L'étonnant voyage de Hareton Ironcastle, de J.-H. Rosny aîné (1922)

Épisode 3

Numéro 39 de la collection Fantastique / SF / Aventure




En deux mots

Encore une histoire d'expédition.

Cette fois, elle est organisée par un Américain avec des participants français et britanniques, et s'enfonce dans une Afrique imprécise, où alternent jungles et savanes sans autre précision géographique. Leur objectif ? Une contrée où l'évolution a suivi une voie parallèle, et où ce sont les plantes qui ont accédé à la conscience.


Pourquoi c'est bien

Parce que c'est un roman d'aventures de 1922 écrit par un géant de la première science-fiction francophone.

On retrouve tous les schémas classiques et ultra-classiques du genre, Afrique pleine de fauves, gorille apprivoisé, effet d'un fusil à éléphants sur une charge de cannibales, héroïne presque tuée par un serpent python... bref, tout, sans que ce soit du « pulp ». Au contraire, c'est très écrit, très littéraire, presque trop par moments : on a perdu l'habitude à force de lire des traductions incertaines de mauvais écrivains américains.

Écrivain de science-fiction, Rosny aîné était aussi un auteur de littérature générale et fut le premier président de l'académie Goncourt. Son style s'est fixé vers 1900 ou un peu avant. Sachant ça, à vous de voir. Moi, des phrases comme « Un marécage, dépassant l'entrée de la sylve, empiéta sur la savane, bordé de haut papyrus, dont les ombrelles tremblotaient dans la faible brise sans cesse renaissante et mourante » ne me dérangent pas, mais si vous êtes allergiques aux constructions compliquées, aux mots rares et aux descriptions à tiroirs, passez votre chemin.

Quant aux héros, ce sont des silhouettes, sans beaucoup de caractère à part d'être héroïques, vaillants, indomptables et j'en passe. Comme il se doit, ils ont assez peu de barrières morales : « Les sauvages utilisent des sagaies empoisonnées ? Testons-en une sur un prisonnier, je suis presque sûr que je peux cautériser la plaie avant que le poison ne l'ait tué ». 

De temps en temps, une petite réflexion discordante vient nous rappeler que nous sommes dans les années 20, et que même de vieux messieurs comme Rosny aîné en viennent à douter que la civilisation blanche et européenne soit éternelle...


Pourquoi c'est lovecraftien

Ça ne l'est qu'à peine, et suelement dans les cinquante dernières pages, mais l'arrivée au pays des plantes évoque des hybridations bizarres, peut-être des expériences de la grand-race de Yith.

En revanche, tout le bouquin est une suite d'interrogations sur « l'humain », avec une progression discrète, mais savamment graduée – les gorilles sont-ils humains ? Les hommes-singes cannibales et vaguement néandertaliens ? Les noirs, tout aussi cannibales, qui leur disputent le territoire ? Les plantes sapiens ? Les Européens qui arrivent avec de gros flingues et roulent des mécaniques ?


À quoi ça peut vous servir ?

Déjà, à faire un tour dans l'esprit d'un écrivain des années 20, et donc, par ricochet, de son public.

Ensuite, à réaliser que quelque chose à changé par rapport à cette époque. Plusieurs, en fait, mais surtout une : le bouquin contient plusieurs descriptions hallucinées de créatures terrifiantes, allant du serpent python au phacochère, qui devaient grandement impressionner le lecteur de 1922 qui n'avait pas la possibilité de se brancher sur National Geographic Channel pour regarder des documentaires sur la faune africaine, mais qui tombent bizarrement à plat aujourd'hui.


Et si vous envisagez de faire jouer Dans les savanes d'Outretemps, que j'ai commis dans Investigations au XIXe siècle pour Cthulhu 1890, je conseille.

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