Les années club (4ème partie)

Épisode précédent

Où les rôlistes ont eux aussi droit à leur Nuit des Longs Couteaux

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes rôlistes. L'association était florissante, les tables de jeu étaient variées et animées, les filles étaient tenues éloignées de notre précieux passe-temps... C'était bien évidemment le calme avant la tempête. Le soir du 11 octobre 1995, l'émission intitulée Bas les masques présentait une soirée titrée Attention, jeux dangereux. Tout à coup, nos parents comprirent que nous ne jouions pas à des jeux drôles mais bien à des jeux de rôles. L'émission de Mireille Dumas et Jean-Marie Abgrall allaient changer durablement le regard des gens sur notre loisirs.

Ce ne sont pas les parents qui paniquèrent, mais les élus de la Mairie qui découvrirent du jour au lendemain que les adolescents qui squattaient la Maison des Associations pouvaient être potentiellement des jeunes suicidaires suivant un mystérieux gourou se faisant appeler Maître du Jeu. L'utilisation des locaux furent donc immédiatement retirée des privilèges du club de rôlistes par mesure de sécurité. Une troupe de théâtre prit la place des jeteurs de dés. C'était une époque de vache maigre rôlistique, sans locaux, les rôlistes étaient obligés de squatter un garage ou une cuisine pour pouvoir casser du gob' comme avant. Les rôlistes ne devaient pas porter une étoile jaune mais le principal du lycée qui regardait autrefois avec bienveillance une poignée de lycéens parler de Tolkien se méfiait maintenant de cet ennemi intérieur qui avait été mis à jour par la salvatrice émission de télévision.

Les mois passèrent sans que les rôlistes du coin ne poignardent leur professeur de gym ou n'aillent déterrer un cadavre dans un cimetière juif. C'était louche. Alors la Mairie continua d'ignorer cette association, par mesure de précaution. C'est grâce au père d'un des rôlistes, membre du Front National connaissant du monde au conseil municipal, qu'une solution fut trouvée : une ancienne caserne militaire en périphérie de la ville était à l'abandon depuis des années, les rôlistes n'avaient qu'à s'y installer pour y mener leurs sabbats ludiques sans que celà nuise à la bonne moralité de la population.

Le bâtiment n'avait pas l'électricité, encore moins de chauffage et jouxtait une ruine calcinée dans laquelle les pompiers allaient s'entraîner à intervenir dans des lieux clos et enfumés. Par un bel été on fabriqua quelques bancs et tables avec des bûches et des planches récupérées dans les ruines des alentours. En prévision de l'hiver, on installa même un vieux poil à bois que nous alimentions en chapardant du combustible à nos parents. Le MJ s'occupait de préparer le scénario mais en échange, les joueurs devaient s'occuper du chauffage. Les parties nocturnes étaient éclairées à la lampe tempête, ce qui avait pour conséquence que nous passions le lundi à nous moucher en ayant de la suif sur nos mouchoirs. Malgré sa rusticité, c'était finalement un lieu idéal pour faire du jeu de rôles sans ennuyer le voisinage. Pire, quand le club de rugby ouvrit lui aussi ses locaux à côté des notres quelques semaines plus tard, on découvrit que les 3èmes mi-temps étaient bien plus bruyantes que nos visites de donjon. Avec le temps, les lieux devinrent confortables avec de vieux fauteuils retrouvés dans le garage de la grand-mère de l'un d'entre nous. Bas les masques ne nous avait finalement pas été si néfaste, avec le recul.

À l'époque, Mireille Dumas et Jean-Marie Abgrall n'étaient pas nos adversaires, nous n'avions tout simplement pas conscience que cette émission de télévision était responsable de nos malheurs relatifs. Ce n'est que plus tard, avec la magie d'Internet et les joies du communautarisme, que ces deux personnes sont devenues nos bêtes noires que nous rendions alors responsables de tous les maux touchant le JdR. Il était évident que nous n'étions pas suicidaires... et pourtant, 6 ans plus tard, alors que je fréquenterai un autre club de rôliste, je me retrouverai dans une chambre d'hôpital car un camarade de jeu, le genre gothique de Prisunic, allait tenter de se pendre avec le câble électrique de sa Playstation.

Commentaires

  1. Ici, nos expériences divergent : le club de JdR dont j'ai parlé en commentaire de l'un des épisodes précédents était depuis longtemps dissout, et en 95 j'étais étudiant, avec un petit appart qui servait de local de JdR pour tous les copains qui étaient encore chez leurs parents. Sans télé, nous étions devenus l'une des myriades de groupes autonomes de rôlistes, ceux qui croient que Casus Belli existe encore et doit approcher du n°200, qui jouent à Rêve de Dragon (1e édition) et n'ont jamais entendu parler du GROG. En fait, ces groupes sont un peu comme les cellules d'une organisation de résistance : ils ne savent rien des autres cellules, et seul l'un d'entre eux (le MJ) a quelques liens avec l'extérieur (un mag, une boutique). Un jour, toutes ces cellules se révèleront au grand-jour et on se rendra compte que 30% des 15-25 ans jouent au JdR !!!! :-)

    RépondreSupprimer
  2. 30% des 15-25 ans en 95 ça fait 30% des 35-45 ans aujourd'hui ça. Une armée de pré-grabataires en somme. :)

    RépondreSupprimer
  3. Rôlistes ! Sortez de l'ombre ! Unissez-vous ! Marchons contre l'oppresseur !

    RépondreSupprimer
  4. C'est vrai que les rôlistes non structurés communautairement sont nombreux. Des gens qui ne mettent jamais les pieds dans une association ou dans une convention. Un peu comme il existe beaucoup de tables de poker amicales du samedi soir dont les joueurs ne fréquentent jamais les casinos.

    RépondreSupprimer
  5. Je n'ai jamais mis les pieds dans une association ou un club. J'ai toujours joué chez des particuliers, entre pôtes.
    L'affaire Bas les Masques, j'en ai entendu parlé mais elle n'a pas eu de répercusion réelle sur mes groupes de jeu à l'époque.
    Pourtant, on ne se privait pas d'invoquer des démons ou de décapiter des innocents à grands coups de d20.

    JeePee

    RépondreSupprimer
  6. Ce qui a été le plus dur avec l'affaire Dumas c'est que, déjà c'était dur d'assumer d'être un geek joueur de jdr au lycée, il a fallut en plus expliquer son jeu au réunion de famille.

    Or pendant mon adolescence, rien ne me faisait plus ch... que d'expliquer/ rassurer la famille au grand complet le soir de Noël ou le jour de Paques (au dessert en plus).

    RépondreSupprimer
  7. Anonyme23/2/07

    Déçu, je suis déçu... Non, je plaisante ! Mais c'est vrai que moi aussi, je me régalais jusqu'à présent de l'hilarante chronique des "années club" où je me retrouvais parfaitement. Et là, patatra : rien à voir. Moi, les années Dumas/Abgrall, je ne les ai vécues qu'à travers Casus. Les clubs ont continué d'exister, les boutiques aussi, les parents n'ont pas été plus pénibles qu'avant... rien de rien. Non, franchement, la geekitude a été mille fois plus difficile à vivre ;-!

    En tout cas, vivement la suite des "années club" !

    RépondreSupprimer
  8. J'ai quitté la gaudriole et mon lectorat me le fait bien sentir par ses commentaires assassins. ;o) Je voulais aborder un thème plus sérieux, pour une fois. Mais je vais retourner vers la chronique légère, le but de cette rubrique n'est pas de faire de la sociologie de comptoir, juste de rendre compte de la réalité d'un petit club de campagne.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire