Dans le précédent article, nous avions parlé de l’utilisation possible de certaines fautes issues des règles du match d’improvisation pour en user afin de réguler certains comportements abusifs de la part des joueurs lors d’une partie de JdR. Nous allons cette fois parler d’un sujet qui fait stresser bien des gens : l’art d’improviser. Et une fois de plus, ce qui s’apprend sur une patinoire de match d’impro est réutilisable en JdR, en particulier si vous avez une approche narrativiste.
Les improvisateurs n’apprennent pas leur texte à l’avance, mais pourtant ils s’entraînent régulièrement à improviser. Paradoxale, non ? Et que font-ils pendant ces séances d’entraînement ? Ils font des exercices pour rendre certains réactions automatiques, pour faciliter les associations d’idées à travers des jeux de mots et surtout, pour tisser des liens de complicité entre les différents comédiens. Car c’est la connivence qui forme le liant d’une bonne impro : si les improvisateurs (ou les rôlistes) sont sur la même longueur d’ondes et qu’ils partagent le même imaginaire, alors l’histoire qu’ils tissent est plus dense.
Mais les improvisateurs disposent surtout de certaines lois tacites qui, si elles sont respectées, permettent l’éclosion d’une belle histoire. Et ces mêmes lois peuvent à leur tour aider à construire un beau scénario de JdR autour d’une table. Les principes dont nous allons parler dans cet article ont été mis en évidence par Christophe Tournier dans un ouvrage théorique intitulé « Manuel d’improvisation théâtrale » (Éditions de l’eau vive) dont nous vous recommandons bien évidemment la lecture si vous désirez aller plus loin que cette présentation.
Accepter
C’est le principal mot d’ordre de l’impro. Dire non, c’est freiner le scénario en installant un conflit entre les protagonistes. L’acceptation par le oui, c’est une générosité commune qui permet de mettre tous les narrateurs sur le même pied d’égalité. Il n’y a pas d’idée meilleure qu’une autre : tout élément qui est apporté est bon pour construire l’histoire. Au pire, si une idée parait peu compatible avec l’univers ou le scénario, il est possible de tempérer une proposition en la modifiant légèrement grâce au « Oui, mais… » qui montre qu’on accepte l’idée de l’autre tout en lui apportant une modification qui lui permet de s’intégrer parfaitement à l’ambiance du moment.
Exemple :
- Et si on se contentait de balancer une boule de feu dans la caverne des gobelins ?
- Oui, mais plutôt que de risquer de tuer par la même occasion la princesse qui est leur prisonnière, nous devrions nous pas plutôt lancer un sort d’illusion qui leur fera croire que la caverne est sous l’emprise des flammes ce qui nous permettra de nous introduire et de profiter du chaos qui règne pour secourir la prisonnière ?
Écouter
Combien de scénarios d’enquête ont lamentablement foiré parce qu’aucun des joueurs n’a été foutu de se souvenir du nom d’un contact donné par un PNJ ? Le JdR a l’avantage sur l’impro de donner la possibilité de prendre des notes et de faire régulièrement le point sur l’intrigue. Ca ne dispense évidemment pas d’enregistrer un maximum d’informations données par le MJ qui le plus souvent ventile des indices tout au long de ses interventions. Écouter permet d’éviter les situations du genre « Ben on va chez le prince, là… Merde je n’ai pas noté son nom. Biztruk ou Bartok, je ne sais plus. Enfin bref, on va chez lui et on lui pose des questions sur la nana qui a disparu mais dont j’ai oublié le nom. »
Percuter
Les joueurs autant que le MJ doivent être prêts à répondre rapidement à toutes les situations. C’est anormal si le simple fait de déterminer l’ordre de marche du groupe prend plus de 10 minutes à être établi. À la question « Que fait ton personnage ? », le joueur doit être capable de lui trouver une occupation logique en rapport avec sa profession, son background ou son milieu. Donnez donc des manies à vos personnages (elle se fait une tresse, il taille un bout de bois avec son couteau, il fait des ricochets dans l’eau…) c’est ce qui les rend uniques et humains. De même rebondir sur les propos du MJ est le meilleur moyen de faire progresser l’aventure en créant une véritable symbiose entre l’univers mis en scène par le MJ et les personnages incarnés par les joueurs.
Exemple :
MJ : Alan Power, votre Némésis, crache son chewing-gum dans votre direction en signe de défi et s’en va, altier, en s’engouffrant dans sa voiture de sport.
PJ : Je récupère le chewing-gum et je le mets dans une pochette plastique. Nous allons enfin savoir grâce à un simple test d’ADN si c’est bien Alan Power ou encore un acteur qu’il a engagé pour faire diversion.
Animer
Rien de pire que des personnages qui attendent la prochaine scène du scénario pour obtenir un indice. Le JdR est intéressant car au lieu d’enchaîner les scènes cinématiques comme dans un jeu vidéo, il permet de sortir de la linéarité de la narration. Alors au lieu d’attendre que le MJ soit obligé de remettre tout le monde sur la bonne piste avec un énième deus ex machina, prenez l’initiative en étant des acteurs au lieu des spectateurs. Et surtout, ne dites pas « Je le baratine » mais lancer vous dans un vrai dialogue avec votre MJ, c’est 10 fois plus intéressant que de se contenter de jeter les dés. Et même quand vous discutez entre PJ, gardez votre accent ou vos manies, l’immersion et le roleplay passent aussi par ce genre de détails.
S’impliquer
Ça a l’air évident à dire, mais on obtient pas le même résultat avec des joueurs motivés qui sont enthousiastes à l’idée de jouer à Sidney Fox RPG qu’avec une tablée de joueurs qui jouent à Vampire par dépit parce qu’il n’y a rien de bon à la télé. On peut s’amuser sans prétention, mais en s’impliquant réellement dans une partie on peut dépasser le simple stade de la bonne partie bien déconnante. Encore faut-il que les joueurs et le MJ soient disposés à faire les mêmes efforts. Pourquoi 5 types devraient débarquer, foutre les pieds sur la table, boire et manger tout en jetant les dés sans s’impliquer alors que le gars assis au bout de la table qui a préparé son scénario pendant toute une semaine doit lui être irréprochable dans ses fonctions de MJ ?
Innover
À vous de surprendre le MJ. Vous vous contentez de dire « Je le frappe » à chaque round de combat ? Je serais le MJ, je vous mettrais un malus pour votre manque d’originalité. Votre spontanéité est votre meilleur atout en combat ou durant une négociation. Utilisez vos sorts de manière non conventionnelle, surprenez vos adversaires autant que votre MJ et le jeu gagnera en intérêt. Le roi a été capturé par un voisin belliqueux ? Plutôt que de vous introduire de nuit dans le donjon adverse pour libérer le roi après avoir tué tous ses gardes, pourquoi ne pas tenter de réunir une rançon pour le libérer pacifiquement ou bien au contraire de profiter de l’absence du roi pour prendre le pouvoir ?
S’amuser
Dans JdR il y a jeu. Ca ne veut pas dire compétition pour autant. Inutile de tuer tous les personnages de la table pour avoir la satisfaction d’avoir gagné (même si parfois, je l’avoue, c’est jouissif). Le plaisir d’avoir créer une histoire commune, basée sur la coopération narrative passe aussi par des moments de d’humour, qui ne doivent pas nécessairement ponctuer chaque phrase. Il existe des jeux conçus pour rire ouvertement sans trop s’occuper du scénario. Il vaut donc mieux se tourner vers ce genre de jeu et trouver des joueurs et un MJ dans les mêmes dispositions que vous plutôt que d’être le clown de service à une table qui cherche à retrouver l’authenticité d’une ambiance kafkaïenne ou bien la lourdeur d’un récit comme les Rois Maudits. Le Contrat Social est primordial.
Pour finir, l’impro et le JdR n’ont rien inventé : la commedia dell’arte proposait déjà à ses acteurs d’incarner des personnages archétypaux et de les laisser vivre des aventures improvisées sur les planches. Les comédiens connaissaient si bien leurs personnages et les différentes intrigues possibles qu’ils se laissaient aller en roue libre en improvisant dialogues et situations au gré de leur fantaisie du jour. Du diceless, tout cela…
Les improvisateurs n’apprennent pas leur texte à l’avance, mais pourtant ils s’entraînent régulièrement à improviser. Paradoxale, non ? Et que font-ils pendant ces séances d’entraînement ? Ils font des exercices pour rendre certains réactions automatiques, pour faciliter les associations d’idées à travers des jeux de mots et surtout, pour tisser des liens de complicité entre les différents comédiens. Car c’est la connivence qui forme le liant d’une bonne impro : si les improvisateurs (ou les rôlistes) sont sur la même longueur d’ondes et qu’ils partagent le même imaginaire, alors l’histoire qu’ils tissent est plus dense.
Mais les improvisateurs disposent surtout de certaines lois tacites qui, si elles sont respectées, permettent l’éclosion d’une belle histoire. Et ces mêmes lois peuvent à leur tour aider à construire un beau scénario de JdR autour d’une table. Les principes dont nous allons parler dans cet article ont été mis en évidence par Christophe Tournier dans un ouvrage théorique intitulé « Manuel d’improvisation théâtrale » (Éditions de l’eau vive) dont nous vous recommandons bien évidemment la lecture si vous désirez aller plus loin que cette présentation.
Accepter
C’est le principal mot d’ordre de l’impro. Dire non, c’est freiner le scénario en installant un conflit entre les protagonistes. L’acceptation par le oui, c’est une générosité commune qui permet de mettre tous les narrateurs sur le même pied d’égalité. Il n’y a pas d’idée meilleure qu’une autre : tout élément qui est apporté est bon pour construire l’histoire. Au pire, si une idée parait peu compatible avec l’univers ou le scénario, il est possible de tempérer une proposition en la modifiant légèrement grâce au « Oui, mais… » qui montre qu’on accepte l’idée de l’autre tout en lui apportant une modification qui lui permet de s’intégrer parfaitement à l’ambiance du moment.
Exemple :
- Et si on se contentait de balancer une boule de feu dans la caverne des gobelins ?
- Oui, mais plutôt que de risquer de tuer par la même occasion la princesse qui est leur prisonnière, nous devrions nous pas plutôt lancer un sort d’illusion qui leur fera croire que la caverne est sous l’emprise des flammes ce qui nous permettra de nous introduire et de profiter du chaos qui règne pour secourir la prisonnière ?
Écouter
Combien de scénarios d’enquête ont lamentablement foiré parce qu’aucun des joueurs n’a été foutu de se souvenir du nom d’un contact donné par un PNJ ? Le JdR a l’avantage sur l’impro de donner la possibilité de prendre des notes et de faire régulièrement le point sur l’intrigue. Ca ne dispense évidemment pas d’enregistrer un maximum d’informations données par le MJ qui le plus souvent ventile des indices tout au long de ses interventions. Écouter permet d’éviter les situations du genre « Ben on va chez le prince, là… Merde je n’ai pas noté son nom. Biztruk ou Bartok, je ne sais plus. Enfin bref, on va chez lui et on lui pose des questions sur la nana qui a disparu mais dont j’ai oublié le nom. »
Percuter
Les joueurs autant que le MJ doivent être prêts à répondre rapidement à toutes les situations. C’est anormal si le simple fait de déterminer l’ordre de marche du groupe prend plus de 10 minutes à être établi. À la question « Que fait ton personnage ? », le joueur doit être capable de lui trouver une occupation logique en rapport avec sa profession, son background ou son milieu. Donnez donc des manies à vos personnages (elle se fait une tresse, il taille un bout de bois avec son couteau, il fait des ricochets dans l’eau…) c’est ce qui les rend uniques et humains. De même rebondir sur les propos du MJ est le meilleur moyen de faire progresser l’aventure en créant une véritable symbiose entre l’univers mis en scène par le MJ et les personnages incarnés par les joueurs.
Exemple :
MJ : Alan Power, votre Némésis, crache son chewing-gum dans votre direction en signe de défi et s’en va, altier, en s’engouffrant dans sa voiture de sport.
PJ : Je récupère le chewing-gum et je le mets dans une pochette plastique. Nous allons enfin savoir grâce à un simple test d’ADN si c’est bien Alan Power ou encore un acteur qu’il a engagé pour faire diversion.
Animer
Rien de pire que des personnages qui attendent la prochaine scène du scénario pour obtenir un indice. Le JdR est intéressant car au lieu d’enchaîner les scènes cinématiques comme dans un jeu vidéo, il permet de sortir de la linéarité de la narration. Alors au lieu d’attendre que le MJ soit obligé de remettre tout le monde sur la bonne piste avec un énième deus ex machina, prenez l’initiative en étant des acteurs au lieu des spectateurs. Et surtout, ne dites pas « Je le baratine » mais lancer vous dans un vrai dialogue avec votre MJ, c’est 10 fois plus intéressant que de se contenter de jeter les dés. Et même quand vous discutez entre PJ, gardez votre accent ou vos manies, l’immersion et le roleplay passent aussi par ce genre de détails.
S’impliquer
Ça a l’air évident à dire, mais on obtient pas le même résultat avec des joueurs motivés qui sont enthousiastes à l’idée de jouer à Sidney Fox RPG qu’avec une tablée de joueurs qui jouent à Vampire par dépit parce qu’il n’y a rien de bon à la télé. On peut s’amuser sans prétention, mais en s’impliquant réellement dans une partie on peut dépasser le simple stade de la bonne partie bien déconnante. Encore faut-il que les joueurs et le MJ soient disposés à faire les mêmes efforts. Pourquoi 5 types devraient débarquer, foutre les pieds sur la table, boire et manger tout en jetant les dés sans s’impliquer alors que le gars assis au bout de la table qui a préparé son scénario pendant toute une semaine doit lui être irréprochable dans ses fonctions de MJ ?
Innover
À vous de surprendre le MJ. Vous vous contentez de dire « Je le frappe » à chaque round de combat ? Je serais le MJ, je vous mettrais un malus pour votre manque d’originalité. Votre spontanéité est votre meilleur atout en combat ou durant une négociation. Utilisez vos sorts de manière non conventionnelle, surprenez vos adversaires autant que votre MJ et le jeu gagnera en intérêt. Le roi a été capturé par un voisin belliqueux ? Plutôt que de vous introduire de nuit dans le donjon adverse pour libérer le roi après avoir tué tous ses gardes, pourquoi ne pas tenter de réunir une rançon pour le libérer pacifiquement ou bien au contraire de profiter de l’absence du roi pour prendre le pouvoir ?
S’amuser
Dans JdR il y a jeu. Ca ne veut pas dire compétition pour autant. Inutile de tuer tous les personnages de la table pour avoir la satisfaction d’avoir gagné (même si parfois, je l’avoue, c’est jouissif). Le plaisir d’avoir créer une histoire commune, basée sur la coopération narrative passe aussi par des moments de d’humour, qui ne doivent pas nécessairement ponctuer chaque phrase. Il existe des jeux conçus pour rire ouvertement sans trop s’occuper du scénario. Il vaut donc mieux se tourner vers ce genre de jeu et trouver des joueurs et un MJ dans les mêmes dispositions que vous plutôt que d’être le clown de service à une table qui cherche à retrouver l’authenticité d’une ambiance kafkaïenne ou bien la lourdeur d’un récit comme les Rois Maudits. Le Contrat Social est primordial.
Pour finir, l’impro et le JdR n’ont rien inventé : la commedia dell’arte proposait déjà à ses acteurs d’incarner des personnages archétypaux et de les laisser vivre des aventures improvisées sur les planches. Les comédiens connaissaient si bien leurs personnages et les différentes intrigues possibles qu’ils se laissaient aller en roue libre en improvisant dialogues et situations au gré de leur fantaisie du jour. Du diceless, tout cela…
J'aime bien cet article! Je reviendrai peut-être plus en détail plus tard si je trouve le temps.
RépondreSupprimerEn attendant, je voulais juste te parler de Polaris: Chivalric Tragedy at the Utmost North, un jeu dont la résolution des conflits est basé sur un système très évolué de ton paragraphe intitulé Accepter.
Tout se règle à travers de phrases clés (il y a le "oui, mais..."), dont tu pourras lire ici la traduction en français.
Merci Christoph, ton lien est tout simplement excellent !
RépondreSupprimerC'est grandiose, je retrouve des principes narratifs comme je les aime.
Un grand merci pour cette précision que je m'en vais explorer plus en avant.
Sammael en a parlé sur Casus, même si je trouve ce principe un peu... déroutant. Toujours très sympa ton article ! ;)
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