Vivre à Montréal, c'est entendre assez souvent parler des gangs de rue quand vient le journal télévisé. Une agression, une fusillade à la sortie d'un bar... Ça devient comme un bruit de fond de faits divers. Or en 5 ans de montréalitude, je n'ai jamais croisé une bande de blacks habillés comme des Crips, pas une fois je n'ai vu de mes yeux des jeunes dignes de figurer dans un mauvais clip de rap. Pour moi, le gang de rue était aussi réel que le dahu de mon enfance.
Plusieurs faits expliquent mon inexpérience personnelle avec les gangs de rue montréalais :
- je travaille dans le quartier des affaires (où le racket se pratique plus en costume 3 pièces qu'en streetwear);
- je vis à la bordure de Chinatown (et les triades agissent dans le feutré);
- je ne suis client ni de la drogue ni de la prostitution.
Il est certain que si je résidais à Montréal-Nord (quartier à forte population immigrée), je verrais cette réalité d'un tout autre œil.
Or il se trouve qu'une député indépendantiste de Montréal répondant au nom de Maria Mourani est sociologue criminaliste. Elle a une expérience d'agente en libération conditionnelle et d'éducatrice spécialisée. Autant dire qu'elle connait le terrain. Et cette députée s'intéresse tout particulièrement au gangs de rue. Son premier ouvrage La Face cachée des gangs de rue traitait des gangs montréalais tandis que le présent Gangs de rue inc. porte un regard plus pan-canadien sur le phénomène de la criminalité en bande.
Tout d'abord, quelques chiffres pour vous faire connaître la réalité canadienne/québécoise.
On parle de violence liée à la criminalité, de hausse des meurtres et des agressions et l'on imagine tout de suite que le Canada ressemble à Los Angeles avec des caribous et des moufles en plus. Rien n'est plus faux. En 2007, il s'est produit 594 homicides au Canada. Ramené au 32 millions d'habitants du pays, ça représente un taux de 1,85 homicides pour 100 000 habitants. Pour comparaison, le taux est de 60,8 en Colombie (champion du monde), de 6,2 aux USA et de 0,7 en France. Disons que le Canada s'en tire bien pour le moment.
Les gangs de rue au Canada sont de plusieurs types :
- il y a tout d'abord les Bloods et les Crips, tout comme à Los Angeles. Les Bloods sont habillés en rouge, les Crips en bleu. Si tu es de la mauvaise couleur dans le mauvais territoire, c'est une bonne raison pour te faire tirer dessus. Les gangs montréalais comme Crack Down Posse, Money of Bitches ou Young Master Crew ne sont pas personnellement liés aux gangs originaux des Bloods et des Crips de LA. Il faut plus voir cette appartenance comme des franchises : ils utilisent les mêmes codes, les mêmes valeurs, le même language, mais la prise de décision est locale.
- viennent ensuite les gangs autochtones. Car oui, les autochtones étant pauvres et sans emploi, ils forment le terreau idéal pour le recrutement criminel. La drogue et la prostitution ravagent les réserves et permettent à des gangs comme Indian Posse de vivre en dehors des lois. C'est d'autant plus possible que des problèmes de territorialité existent entre la police fédérale et la police autochtone.
- les Hell's Angels ne sont pas en reste puisqu'ils contrôlent ou engagent des gangs pour faire le sale boulot. Étrangement, le club de motard est notoirement raciste mais il ne dédaigne pas utiliser des gangs écoles de Noirs comme main-d'oeuvre criminelle. Tant que ça rapporte, la couleurs de la peau n'est pas un obstacle aux affaires.
- les gangs d'Amérique centrale (comme la Mara Salvatrucha) forment eux une autre classe et s'annoncent comme la forme de gangs qui va prendre de l'ampleur à l'avenir.
Bien évidemment, quand on pense gangs de rue, on pense tout de suite immigration. Or non seulement les gangs de rue deviennent de plus en plus multiéthniques en incorporant des Blancs, mais de plus ils représentent à peine 1 % des jeunes immigrants. C'est dire s'ils sont ultraminoritaires. L'attrait pour la culture du gang vient de plusieurs facteurs :
- attirance pour les valeurs véhiculées par l'imagerie des gangs (argent, filles, luxe, respect);
- recherche d'une famille de substitution (quand les parents biologiques n'assurent pas leur rôle);
- besoin de protection (quand on devient la cible d'un gang).
Quand les premiers gangs latinos se sont créés à Los Angeles, ils étaient constitués de fils d'immigrants qui avaient décidé de fuir les violences de leur pays d'origine. Quand les USA ont extradé les membres de ces gangs dans leur pays de provenance, ils ont exporté cette mode et renforcé les liens. Les guérilléros de la junte, experts en violence, sont devenus la clef de voute de ces organisations qui sont reparties à l'assaut des USA et du reste des marchés.
La relation entre les gangs de rue et le crime organisé de type mafieux est autant basé sur la coopération que la concurrence. Pour certains, les gangs de rue sont une ligue mineure qui va leur permettre de déboucher sur le crime organisé. Mais dans bien des cas, les territoires des deux mondes s'empiètent et débouche sur des règlements de compte. Toutefois, quand un gang disparait ou est absorbé par un gang concurrent, ça laisse la place à de plus jeunes pour monter leur propre gang.
La prison n'est bien évidemment pas une solution. Non seulement les prisons canadiennes sont obligées de faire en sorte que les Bloods et les Crips ne cohabitent pas dans le même pénitencier, mais en plus les liens qui se tissent entre bandes dans les prisons renforcent les liens à l'extérieur en créant des coalisions souvent temporaires mais efficaces. À l'inverse, les conflits dans la rue pour le contrôle d'un territoire ou d'un marché a des répercussions en prison où les alliances peuvent rapidement basculer.
Le plus dingue, c'est que même l'armée américaine est infiltrée : on a retrouvé des graffitis de gangs notoires en Irak car de membres de gang se sont engagés. L'armée offre une bonne formation pour le combat urbain et donne accès à de nombreux trafics de marchandises. Et puis, pouvoir directement traiter avec les producteurs de pavot sur place, ça n'a pas de prix.
Par bien des aspects, on a l'impression de vivre dans la série télévisée The Shield, avec des gars tatoués, une guerre de gangs permanente et des citoyens ordinaires pris en otages.
Autre truc important : les JO de Vancouver sont très prometteurs pour les gangs. À un tel point que le petit monde interlope est en pleine ébullition pour savoir qui dominera la rue (et donc le marché) quand les touristes seront là. Du coup de nombreuses agressions ont lieu en ce moment dans la ville olympique, et la police semble débordée.
Dans la série "un système pourri", si un trafiquant déclare ses revenus illégaux aux impôts canadiens, ces derniers ne diront rien à la police. Tant que le gars paye ses taxes, ils n'ont aucune raison de le dénoncer. Génial, non ?
Le livre n'est pas exempt de défaut : sur-utilisation du point d'exclamation qui ne donne pas l'impression de lire un livre de sociologie mais un pamphlet, mauvaise présentation des chiffres (un tableau vaut mieux que de longues énumérations) et surtout de très nombreuses redites qui finissent par lasser. C'est à croire que l'éditeur n'a pas lu le texte.
Mais Maria Mourani offre un tour d'horizon saisissant et fait un constat réaliste du problème en apportant des pistes de solution (plus de prévention, moins de profilage racial, un vrai contrôle des armes à feu, une interdiction de la prostitution institutionnelle de Montréal où 80% des salons de danseuses sont contrôlés par le crime...)
Au début, on a l'impression que se sont des jeunes qui jouent aux gangsters en imitant ce qu'ils voient dans les clips de rap ou dans GTA. C'est vrai qu'il y a un côté ridicule à les voir singer les gangs de LA alors qu'ils habitent au Québec. Sauf que ce n'est pas juste une mode vestimentaire : cette violence est en train de miner des communautés et les gens comme moi qui ne sont pas confrontés à cette réalité ont tendance à sous-estimer le phénomène. Surtout quand on voit qu'ils recrutent des gamins dès l'âge de 7 ans et qu'ils mettent des fillettes sur le trottoir sans état d'âme.
Plusieurs faits expliquent mon inexpérience personnelle avec les gangs de rue montréalais :
- je travaille dans le quartier des affaires (où le racket se pratique plus en costume 3 pièces qu'en streetwear);
- je vis à la bordure de Chinatown (et les triades agissent dans le feutré);
- je ne suis client ni de la drogue ni de la prostitution.
Il est certain que si je résidais à Montréal-Nord (quartier à forte population immigrée), je verrais cette réalité d'un tout autre œil.
Or il se trouve qu'une député indépendantiste de Montréal répondant au nom de Maria Mourani est sociologue criminaliste. Elle a une expérience d'agente en libération conditionnelle et d'éducatrice spécialisée. Autant dire qu'elle connait le terrain. Et cette députée s'intéresse tout particulièrement au gangs de rue. Son premier ouvrage La Face cachée des gangs de rue traitait des gangs montréalais tandis que le présent Gangs de rue inc. porte un regard plus pan-canadien sur le phénomène de la criminalité en bande.
Tout d'abord, quelques chiffres pour vous faire connaître la réalité canadienne/québécoise.
