Histoire d'un futur proche orphelin

En 2012 disparaissait celui qui fut, pour moi, l'un des plus grands auteurs de SF français. Les rôlistes qui traînent leurs guêtres en masse dans le coin se rappelleront sûrement l'excellence de la section "inspis" de la première version de Casus Belli, signée par le même bonhomme, à savoir Roland C. Wagner (RCW).

Passionné de rock, RCW est l'auteur d'un grand nombre de romans de science fiction qui partagent comme caractéristique un certain optimisme, voire un certain amour, pour l'espèce humaine. La série de romans que le public connaît parce qu'elle est toujours dispo chez un éditeur de bonne taille, à savoir les Futurs Mystères de Paris (Atalante), excellente au demeurant, n'est qu'une période dans une œuvre beaucoup plus ambitieuse, une vraie cathédrale littéraire, nommée Histoire d'un Futur. RCW n'a jamais mis en exergue ce fait sur les couvertures de ses livres, probablement parce que Fleuve Noir n'avait pas grand intérêt à le faire à l'époque, mais la plupart des livres qu'il a écrit se trouvent sur une même trame historique, de la fin du XXè siècle avec Le Serpent d'Angoisse jusqu'au futur le plus lointain avec Le Chant du Cosmos, le tout saupoudré de nombreuses nouvelles. Le problème était que RCW étant resté extrêmement confidentiel, tous ces romans furent publiés chez de multiples éditeurs, aux destins variés : Fleuve Noir, Mnemos, Atalante, L'Hydre, etc. Et trop souvent épuisés.




Heureusement, Les Moutons Electriques ont décidé de rendre hommage à cet auteur et rééditent dans leur collection un peu luxueuse (couverture cartonnée, jaquette) les ouvrages de jeunesse de l'auteur, agrémentés de nouvelles rares. Ainsi, Poupée Aux Yeux Morts a été réédité dans une belle édition augmentée et relue par l'auteur. Ainsi, Histoire du Futur Proche va rassembler en deux volumes les ouvrages du cycle "Histoire d'un Futur" qui précèdent Les Futurs Mystères de Paris. Ainsi, une réédition annoncée des livres du Faisceau Prismatique mais ce dernier fera sûrement l'objet d'un billet à part entière quand je l'aurai lu car ce sont les seuls ouvrages du monsieur qui me restent à lire, ne les ayant jamais trouvé en occase, c'est vous dire comme je piaffe d'impatience.

J'ai donc relu avec un plaisir certain les romans qui composent ce premier volume des Histoire du Futur Proche, soit 3 romans et une nouvelle auparavant introuvable.

Dans les Futurs Mystères de Paris, que je vous encourage fortement à lire et que je vais abréger en FMP, le personnage principal - Tem - évoque régulièrement deux événements graves ayant meurtri l'humanité entière et qui sont à la racine de ce qu'elle est dans ces romans : fortement tribalisée (en alt-cultures, diraient les fans de cyberpunk) et très très faiblement violente. Il y a tout d'abord le psytaclisme, un jour où la sphère des Idées, la "psychosphère" où vivent les avatars jungiens générés par l'imagination humaine, est entrée en contact avec la terre. Il y a ensuite la grande terreur primitive, finalement peu décrite dans les FMP. En fait, le psytaclisme est décrit dans Le Serpent d'Angoisse et dans Musiques de l'Energie alors que la grande terreur est le coeur des Derniers Jours de Mai.

Le Serpent d'Angoisse et Musiques de l'Energie
A la fin du XXè siècle, des scientifique découvrent une nouvelle drogue qui permet de voyager en rêve dans un univers parallèle, appelée psychosphère. Certains êtres humains, télépathes, sont capables de modeler des petits univers de poche au sein de cette psychosphère et une entreprise, la Telepathic Trips Organization (TTO) propose à ses clients des rêves sur mesure où assouvir ses fantasmes. Dans Le Serpent d'Angoisse, l'arrivée massive de voyageurs directement dans l'inconscient humain va entraîner pas mal de chamboulements qui vont mener à la destruction du rêve américain et le réveil des archétypes, incarnation "vivantes" dans la psychsophère de concept humains (par exemple, le Rock n'roll). Un des personnages principaux, télépathe latent, va empêcher que l'humanité s'enfonce dans sa propre autodestruction. Suite directe, Musiques de l'Energie est un nouveau combat pour le héros mais, cette fois, contre un archétype très ancien, très puissant, surnommé Dragon Rouge. Aidé par l'archétype du Rock, il va devoir se battre à moitié dans la psychosphère, à moitié dans la réalité, pour empêcher que la jonction des deux univers ne débouche sur un cataclysme.
Dans ces deux romans, publiés à l'origine chez Fleuve Noir (coll. Anticipation), il s'agit d'une course en avant, endiablée, pour sauver le monde. Le lecteur est entraîné sur un long sprint sonorisé avec des longs riffs de guitares complexes, le tout dans l'univers extrêmement personnel et étonnant de RCW.

Les Derniers Jours de Mai
Plus ambitieux, plus travaillé mais aussi longuement mûri, ce roman raconte l'histoire de Théo, alias "Killer". Les télépathes des romans précédents n'étaient que le début de l'apparition de ceux qui ont été surnommés Homo Sapiens Superior, des mutants avec des pouvoirs psychiques, souvent un unique talent, comme la télépathie ou la télékinésie. Killer se réveille au début du roman d'un long, très long voyage dans la déchéance héroïnomane. En prenant un train au hasard pour fuir Amsterdam, il se retrouve à Paris et en contact direct avec le passé qu'il avait choisi de fuir dans la drogue. Difficile, en effet, de survivre à l'idée que, lors de l'apparition de ses propres pouvoirs, on a tué sans vraiment le vouloir, psychiquement, plusieurs dizaines de milliers de personne. Il est donc la personne la plus haïe de la planète. Sauf que...
Sauf que plus Killer creuse, plus ce passé est bizarre, buggé, incomplet...
Je ne souhaite pas en dire plus de peur d'en dire trop mais ce roman est une construction fascinante même s'il a parfois des faiblesses. C'est en tout cas avec lui que les premières bases des FMP vont vraiment être posées et faire de toute l'Histoire d'un Futur un cycle majeur de la SF. C'est une excellente source d'inspiration pour qui voudrait faire jouer au jeu de rôles Nobilis mais je recommanderais volontiers tout ce cycle aux fans de Neil Gaiman (Sandman, American Gods, Anansi Boys), de Hal Duncan (Le Livre de Toutes les Heures) ou de Piers Anthony (On A Pale Horse) et de ces univers où des dieux-concepts sont incarnés et se baladent sur Terre...

Un regret
Je suis ravi que ces romans soient réédités car ils devenaient franchement difficile à trouver. L'ajout de nouvelles rares et de documents supplémentaires sont le réel bonus qui m'a fait débourser pour des romans que j'avais déjà lus.
Je trouve dommage, par contre, que Les Moutons n'aient pas fait plus d'efforts pour relire Les Derniers Jours de Mai. L'ouvrage est plein de nombreuses coquilles* or il me semble que la version du texte, relue, que RCW avait mis en ligne sur son compte Facebook et grâce à qui j'avais pu enfin lire ce roman était corrigée : je ne me souviens pas d'un texte aussi abîmé. C'est pas glop mais le pire c'est la présence à au moins deux reprises, peut-être trois, d'une phrase complète mise là par un relecteur pour signaler une correction qu'il a effectuée. C'est vraiment dommage, surtout dans un ouvrage qui se veut une réédition un peu luxueuse en hommage à un grand écrivain trop tôt disparu... J'espère que le deuxième volume ainsi que Poupée Aux Yeux Morts et Le Faisceau Prismatique ne souffriront pas de ce défaut.

Je profite, enfin, de cette dernière ligne pour écrire que, si Roland est disparu bien trop tôt, il a eu le temps d'achever ce qui est probablement son chef d'oeuvre, Rêve de Gloire, un ouvrage ambitieux, le plus complexe et personnel de l'auteur.

Roland C. Wagner - Histoire du Futur Proche - Tome 1 chez Les Moutons Electriques

* : un exemple parmi d'autres : à de nombreuse reprises il y a du conditionnel au lieu de futur. Par ex, p334 "Je lutterais" alors que cela devrait être "Je lutterai". Les coquilles, dans un ouvrage, il y en a toujours et c'est normal mais là elles sont vraiment trop nombreuses pour être ignorées, et sont surtout rassemblées dans un seul des ouvrages compilés.

Commentaires

  1. Celui-ci est sur ma pile IMBM (It Must Be Mine!).

    Bientôt, oh oui...

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire