Petite mise en contexte à propos de l'auteur : Robert Littell est un ancien journaliste de Newsweek qui s'est spécialisé dans l'écriture de romans d'espionnage dès les années 70 en signant une douzaine de titres. Il a couvert la Guerre des Six Jours, ce n'est donc pas un rond-de-cuir : quand il parle du terrain, ça sent le vécu. Robert Littell est aussi le père de Jonathan "Les Bienveillantes" Littell.
Ceci étant posé, La Compagnie, késako ?
C'est d'abord un pavé de 1200 pages.
Mais c'est surtout une histoire romancée de la CIA entre 1950 et 1995.
Tout commence à Berlin en 1950 quand un dignitaire russe demande à passer à l'ouest. Pour montrer sa bonne foi, l'agent soviétique prétend qu'il a des informations concernant une taupe très bien placée à la CIA. Le roman n'aura de cesse de mettre en scène toutes les conséquences d'une telle affirmation. Quelle est l'identité de cette taupe (surnommée SACHA) ? N'est-ce pas une invention russe ? Qu'est-il moralement acceptable de faire pour démasquer le traitre ? Qu'est-ce qui pousse un homme de conviction à jouer les agents doubles (voire triples) ?
L'histoire avance par petits bonds historiques : Berlin en 1950, Budapest en 1956, Cuba en 1961, Moscou en 1974, l'Afghanistan en 1983, Moscou en 1991... Les grands jalons historiques servent de décor à l'intrigue et montrent l'évolution des mentalités et des moyens au sein de la CIA. Le récit est bien évidemment concentré sur les agents américains, mais les agents soviétiques ont aussi droit à quelques beaux chapitres. De tout ça jaillissent des thèmes forts : l'amitié (et donc la trahison), la notion d'héritage (avec de véritables dynasties d'espions des deux côtés), des choix moraux (faut-il armer des opposants pour renverser un dictateur sans réellement se mouiller les mains ? Sommes-nous certains d'être les gentils dans cette histoire ? La torture, ça rapporte combien d'années de purgatoire ?). Les protagonistes sont tous persuadés d'être du bon côté de la barrière, le lecteur a donc parfois droit à un patriotisme ronflant, mais compréhensible quand on remet les choses dans leur contexte.
J'avoue que c'est un roman qui s'avale très facilement en dépit du probable manque de véracité factuelle que je subodore en bon lecteur sceptique. Même si à l'instar du film Titanic, on sait un peu à l'avance le déroulement de l'histoire (spoiler alert : l'URSS perd à la fin), le récit est riche et intéressant. Car en dehors du patriotisme des protagonistes, l'auteur ne glorifie pas tant que ça la CIA. Budapest est un véritable drame humain, la Baie des Cochons est tout aussi criminelle du point de vue sacrifice humain, la paranoïa du contre-espionnage (avec un excellent personnage qu'est Maman, qui se met à douter de tout et de tous, ce qui en fait parfois le pire ennemi de la CIA) provoque des tragédies... Les agents américains sont usés par la Guerre froide, finissent tous brisés et alcooliques et se révèlent des parents et des maris toujours absents. On est loin d'une apologie gratuite de la CIA et de ses méthodes. Pour tout dire, à de nombreuses reprises la CIA apprend plus de choses à travers les articles de journaux que via son réseau de renseignement.
Pourtant, malgré mon plaisir évident, il y a deux points qui m'ont profondément agacé au cours de ma lecture. La première chose est que je trouve que les nombreux agents américains qui sont mis en scène finissent par tous se ressembler. Il y a des moments où je confondais un Jack avec un Ebby ou un Anthony. C'est l'effet récit "choral" sans doute, mais j'avais parfois l'impression qu'ils étaient permutables à volonté, sans réelle personnalité propre. Ensuite, STARIK est le Grand Méchant du roman. C'est le maître-espion soviétique, celui qui veut ruiner le capitalisme, celui qui est prêt à tout pour réussir... Or pour le rendre encore plus détestable, l'auteur ajoute un détail : c'est un pédophile. Et là, c'est trop. Même si ce personnage est inspiré d'un véritable espion russe qui était pédophile dans la vraie vie, je trouve cette accumulation parfaitement grotesque et insultante pour le lecteur. À un moment, j'ai cru qu'il allait torturer des chatons pour être encore plus ignoble. Quel manque de finesse de la part de Robert Littell. Surtout que cette perversion n'est pas utilisée dans le récit autrement que pour le diaboliser à outrance.
