Oui, le tequila. On est au Mexique, gringo.
Paco Ignacio Taibo II (PIT2) est un auteur de polars mexicains qui aime particulièrement l'histoire mouvementée de son pays et les révolutions en général. Il est d'ailleurs l'auteur de deux énormes biographies, de Che Guevara et de Pancho Villa. Tous ses polars se déroulent au Mexique, dont une série autour de son personnage fétiche, Hector Belascoaran Shayne, un détective borgne basco-argentin accro au Coca-Cola (si si). Cette dernière série est écrite avec un humour qui ne trahit pas le mélange de misère et de crasse du roman noir, ce qui est assez surprenant. Un des romans de cette série a même été écrit avec le S.-C. I. Marcos (Des Morts Qui Dérangent) et, tout comme les autres de la série, n'hésite pas à remuer le couteau dans une des nombreuses plaies encore ouvertes du Mexique : corruption, trafics, politique verrouilée, opposants "disparus", etc.
Ombre de l'Ombre se déroule en 1922. La Révolution mexicaine a, à moitié seulement, échoué depuis trois ans et le pouvoir se partage entre les nombreux militaires ayant retourné leur veste au bon (et souvent dernier) moment. Le Mexique n'a rien vu de la première guerre mondiale, puisque la révolution a duré de 1910 à 1917. Plus exactement, la Révolution, elle, n'a duré qu'un an. Ce qui s'est ensuivi est une longue guerre civile, précédé d'une brève dictature, entre plusieurs factions révolutionnaires armées. En 1917, c'est la promulgation par Carranza d'une nouvelle constitution, encore en vigueur aujourd'hui même si lourdement amendée (cf. article 27). La Révolution a échoué depuis 3 ans, disais-je, car c'est en 1919 que Zapata se fait assassiner, symbole de l'aspect le plus populaire de la Révolution et, pour moi, signal de la fin de celle-ci. Un an plus tard, Obregon est le premier président élu.
Pendant toute cette période, le monde a changé. Non seulement la 1°G.M. mais aussi la Révolution Russe ont changé le visage du monde. Le Mexique est donc écartelé entre les intérêts personnels de tout ceux qui ont un peu de pouvoir, les intérêts étrangers sur son pétrole, une forte montée de la lutte syndicale et sa population qui essaie simplement de vivre, dans tout ça. Une population qui, souvent, est armée et a probablement combattu dans un camp ou un autre lors des années plutôt violentes qui viennent de s'achever.
Les quatre personnages du roman sont de parfaits exemples de cette population : PIT2 met en scène un journaliste de chiens écrasés doué, un meneur anarcho-syndicaliste, un poète qui se fait payer pour créer des slogans publicitaires et a combattu avec Pancho Villa et, enfin, un avocat plutôt doué mais qui a choisi d'exercer son sacerdoce auprès des putes et truands des bas-fonds de Mexico. Ils se retrouvent, régulièrement, pour jouer aux dominos et vont se retrouver, malgré eux, embringués dans une histoire aux ramifications complexes qui se nourrit du passé révolutionnaire et implique des profiteurs de cette révolution très hautement placé.
PIT2 écrit très bien et, aussi, maîtrise parfaitement les codes du genre. Un bon polar, ça commence dans des arrières salles qui sentent la fumée et la sueur mais les méchants sont toujours dans les hautes sphères. Les héros sont des types dur, souvent brisés à l'intérieur, mais opiniâtres et aussi tenaces et méchants que des pitbulls. Les héros sont exactement ça et n'hésiteront ni sur la violence ni sur le meurtre pour arriver à leurs fins. Pour que le lecteur ne se perde pas, la partie hebdomadaire de dominos des personnages - et les dominos, c'est sacré - permet, et pour eux et pour lui, de faire le point sur l'histoire. C'est bien conçu, et l'architecture de chapitres courts permet une lecture très rapide de ce roman, découpé selon une tension forte, nerveuse.
Aussi, l'auteur ne tombe pas dans le piège de Tchekhov : toutes les intrigues ne sont pas reliées. Il y a aussi des intrigues annexes qui permettent de s'interroger et rend plus vivant l'ensemble. Combien de fois, dans un roman, a-t-on l'impression qu'il ne se passait rien avant le début de l'histoire, que tout ce qui se passe a forcément un rapport et qu'il ne se passera rien après la fin ? Ce n'est pas le cas ici. Ces intrigues annexes donnent vie au monde qui tourne autour des personnages et PIT2 arrive à faire vivre ce Mexique particulier, avec tous ses problèmes, ses factions, des difficultés mais aussi ses clichés. Evidemment, connaître un peu l'histoire du pays permettra de savourer certaines allusions, certains détails, mais n'est absolument pas nécessaire.
L'humour de PIT2, au milieu de son polar noir, est là aussi une note tout à fait mexicaine. Ca va mal mais la vie n'est pas finie, alors on va sortir le tequila et la marimba.
Un succulent polar avec des personnages un peu exagérés mais, finalement, représentatifs du Mexique.
Ombre de l'Ombre de Paco Ignacio Taibo II chez Payot/Rivages, 8,65€
Paco Ignacio Taibo II (PIT2) est un auteur de polars mexicains qui aime particulièrement l'histoire mouvementée de son pays et les révolutions en général. Il est d'ailleurs l'auteur de deux énormes biographies, de Che Guevara et de Pancho Villa. Tous ses polars se déroulent au Mexique, dont une série autour de son personnage fétiche, Hector Belascoaran Shayne, un détective borgne basco-argentin accro au Coca-Cola (si si). Cette dernière série est écrite avec un humour qui ne trahit pas le mélange de misère et de crasse du roman noir, ce qui est assez surprenant. Un des romans de cette série a même été écrit avec le S.-C. I. Marcos (Des Morts Qui Dérangent) et, tout comme les autres de la série, n'hésite pas à remuer le couteau dans une des nombreuses plaies encore ouvertes du Mexique : corruption, trafics, politique verrouilée, opposants "disparus", etc.
Ombre de l'Ombre se déroule en 1922. La Révolution mexicaine a, à moitié seulement, échoué depuis trois ans et le pouvoir se partage entre les nombreux militaires ayant retourné leur veste au bon (et souvent dernier) moment. Le Mexique n'a rien vu de la première guerre mondiale, puisque la révolution a duré de 1910 à 1917. Plus exactement, la Révolution, elle, n'a duré qu'un an. Ce qui s'est ensuivi est une longue guerre civile, précédé d'une brève dictature, entre plusieurs factions révolutionnaires armées. En 1917, c'est la promulgation par Carranza d'une nouvelle constitution, encore en vigueur aujourd'hui même si lourdement amendée (cf. article 27). La Révolution a échoué depuis 3 ans, disais-je, car c'est en 1919 que Zapata se fait assassiner, symbole de l'aspect le plus populaire de la Révolution et, pour moi, signal de la fin de celle-ci. Un an plus tard, Obregon est le premier président élu.
Pendant toute cette période, le monde a changé. Non seulement la 1°G.M. mais aussi la Révolution Russe ont changé le visage du monde. Le Mexique est donc écartelé entre les intérêts personnels de tout ceux qui ont un peu de pouvoir, les intérêts étrangers sur son pétrole, une forte montée de la lutte syndicale et sa population qui essaie simplement de vivre, dans tout ça. Une population qui, souvent, est armée et a probablement combattu dans un camp ou un autre lors des années plutôt violentes qui viennent de s'achever.
Les quatre personnages du roman sont de parfaits exemples de cette population : PIT2 met en scène un journaliste de chiens écrasés doué, un meneur anarcho-syndicaliste, un poète qui se fait payer pour créer des slogans publicitaires et a combattu avec Pancho Villa et, enfin, un avocat plutôt doué mais qui a choisi d'exercer son sacerdoce auprès des putes et truands des bas-fonds de Mexico. Ils se retrouvent, régulièrement, pour jouer aux dominos et vont se retrouver, malgré eux, embringués dans une histoire aux ramifications complexes qui se nourrit du passé révolutionnaire et implique des profiteurs de cette révolution très hautement placé.
PIT2 écrit très bien et, aussi, maîtrise parfaitement les codes du genre. Un bon polar, ça commence dans des arrières salles qui sentent la fumée et la sueur mais les méchants sont toujours dans les hautes sphères. Les héros sont des types dur, souvent brisés à l'intérieur, mais opiniâtres et aussi tenaces et méchants que des pitbulls. Les héros sont exactement ça et n'hésiteront ni sur la violence ni sur le meurtre pour arriver à leurs fins. Pour que le lecteur ne se perde pas, la partie hebdomadaire de dominos des personnages - et les dominos, c'est sacré - permet, et pour eux et pour lui, de faire le point sur l'histoire. C'est bien conçu, et l'architecture de chapitres courts permet une lecture très rapide de ce roman, découpé selon une tension forte, nerveuse.
Aussi, l'auteur ne tombe pas dans le piège de Tchekhov : toutes les intrigues ne sont pas reliées. Il y a aussi des intrigues annexes qui permettent de s'interroger et rend plus vivant l'ensemble. Combien de fois, dans un roman, a-t-on l'impression qu'il ne se passait rien avant le début de l'histoire, que tout ce qui se passe a forcément un rapport et qu'il ne se passera rien après la fin ? Ce n'est pas le cas ici. Ces intrigues annexes donnent vie au monde qui tourne autour des personnages et PIT2 arrive à faire vivre ce Mexique particulier, avec tous ses problèmes, ses factions, des difficultés mais aussi ses clichés. Evidemment, connaître un peu l'histoire du pays permettra de savourer certaines allusions, certains détails, mais n'est absolument pas nécessaire.
L'humour de PIT2, au milieu de son polar noir, est là aussi une note tout à fait mexicaine. Ca va mal mais la vie n'est pas finie, alors on va sortir le tequila et la marimba.
Un succulent polar avec des personnages un peu exagérés mais, finalement, représentatifs du Mexique.
Ombre de l'Ombre de Paco Ignacio Taibo II chez Payot/Rivages, 8,65€
Ça donne envie, merci Loris.
RépondreSupprimerPar contre, S.-C. I. Marcos, j'ai mis un moment à comprendre ce que tu voulais dire par là.
"It´s a mouthful" comme y disent ;)
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