Poulpe et Révolution Française

Dire qu'il aura fallu attendre 2017 et des américains pour avoir un scénario de l'Appel de Cthulhu pendant la Révolution Française... Bon, nous on a eu plusieurs jeux sur le sujet, hein (Khaos 1795, un autre qui surfait sur le bicentenaire, ...). Cependant, Reign of Terror est un chouette scénario en deux parties et, de manière surprenante, il peut s'attacher à Terreur sur l'Orient Express sous forme d'un scénario flashback  (ou effet Mnemos, huhu) car il développe en fait un point de l'intrigue de cette dernière.


Attention, cet article contient potentiellement du spoïeuhlère:


Les personnages prétirés sont des soldats des armées du Roi (Louis XVI, donc, c'est bien, y'en a deux qui suivent). Ils sont relativement interchangeables mais ont néanmoins un background un peu développé sur lequel une joueuse va pouvoir construire. Certains ont des sentiments plutôt royalistes, d'autres plutôt populaires. L'un d'eux est une femme qui se déguise en homme. Ils ont une famille, des amis, voire des amourettes que le MJ chafouin ne manquera pas d'exploiter.
Le diptyque du recueil commence par une séquence cinématique où les joueuses vont voir un homme porté sur une carrioles vers la guillotine. Dans la foule, il y a leurs parents et amis (même s'ils ne les reconnaissent pas forcément). L'ambiance est posée, on peut y aller, maintenant.

Premier scénario - 1789 - Révolution
Ce scénario est, je pense, le plus court des deux en termes d'intrigue. Les personnages sont affectés à la surveillance du transfert des cimetières de Paris vers les Catacombes. Alors qu'ils surveillent ce lugubre spectacle, leur capitaine leur ordonne d'aller enquêter sur un fait divers pas loin en attendant l'arrivée des renforts. Il faut agir vite car il craint que la gronde populaire ne se change en émeute, vu les tensions qui agitent la ville depuis plusieurs mois. Le fait divers est un quadruple meurtre sordide qui va les emmener enquêter sur les agissements d'un noble libertin particulièrement sulfureux, le Comte Fenalik (cf. Terreur Sur L'Orient Express) et mettre fin à ses agissements.
Ceci fait, les personnages vont être pris par les événements de la Révolution comme des fêtus de paille dans un ouragan. Quelques événements clef seront présentés comme scénettes où les personnages vont pouvoir agir mais la Révolution est en marche et il ne pourront l'arrêter. Ces scénettes servent surtout à présenter l'ambiance et à tester les loyautés et sentiments des PJs.

Second scénario - 1794 - Terreur
Cinq ans se sont écoulés et la guillotine marche désormais jour et nuit. Le rêve révolutionnaire a pris fin : la tyrannie monarchique laisse la place à la tyrannie de Robespierre et le régime de la Terreur bat son plein. N'importe qui peut finir décapité sur une délation et le Comité de Salut Public n'a qu'un verdict : la mort.
Suivant les agissements des personnages au cours du précédent scénario, la situation entre eux a pu changer. Les personnages se retrouvent, à nouveau, au transfert de cimetières vers les Catacombes (pas forcément en tant que soldats, par contre. Eventuellement en tant que crève-la-dalle cherchant à gagner un peu de blé). Là, ils découvrent que l'oeuvre du Comte Fenalik a été reprise par quelqu'un et que les guillotines ont un objectif autrement plus terrifiant que le simple massacre d'opposants et le maintien d'une dictature de fait. Avec des alliés étonnants et au prix de grands sacrifices, les personnages vont y mettre fin.

Conclusion
Fonce, c'est d'la bonne. Si le premier scénario est un peu court voire un chouïa faiblard, il se rattrappe par la façon dont les personnages vont être mêlés à la Révolution. Le second scénario est, lui, une réussite complète. L'ensemble forme un bon gros scénario en deux actes avec un interlude exceptionnel. D'autant plus que le MJ se voit fourni des synopsis pour occuper les personnages pendant les 5 ans entre les deux actes. Le livre fournit aussi de très belles cartes et d'excellentes annexes pour un meneur qui souhaiterait faire jouer durant l'époque Révolutionnaire (occupations pour les personnages, quelques armes d'époque, des ressources diverses, etc.).
J'ai vraiment trouvé ça très bien et je compte bien le faire jouer aussitôt que possible, sans le lier à Terreur Sur L'Orient Express, que je ne possède pas. Et, même si je la possédais, mes chances de la faire jouer serait quasi-nulles vu la taille de la bête. De toutes façons, ce scénario tient très bien tout seul, sans l'adosser à la campagne-mère.

Catacuistrerie
Bon, si j'ai adoré, je ne peux m'empêcher de mettre ma casquette de cataphile et de corriger quelques erreurs factuelles qui ornent le début du premier scénario. Si vous voulez être historiquement exact, sans dénaturer cette scène d'introduction du scénario 1789, voici quelques corrections :
1/ S'il est vrai que le travail de transfert du cimetière des Saints Innocents était fini au bout de 15 mois (début 1787), c'était loin d'être le seul cimetière de Paris. Au total, auront été vidés 17 cimetières publics ainsi que les sépultures de 145 monastères, couvents etc. et de 160 lieux de culte. Les transferts n'ont pas ou peu cessé jusqu'en 1814. Ils reprennent en 1842 jusqu'en 1860. Les corps de toutes les victimes de la Révolution (dont les grands noms de celle-ci, comme Danton ou Robespierre) se trouvent là aussi.
2/ Le convoi (du moins au début et à l'époque qui nous intéresse) est précédé de choeurs religieux portant la lanterne des morts, suivi de porteurs de torches. Le convoi est suivi de prêtres chantant l'office des morts. Les 11000m² des catacombes sont consacrés dès 1786.
3/ Arrivé au bout du chemin, les chariots sont vidés dans un puits de service. Les ouvriers sont 20m plus bas et ramassent ce qui tombe pour le ranger.
4/ En bas (accessible par un escalier de service proche), les restes sont simplement entassés par cimetière d'origine avec un panneau. On ne triait pas crânes et os pour faire de la déco. La décoration en hagues d'os et alignements de crâne, ainsi que les plaques pompeuses, sera effectuée en 1810-1811 par Héricart de Thury pour rendre le lieu visitable. Les sculptures de Décure, elles, ont été sculptées entre 1777 et 1782. Ca pourrait surprendre les personnages s'ils tombent dessus (ou sur l'étrange ébauche, probablement postérieure à sa mort car de 1783 se trouvant sous l'Aqueduc d'Arcueil)
5/ Ce sont normalement les hommes de la police de Louis Thiroux de Crosne qui surveillent les opérations et non l'armée. Mais, ça, impossible de le changer pour le scénario (ou alors vous pouvez dire que, à titre exceptionnel, l'armée gère ce soir là, la police étant occupée ailleurs).

Port Mahon (Minorque) par Décure, ca. 1780
L'avis de Tristan
En septembre 2012, au moment où Chaosium lançait le Kickstarter de Terror on the Orient Express. Et en lisant le chapitre parisien, j'ai eu une illumination : "bon sang, le règne de Louis XVI ferait un décor génial pour L'Appel de Cthulhu". Cinq ans plus tard, le manuscrit de Cthulhu 1780 a largement dépassé le demi-million de signes, et il lui reste du chemin a faire.

Ce qui est extraordinaire, c'est qu'à l'autre bout du monde, un Australien se soit dit, en partant du même chapitre "bon sang, la Révolution ferait un décor génial pour L'Appel de Cthulhu". Il a bougé plus vite que moi, mais ce n'est pas grave parce qu'on ne se marche pas sur les pieds.

Donc, que penser des deux scénarios ?

Première partie : je ne rejoins pas tout à fait mon éminent collègue quand il dit qu'il est "un chouïa faiblard", il est surtout contraint : tel qu'il est écrit, il doit aboutir à la situation du scénario parisien de 1923 telle qu'elle est écrite. Sauf que dans les deux cas, il y aura certainement des effets de bord, et un petit peu de recollage sera certainement à l'ordre du jour dans l'un ou l'autre, selon celui qui sera joué en premier (en supposant, bien sûr, que Reign of Terror soit intégré dans la campagne). Du coup, avec un degré de liberté narrative supplémentaire et peut-être un bout d'enquête sur le "cercle enchanté" de la reine, il gagnera en intérêt.

Seconde partie : nous sommes d'accord, c'est de la très bonne came. Pas forcément simple à mettre en scène, et avec des enjeux qui peuvent être forts si les joueurs sont en veine de roleplay, mais très bien.


Intégration à Terreur sur l'Orient Express
Les auteurs le disent eux-mêmes : intégrer Reign of Terror au corpus principal de la campagne dans la foulée du scénario parisien de 1923 risque de poser de menus problèmes - à savoir que la campagne proprement dite disparaîtra, écrasée par les scénarios historiques comme un lapin imprudent par la locomotive de l'Orient express.

En effet, entre Londres et Paris, il y a potentiellement le scénario victorien à jouer, et le scénario dans les Contrées du rêve risque de se déclencher juste après Paris. Or, tous deux sont de mini-campagnes, nettement plus copieux que les scénarios "principaux". Et tous deux paraissent maigrichons par rapport à Reign of Terror, qui est une vraie petite campagne en deux épisodes.

Les auteurs, conscients du problème, suggèrent de le faire jouer beaucoup plus tard dans la campagne, entre Sofia et Istanbul, et proposent à ce moment-là un moyen de faire tomber le document qui déclenche le scénario. C'est sans doute une bonne solution, mais elle a ses propres périls - jouer un gros scénario en deux parties, dont la moitié n'est pas liée à la campagne, au moment où la tension doit être à son maximum (les investigateurs viennent de liquider une grosse menace, ils filent vers ce qu'ils pensent être le point culminant d'une longue quête à travers l'Europe eeet... envoyez un flash-back !)

Abondance de biens ne nuisant pas, et la campagne étant devenue très modulaire, le flash-back victorien peut être joué en "premier scénario" ou ignoré entièrement, et le scénario dans les Contrées du rêve est excellent mais optionnel.

Au bout du compte, je me demande si je ne ferai pas jouer Reign of Terror "isolément", quelques mois avant de lancer la campagne avec le même groupe. Ca pourrait donner un effet intéressant de... "mais... mais attend, on n'est pas déjà venus ici ?" Et ça permettrait aussi de caler la situation de 1923 sur la fin de l'acte I.

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