Liminal

Liminal est un petit jeu auto-édité - l’ouvrage ne fait mention d’aucun éditeur, mais il est distribué par Modiphius (1) - par la grâce d’un financement participatif. S’il n’est pas parfait, il est un bon (et rare) contre-exemple qu’un auteur peut se publier lui-même et accoucher d’un produit de bonne qualité, sur le fond comme sur la forme.

Le petit format de 284 pages, couverture rigide, intérieur couleur, avec tranchefil et signet, est de très bonne facture. Malgré quelques maladresses (2), la maquette met bien en valeur les nombreuses illustrations. Le bouquin est à la fois sobre et classe. Bon, l’absence de fiche de personnage au profit de l’insupportable liste de backers me fera toujours râler, mais on va dire que c’est à peine mineur. Et l’index n’est lui pas oublié, même si l’ouvrage court et très bien organisé ne le rend pas indispensable.

Dans Liminal, les joueurs incarnent des personnages situés à la lisière d’un Monde Caché où fantômes, vampires, faës et loups-garous existent réellement. Difficile bien sûr de ne pas penser au Monde des Ténèbres. Liminal s’en inspire en réalité peu. Ici, les PJ ne font pas parties de ce monde fantastique. Ils en connaissent l’existence et mènent une vie d’enquête en lien avec celui-ci (et bien souvent provoqué par lui). Ils peuvent toutefois avoir quelques pouvoirs en étant magiciens, changeling (fils ou fille de l’union d’un faë et d’un ou une humaine) ou, au plus fantastique, loup-garou, ceux-ci étant par définition à mi-chemin entre le monde des hommes et le monde caché.
Un tiers de l’ouvrage est consacré à ce contexte et à ses factions. Quoique très ouvert, il se centre intelligemment sur la Grande-Bretagne et est fortement lié à son histoire et ses légendes. Même si certaines références ont clairement dû m’échapper, cela reste assez superficiel pour l’exploiter facilement sous un angle ou un autre – enquêtes fantastiques, horreur, intrigues politiques… Cette absence d’approche peut évidemment aussi être vu comme un défaut, mais l’environnement décrit ne manque pas d’accroches ludiques facilement exploitables, une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du formidable Meute.

Côté règles, Liminal fait dans le simple et ne repose quasiment que sur deux éléments. Les compétences, réparties en trois groupes (sociales, physiques et mentales) prennent une valeur de 0 à 4. Les tests consistent à ajouter votre compétence à 2d6, contre une difficulté moyenne de 8.
Les traits (et leur contrepartie, les limitations) sont des capacités spécifiques particulières. Cela regroupe des avantages classiques mais aussi les pouvoirs surnaturels. Plusieurs magies sont par exemple proposées, de la géomancie (consistant à tirer un pouvoir d’un lieu aux dispositions particulières) à la nécromancie. L’ensemble gravite autour des points de volonté. Ces derniers servent à améliorer un jet, résister à des blessures graves mais aussi à activer les pouvoirs.
Le groupe de PJ bénéficie aussi d’une fiche propre, comprenant plusieurs aspects de contexte (ses objectifs, ses relations avec les différentes factions du jeu…) et quelques avantages de groupe (du matériel, un QG, un accès à un laboratoire ou une librairie occulte…).
Bien qu’assez classiques (pour ne pas dire banales), les règles tiennent largement la route. La place centrale de la Volonté reflète plutôt bien l’univers crépusculaire dépeint où les lieux disposant encore d’énergie magique se font rares et l’objet de luttes d’influences et de pouvoirs entre de nombreuses factions toutes plus isolées et unes que les autres, le tout dans une ambiance anglo-saxonne légendaire du meilleur gout.

En plus de quelques conseils avisés et d’un bestiaire/catalogue de PNJ bien fourni, l’ouvrage propose deux scénarios – ou plutôt deux synopsis – tous les deux très intéressants. Il restera à mettre un peu de chair sur ces squelettes, mais l’ossature est solide. En parlant d’aventures : l’accessibilité de ce jeu le rend adapté aussi bien à un one-shot qu’à une campagne, même si le matériel fourni dans le livre de base nécessite d’être étendue pour jouer au long court. Sans être le jeu du siècle, Liminal est au final tout à fait convaincant.

(1) L’ouvrage ne mentionne aucun éditeur. Certains sites mentionnent Modiphius (Probable confusion avec le distributeur). La fiche de l’ouvrage sur le Grog indique elle 101 Games, avec lequel l’auteur a en effet travaillé, mais c’est une erreur : 101 Games ne liste pas le jeu dans ses publications sur son site. L’ISBN indique en réalité comme éditeur Paul Mitchener, c’est-à-dire l’auteur lui-même.
(2) J’ai aussi eu le sentiment à la lecture que l’écriture était perfectible, mais je n’estime pas mon niveau d’anglais suffisant pour émettre un jugement définitif sur ce point.

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