutes à la lecture, mais les gamins (9-15 ans) que j'avais autour de la table n'ont eu aucun mal à décrire des situations, et moi aucun mal à rebondir dessus. Avec des adultes ça aurait été encore plus facile.

Il y a d'autre mécanismes à base de cartes par lesquels les joueurs peuvent influencer ce qui arrive à leur patrouilleur. Les cartes Exaltation d'abord, qui sont distribuées en début de partie et qui peuvent soit être utilisées pour un effet très spécifique (et souvent puissant) si la carte est adaptée au personnage (origine, vocation, motivation) soit être utilisée pour des effets génériques (relancer des dés, annuler une attaque, être mutilé au lieu de mourir, etc.) Il y a également des cartes Persécution qui permettent à un joueur de mettre son personnage dans l'embarras et de laisser le groupe se dépatouiller pour l'en sortir. Jouer ces cartes lui permettent de récupérer des cartes Exaltation supplémentaires.

Les combats sont très rythmés, assez stressants et assez volatils dans la mesure où les dés sont explosifs. C'est à la fois un avantage (tous les combats semblent assez héroïques, et ils sont également très rapides) et un inconvénient parce qu'il est très difficile de doser un combat même en connaissant les capacités des Patrouilleurs. Le parti pris d'Oltrée! est de dire: un danger est un danger, aux joueurs de se rendre compte que la fuite est la meilleure option s'ils s'attaquent à plus fort qu'eux.

Comme je l'ai dit en introduction, je suis tombé amoureux de ce jeu à l'usage, et ce essentiellement pour deux raison:

  • La première c'est qu'il permet de faire du donjon sans la lourdeur mécanique généralement associée à D&D et avec une participation plus active des joueurs, qui sont donc plus impliqués. De plus, en quatre heures de jeu j'ai quelque chose de dense, avec plein de péripéties et d'aventure, sans risquer de me trouver embourbé dans un combat qui n'en finit pas.
  • La seconde, c'est qu'il est absolument conçu pour le quarantenaire que je suis dont la principale ressource manquante est le temps. Avec Oltrée, je prépare en amont, et je fais jouer n'importe quelle partie à n'importe quels joueurs sur le pouce.  

Il y a encore quelques questions que je me pose, à l'usage. D'abord, l'histoire du dosage des combats continue à me perturber un peu: pour rendre un combat excitant, il faut qu'il soit à la hauteur des personnages, et pour le moment, j'ai eu soit tout l'un (les persos éliminent les adversaires les doigts dans le nez) soit tout l'autre (deux quasi-morts dans un combat).

Ensuite, je me demande si les cartes Patrouille ne sont pas un peu répétitives à la longue et ne rendent pas difficile la mise en place d'une trame de jeu plus focalisée si on le souhaite: les cartes font que même aller d'un point A à un point B peut représenter plusieurs heures de jeu. Du coup, si on a le souhait d'insérer dans une région qui se construit par petites touches une trame focalisée, j'ai peur d'une dilution. Mais le meilleur moyen de vérifier ça étant encore de le tester, je sais ce qu'il me reste à faire.

Franchement, Oltrée! est un jeu d'une fraîcheur que je n'ai pas vue dans le JdR depuis bien longtemps et surtout pas dans les pléthores de rétro-clones qui semblent à la mode aujourd'hui. Non seulement j'ai pris mon pied avec mes enfants et leurs copains (ce qui n'est déjà pas rien, et au passage j'ai initié 4 mômes au JdR, deux garçons, deux filles...) mais je n'ai qu'une hâte c'est de relancer ça avec mon groupe régulier. Je ne voudrais pas d'ailleurs vous donner l'impression que Oltrée! est un jeu pour enfants, ce n'est pas le cas, il est juste compatible gamins!

Un dernier commentaire sur le "packaging": Oltrée! a une couverture noire embossée (façon Black Album de Metallica) ce qui n'en rend pas le visuel très vendeur, d'autant que le pack sous cellophane contient aussi les cartes. Le tout fait un peu "amateur", mais c'est juste une contrainte du packaging, ne vous y attardez pas! A l'intérieur, c'est non seulement beau, mais c'est surtout très très bon!

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