Les inconnus de Versailles, de Jacques Levron



Versailles. Grosse ville morne, repassée et amidonnée, où le visiteur qui s’égare hors des sentiers battus ne croise guère que des bourgeois austères, des bourgeoises à serre-tête et des gamins pétrifiés d’ennui. Quant au château, monument glacial à la mégalomanie du pire tyran qui ait posé son auguste fistule sur le trône de France, pour ce qu’il m’émeut, il pourrait aussi bien se trouver en Corée du Nord.

Mais ça, c’est aujourd’hui. Pendant le siècle où il a fonctionné autrement que comme une carcasse embaumée à l’usage des touristes, le château avait une tout autre physionomie : une somptueuse pétaudière, une sorte de Wastburg monumental avec plus de dorures et de poux, grouillant de monde le jour, plein jusqu’à la dernière soupente la nuit, infesté de voleurs, encombré de baraques en planches où l’on vendait tout et n’importe quoi – apparemment, il y en avait partout : Marie-Antoinette se plaignait d’avoir un bureau de la loterie royale à l’entrée de l’escalier de ses appartements.

Les courtisans issus de la haute noblesse y étaient en minorité face aux « utilités », titulaires d’une charge ou d’un office. Et ceux-ci semblent bien avoir été moins nombreux que les laquais, les quémandeurs et autres touristes (que les Suisses doivent parfois faire dégager de force parce que si si, Sa Majesté a besoin du salon d’Hercule tout de suite, alors sortez, maintenant). Au fil de la balade, le visiteur croise aussi des gamins qui, pour quelques piécettes, font office de messagers, galopant d’un étage à l’autre sans jamais se perdre – ce pour quoi on les appelle des « galopins » – sans oublier une foule d’entremetteurs plus ou moins escrocs qui acceptent de vous « aider » moyennant finances.

Bien écrit et vite lu, Les inconnus de Versailles dessine une image en pointillé du château de 1690 à 1790. Du valet de chambre de Louis XIV, redoutable personnage qui « avait la confiance des paquets secrets et des audiences inconnues » au professeur de langues étrangères des enfants de Louis XVI, le lecteur parcourt une vingtaine de portraits et, à travers ces personnages, leurs temps, leurs alliances, leurs ennemis, leur chute parfois. La vue en coupe, forcément très incomplète, traite à la fois de grands nobles et d’individus infimes, comme ce Charles Pelletier, qui s’endette en 1784 pour avoir l’honneur d’être, un trimestre par an, le porteur du panier de pique-nique de la reine.

Au-delà des dynasties de serviteurs, qui se marient entre eux et finissent par s’agréger doucement à la noblesse, certains portraits débouchent sur des descriptions de tel ou tel service. On entrevoit ainsi la lourde équipe médicale qui entoure le roi de soins aussi attentifs que dangereux ou le complexe organigramme des Menus plaisirs, qui gère aussi bien les fêtes que les enterrements, ainsi que les théâtres parisiens et quelques autres bricoles. Les « maisons » des princesses, où les dames d’honneur complotent les unes contre les autres dans un ballet aussi toxique qu’insignifiant, fournissent aussi leur quota d’anecdotes. Tout cela est attendu. En revanche, les « serdeaux », ces serviteurs préposés à… servir l’eau, sont plus inattendus : sans poser leurs carafes, ils avaient fini par s’octroyer un monopole sur la vente des restes de la table royale, restes réchauffés et revendus aux passants dans les fameuses baraques en planches…

La balade réserve quelques surprises plus ponctuelles : un singe incendiaire, un commissaire de police anticlérical qui enquête sur un cas de hantise en ville, ou encore une marquise qui obtient de Louis XV le poste de Grand écuyer de France et gère les écuries royales pendant quinze ans, alors que la charge est théoriquement réservée aux hommes.

D’autres chapitres nous baladent dans l’envers du décor, celui des truands qui prennent leurs aises au point, un beau soir, de faucher la montre en or de Louis XV. De temps à autre, une enquête met au jour une bande organisée capable de faire disparaître des bijoux pour les revendre à l’autre bout du royaume, voire à Londres…

Quant à la ville, complément indispensable du château qui la fait vivre, elle est sans cesse présente. Les courtisans s’y logent et y mangent mal et pour plus cher qu’à Paris, ceux qui réussissent y font construire des hôtels particuliers, ceux qui succombent aux pièges de la cour se résignent à la quitter pour regagner leur province. Elle fonctionne en symbiose avec le château, et mourra avec lui, lorsque Louis XVI regagnera Paris.

Bien écrit et divertissant, Les Inconnus de Versailles, reste de l’histoire avec un tout petit « h », même si Terreur et guillotine s’invitent dans les derniers chapitres. Ça ne fait pas réfléchir à grand-chose, mais on sourit parfois, ou on se dit que la vie est définitivement plus inventive que les romans.


Le Versailles actuel me fait toujours autant penser à un cadavre mal embaumé, mais il me vient comme une nostalgie du XVIIIe siècle, d’un seul coup…

Commentaires

  1. Sympa. Je me le garde dans un coin de mémoire pour une future lecture.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire