Comment faire revenir les gens sur un blog parlant d'imaginaire ? Je ne vois qu'une solution : vous parler d'un bouquin de 1975 qui ne doit être disponible que dans les brocantes après avoir vidé l'appartement de Papy. Moi j'ai choppé le mien chez mon beau-père, avec en prime une autobiographie de Lucie Aubrac. La collection Les Français dans la Résistance a été publiée entre 1974 et 1976 et consiste en une série de livres au format poche qui regroupe des récits de résistants classés par région. Ma famille et ma belle-famille étant établies en Dauphiné et en Savoie, j'ai un double attachement à ces histoires. Au total, les deux livres rassemblent 15 récits écrits par des résistants. Tout commence quand quand Hitler enchaîne les raclées sur le front de l'Est en 1942. Il a la bonne idée de vider ses usines et ses fermes allemandes de ses travailleurs pour les envoyer se faire étriper par les troupes russes. Et comme il faut bien faire tourner l'appareil de production pour soutenir les combats, les nazis ont l'idée d'instaurer le fameux STO : le service de travail obligatoire. Et étrangement, il y a plein de français qui n'ont pas envie de se retrouver corvéables à merci en Allemagne, alors ils se cachent. Et là, dans le maquis, certains croisent la route d'anciens soldats qui vont prendre les éléments les plus dégourdis de ces réfractaires pour les intégrer à un mouvement de résistance balbutiant et mettre en place une lutte organisée. Au donc au fil des pages, on apprend des tas d'anecdotes sur la Résistance :
- l'occupation italienne dans la région n'était pas si horrible qu'on l'imagine. Il y a même un passage où la police de Vichy a arrêté des Juifs, mais les soldats italiens ont refusé de les déporter.
- à l'occasion du 11 novembre 1943, 1 500 grenoblois ont manifesté en chantant la Marseillaise. L'occupant n'a pas apprécié la blague et a arrêté 600 personnes. Au final, 369 hommes ont été déportés à Buchenwald, et seulement 102 d'entre eux sont revenus vivants à la fin de la guerre.
- on se fait une image assez belles des opérations de largage des armes par Londres à destination des maquisards, mais dans les faits, c'était chaotique. Il fallait trouver le bon champ, la bonne météo, que l’ennemi ne vienne pas perturber l'opération, que le pilote ne foire pas, que les boîtes tombent au bon endroit... Et quand l'équipement arrivait, il se pouvait très bien qu'on se retrouve avec les armes, mais sans les munitions.
- sur le plateau des Glières, qui pour les Savoyards est une immense fierté, quand on lit les conditions de vie des maquisards, on est effaré par le manque de matériel. Faute de radio, les différents groupes communiquent via des messagers. Et ceux qui n'ont pas de ski doivent marcher dans la neige jusqu'à la ceinture. Et donc impossible de défendre les lieux efficacement, car malgré la bonne volonté des résistants, c'est un piège. D'autant que malgré de nombreuses demandes à Londres, les braves jeunes gens sont mal équipés, c'est vraiment le pot de terre contre le pot de fer.
- c'est assez étrange, mais de nombreux récits de résistance incluent des passages où le chef d'une équipe de résistants se fait arrêté et où ses hommes vont tout simplement le chercher les armes à la main. Idem, les prisonniers s'évadent fréquemment, on a l'impression d'être au Stalag 13 avec le débonnaire Papa Schultz.
- autre surprise : les combats durent parfois des heures mais sans faire beaucoup de victimes. La réalité semble refuser de ressembler à un film de Tarantino ou une partie de Call of Duty.
- la Haute-Savoie a finalement été le premier département français à se libérer de lui-même en août 1944 sans aide militaire extérieure. La Savoie a suivi quelques jours plus tard, ce qui en dit long sur la farouche autonomie de ce coin de pays.
Par contre, ce sont des récits d'époque, et ils sont parfois un peu ennuyeux. Les textes s'adressent à des gens qui ont connu cette époque, aussi il y a beaucoup de sigles et de jargon. En plus de ça, il faut jongler avec les noms de guerre des intervenants, c'est vite déboussolant. Je n'aurais pas été contre un peu de narration romancée par moment, ces messieurs (car sans surprise, ce sont des histoires de monsieur où les femmes sont héroïques mais doivent se contenter de faire passer des messages ou soigner les blessés) n'ont pas un grand sens du récit. Mais bon, c'est difficile de reprocher à quelqu'un d'avoir appris à fabriquer des bombes pour faire sauter des trains allemands mais de ne pas être assez didactique dans ses souvenirs de guerre. Évidemment, c'est ultra positif, hein : il y a bien des salauds de collabos et des méchants nazis, mais ne comptez pas sur ce genre de témoignages pour critiquer le mythe gaulliste. Regardez bien la couverture : la croix de Lorraine est en or, au-dessus de tout, et d'elle jaillit la lumière...
Moi j'ai adoré ma lecture, car au détour d'une page, j'ai appris qu'un groupe de résistants se réunissait au lac d'Ambléon (où j'ai fait de la plongée sous-marine en cherchant des fusils de cette époque, d'ailleurs) ou que des résistants ont pris pour cible la gare de Saint-André-le-Gaz où j'ai déjà poireauté en attendant mon train. Et Chambéry est évidemment à l'honneur dans ces histoires. Mais je reconnais que c'est une lecture aride même si on croise dans ces deux livres des héros qui mériteraient de ne pas tomber dans l'oubli. Mais bon, après tout, tout ça est derrière nous, hein, c'est pas comme si l'extrême-droite était à nouveau au porte du pouvoir, que des Juifs étaient pris pour cible ou qu'un génocide avait lieu sous nos yeux, n'est-ce pas ?
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