De plus, je trouve qu'à mesure que Littell déroule son récit, il perd de la puissance. En gros, l'évocation du Berlin d'après-guerre ou de Cuba était savoureuse, mais la mise en scène de l'Afghanistan est d'une lourdeur incroyable. Sans doute est-ce dû à la proximité temporelle, mais évoquer Oussama Ben Laden est à mes yeux une facilité qu'il aurait pu éviter. D'autant plus que Littell fait dire à un de ces héros (grosso merdo, hein, je cite de mémoire) : "On arme les Afghans contre les Russes, mais n'y a-t-il pas un risque que les fondamentalistes religieux se retournent contre nous plus tard ?" Ce genre de fausse lucidité montre bien que le roman a été publié après le 11 septembre. Concernant cette période très intéressante, j'ai largement préféré le traitement du film Charlie Wilson's War avec Tom Hanks et Philip Seymour Hoffman.
Enfin, 1200 pages, ce n'est pas assez. Comme la narration s'attache à raconter la lutte de la CIA contre l'URSS, l'auteur glisse littéralement sur des périodes qui auraient été très intéressantes à décoder du point de vue CIA : guerre du Vietnam, mort de JFK, chute du mur de Berlin...
Ah oui, autre point qui m'a surpris : le portrait fait de Ronald Reagan. C'est à peine s'il est décrit comme quelqu'un de plus intelligent que George W. Bush et Sarah Palin réunis. Le portait réalisé en fait un homme faible, qui ne comprend rien de ce que ses conseillers lui racontent et qui est à peine capable de se déplacer seul dans la Maison Blanche. Difficile de faire coïncider ce profil avec l'homme qui m'impressionnait tant à la télévision quand j'étais enfant.
Edit : il existe même une mini-série télévisée en trois épisodes. Pour en savoir plus...
Ceci étant posé, La Compagnie, késako ?
C'est d'abord un pavé de 1200 pages.
Mais c'est surtout une histoire romancée de la CIA entre 1950 et 1995.
Tout commence à Berlin en 1950 quand un dignitaire russe demande à passer à l'ouest. Pour montrer sa bonne foi, l'agent soviétique prétend qu'il a des informations concernant une taupe très bien placée à la CIA. Le roman n'aura de cesse de mettre en scène toutes les conséquences d'une telle affirmation. Quelle est l'identité de cette taupe (surnommée SACHA) ? N'est-ce pas une invention russe ? Qu'est-il moralement acceptable de faire pour démasquer le traitre ? Qu'est-ce qui pousse un homme de conviction à jouer les agents doubles (voire triples) ?
L'histoire avance par petits bonds historiques : Berlin en 1950, Budapest en 1956, Cuba en 1961, Moscou en 1974, l'Afghanistan en 1983, Moscou en 1991... Les grands jalons historiques servent de décor à l'intrigue et montrent l'évolution des mentalités et des moyens au sein de la CIA. Le récit est bien évidemment concentré sur les agents américains, mais les agents soviétiques ont aussi droit à quelques beaux chapitres. De tout ça jaillissent des thèmes forts : l'amitié (et donc la trahison), la notion d'héritage (avec de véritables dynasties d'espions des deux côtés), des choix moraux (faut-il armer des opposants pour renverser un dictateur sans réellement se mouiller les mains ? Sommes-nous certains d'être les gentils dans cette histoire ? La torture, ça rapporte combien d'années de purgatoire ?). Les protagonistes sont tous persuadés d'être du bon côté de la barrière, le lecteur a donc parfois droit à un patriotisme ronflant, mais compréhensible quand on remet les choses dans leur contexte.
J'avoue que c'est un roman qui s'avale très facilement en dépit du probable manque de véracité factuelle que je subodore en bon lecteur sceptique. Même si à l'instar du film Titanic, on sait un peu à l'avance le déroulement de l'histoire (spoiler alert : l'URSS perd à la fin), le récit est riche et intéressant. Car en dehors du patriotisme des protagonistes, l'auteur ne glorifie pas tant que ça la CIA. Budapest est un véritable drame humain, la Baie des Cochons est tout aussi criminelle du point de vue sacrifice humain, la paranoïa du contre-espionnage (avec un excellent personnage qu'est Maman, qui se met à douter de tout et de tous, ce qui en fait parfois le pire ennemi de la CIA) provoque des tragédies... Les agents américains sont usés par la Guerre froide, finissent tous brisés et alcooliques et se révèlent des parents et des maris toujours absents. On est loin d'une apologie gratuite de la CIA et de ses méthodes. Pour tout dire, à de nombreuses reprises la CIA apprend plus de choses à travers les articles de journaux que via son réseau de renseignement.
Pourtant, malgré mon plaisir évident, il y a deux points qui m'ont profondément agacé au cours de ma lecture. La première chose est que je trouve que les nombreux agents américains qui sont mis en scène finissent par tous se ressembler. Il y a des moments où je confondais un Jack avec un Ebby ou un Anthony. C'est l'effet récit "choral" sans doute, mais j'avais parfois l'impression qu'ils étaient permutables à volonté, sans réelle personnalité propre. Ensuite, STARIK est le Grand Méchant du roman. C'est le maître-espion soviétique, celui qui veut ruiner le capitalisme, celui qui est prêt à tout pour réussir... Or pour le rendre encore plus détestable, l'auteur ajoute un détail : c'est un pédophile. Et là, c'est trop. Même si ce personnage est inspiré d'un véritable espion russe qui était pédophile dans la vraie vie, je trouve cette accumulation parfaitement grotesque et insultante pour le lecteur. À un moment, j'ai cru qu'il allait torturer des chatons pour être encore plus ignoble. Quel manque de finesse de la part de Robert Littell. Surtout que cette perversion n'est pas utilisée dans le récit autrement que pour le diaboliser à outrance.
De plus, je trouve qu'à mesure que Littell déroule son récit, il perd de la puissance. En gros, l'évocation du Berlin d'après-guerre ou de Cuba était savoureuse, mais la mise en scène de l'Afghanistan est d'une lourdeur incroyable. Sans doute est-ce dû à la proximité temporelle, mais évoquer Oussama Ben Laden est à mes yeux une facilité qu'il aurait pu éviter. D'autant plus que Littell fait dire à un de ces héros (grosso merdo, hein, je cite de mémoire) : "On arme les Afghans contre les Russes, mais n'y a-t-il pas un risque que les fondamentalistes religieux se retournent contre nous plus tard ?" Ce genre de fausse lucidité montre bien que le roman a été publié après le 11 septembre. Concernant cette période très intéressante, j'ai largement préféré le traitement du film Charlie Wilson's War avec Tom Hanks et Philip Seymour Hoffman.
Enfin, 1200 pages, ce n'est pas assez. Comme la narration s'attache à raconter la lutte de la CIA contre l'URSS, l'auteur glisse littéralement sur des périodes qui auraient été très intéressantes à décoder du point de vue CIA : guerre du Vietnam, mort de JFK, chute du mur de Berlin...
Ah oui, autre point qui m'a surpris : le portrait fait de Ronald Reagan. C'est à peine s'il est décrit comme quelqu'un de plus intelligent que George W. Bush et Sarah Palin réunis. Le portait réalisé en fait un homme faible, qui ne comprend rien de ce que ses conseillers lui racontent et qui est à peine capable de se déplacer seul dans la Maison Blanche. Difficile de faire coïncider ce profil avec l'homme qui m'impressionnait tant à la télévision quand j'étais enfant.
Edit : il existe même une mini-série télévisée en trois épisodes. Pour en savoir plus...
On ne doit pas perdre de vue l'époque où ces faits se sont déroulés, une période de grande tension entre URSS et USA qui a failli très mal tourner..
RépondreSupprimerTous les faits que raconte Robert Littell dans son bouquin se sont passés de la façon dont il les a décrits, hormis certains noms modifiés ou certians détails qui ont été romancés. Les personnages de la CIA, tels qu'il les raconte, ont bien ce caractère ressemblant (c'est aussi pour ça qu'ils ont été recrutés). Les embrouilles de JFK et sa famille avec la mafia sont bien réelles, ainsi que les tentatives d'assassinat sur Castro ! La tentative de coup d'état sur Eltsine s'est bien déroulée de cette façon..
Starik, dans le bouquin, a bien été un pédophile qui s'intéressait aux petites filles. Que l'on en soit outré, peut-être, mais ce sont des faits réels, ce n'est pas pour le rendre détestable... Il n'est pas plus le méchant loup assoiffé d'anticapitalisme que la CIA assoiffée d'anticommunisme. Kim Adrian Philby, a tué et fait tuer quelques dizaines de personnes: c'est une réalité, aussi! Quant aux faits éludés sur la guerre du Vietnam, de la mort de JFK,etc, Littell n'avait que peu d'infos réelles là-dessus...à cette époque.
Par ailleurs, l'alcolisme est, malheureusement, une maladie très coutumière des agents de renseignements (de cette époque, en particulier: MacLean et Burgess, les copains de Philby, en sont morts). C'est une triste réalité !
Tous les faits rapportés dans ce bouquin sont exacts et Littell a raconté ce qu'il a, sans doute vécu en partie, et ce que des hommes de la CIA et du KGB (surtout des transfuges) avaient aussi vécu et lui ont raconté.
A notre époque, les choses ont changé, du fait de l'éclatement de l'URSS et de la super domination des USA qui ne profite pas trop de ce déséquilibre vis à vis de la Russie actuelle...mais les espions, les transfuges sont toujours là !
Merci du commentaire !
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