Monumental propaganda


L'Ère soviétique a sans nul doute été très difficile à vivre pour le peuple russe, mais elle a donné naissance à une chose précieuse : une littérature cynique et bien souvent dissidente qui est délicieusement critique. Monumental propaganda fait partie de ces bijoux acerbes qui permettent de mieux comprendre ces années étranges par le truchement d'un humour pas nécessairement noir, mais plutôt avec un PH très faible (c'est à dire acide, pour celles et ceux qui ont dormi pendant les cours de chimie).

Monumental propaganda raconte principalement la vie d'Aglaya, une stalinienne pratiquante dont la vie bascule le jour où son cher Josef Staline trépasse. Alors que la Russie avoue doucement que le stalinisme était une phase regrettable du communisme, Aglaya s'enfonce de plus en plus dans l'idolatrie en faisant en sorte qu'une statue du tyran soit érigée sur la place centrale de la petite ville où elle vit. Mais l'URSS et les soviétiques changent drastiquement et cette statue va avoir un parcours erratique tandis qu'Aglaya est de plus en plus étrangère en son propre pays. Le livre débute donc aux prémices de la déstalinisation et s'achève avec l'accomplissement de la glasnost, permettant ainsi de dresser un portrait chronologique de la Russie d'après-guerre.

Vladimir Voinovich est un auteur véritablement talentueux qui utilise ce roman pour raconter son propre parcours de dissident en rupture avec la logique communiste. Ses personnages sont tour à tour drôles et pathétiques dans leurs convictions et leurs valeurs : l'auteur pamphlétaire qui devient activiste religieux, le militaire qui profite d'une gloire infondée, les petites vieilles qui radotent sur leur banc, les petit chefs politiques qui abusent de leur position dominante, les nouveaux russes qui se gavent... Cette Russie vue de l'intérieure forme un univers riche qui est décrit méticuleusement par Voinovich qui se moque autant des communistes aveuglés par la propagande que des auteurs dissidents coupés des réalités du peuple.

On ne peut pas parler de propagande et de valeurs politiques ou morales soviétiques sans lire Vladimir Voinovich. On referme ce roman et on se demande "Et moi, quel personnage de Voinovich j'aurais été si j'avais vécu là-bas à cette époque pas si éloignée ?" À noter qu'en parlant d'anticipation russe, l'auteur a également écrit un roman intitulé Moscow 2042 dont je vais bien évidemment parler ici dès que possible.

Commentaires