On parle de violence liée à la criminalité, de hausse des meurtres et des agressions et l'on imagine tout de suite que le Canada ressemble à Los Angeles avec des caribous et des moufles en plus. Rien n'est plus faux. En 2007, il s'est produit 594 homicides au Canada. Ramené au 32 millions d'habitants du pays, ça représente un taux de 1,85 homicides pour 100 000 habitants. Pour comparaison, le taux est de 60,8 en Colombie (champion du monde), de 6,2 aux USA et de 0,7 en France. Disons que le Canada s'en tire bien pour le moment.
Les gangs de rue au Canada sont de plusieurs types :
- il y a tout d'abord les Bloods et les Crips, tout comme à Los Angeles. Les Bloods sont habillés en rouge, les Crips en bleu. Si tu es de la mauvaise couleur dans le mauvais territoire, c'est une bonne raison pour te faire tirer dessus. Les gangs montréalais comme Crack Down Posse, Money of Bitches ou Young Master Crew ne sont pas personnellement liés aux gangs originaux des Bloods et des Crips de LA. Il faut plus voir cette appartenance comme des franchises : ils utilisent les mêmes codes, les mêmes valeurs, le même language, mais la prise de décision est locale.
- viennent ensuite les gangs autochtones. Car oui, les autochtones étant pauvres et sans emploi, ils forment le terreau idéal pour le recrutement criminel. La drogue et la prostitution ravagent les réserves et permettent à des gangs comme Indian Posse de vivre en dehors des lois. C'est d'autant plus possible que des problèmes de territorialité existent entre la police fédérale et la police autochtone.
- les Hell's Angels ne sont pas en reste puisqu'ils contrôlent ou engagent des gangs pour faire le sale boulot. Étrangement, le club de motard est notoirement raciste mais il ne dédaigne pas utiliser des gangs écoles de Noirs comme main-d'oeuvre criminelle. Tant que ça rapporte, la couleurs de la peau n'est pas un obstacle aux affaires.
- les gangs d'Amérique centrale (comme la Mara Salvatrucha) forment eux une autre classe et s'annoncent comme la forme de gangs qui va prendre de l'ampleur à l'avenir.
Bien évidemment, quand on pense gangs de rue, on pense tout de suite immigration. Or non seulement les gangs de rue deviennent de plus en plus multiéthniques en incorporant des Blancs, mais de plus ils représentent à peine 1 % des jeunes immigrants. C'est dire s'ils sont ultraminoritaires. L'attrait pour la culture du gang vient de plusieurs facteurs :
- attirance pour les valeurs véhiculées par l'imagerie des gangs (argent, filles, luxe, respect);
- recherche d'une famille de substitution (quand les parents biologiques n'assurent pas leur rôle);
- besoin de protection (quand on devient la cible d'un gang).
Quand les premiers gangs latinos se sont créés à Los Angeles, ils étaient constitués de fils d'immigrants qui avaient décidé de fuir les violences de leur pays d'origine. Quand les USA ont extradé les membres de ces gangs dans leur pays de provenance, ils ont exporté cette mode et renforcé les liens. Les guérilléros de la junte, experts en violence, sont devenus la clef de voute de ces organisations qui sont reparties à l'assaut des USA et du reste des marchés.
La relation entre les gangs de rue et le crime organisé de type mafieux est autant basé sur la coopération que la concurrence. Pour certains, les gangs de rue sont une ligue mineure qui va leur permettre de déboucher sur le crime organisé. Mais dans bien des cas, les territoires des deux mondes s'empiètent et débouche sur des règlements de compte. Toutefois, quand un gang disparait ou est absorbé par un gang concurrent, ça laisse la place à de plus jeunes pour monter leur propre gang.
La prison n'est bien évidemment pas une solution. Non seulement les prisons canadiennes sont obligées de faire en sorte que les Bloods et les Crips ne cohabitent pas dans le même pénitencier, mais en plus les liens qui se tissent entre bandes dans les prisons renforcent les liens à l'extérieur en créant des coalisions souvent temporaires mais efficaces. À l'inverse, les conflits dans la rue pour le contrôle d'un territoire ou d'un marché a des répercussions en prison où les alliances peuvent rapidement basculer.
Le plus dingue, c'est que même l'armée américaine est infiltrée : on a retrouvé des graffitis de gangs notoires en Irak car de membres de gang se sont engagés. L'armée offre une bonne formation pour le combat urbain et donne accès à de nombreux trafics de marchandises. Et puis, pouvoir directement traiter avec les producteurs de pavot sur place, ça n'a pas de prix.
Par bien des aspects, on a l'impression de vivre dans la série télévisée The Shield, avec des gars tatoués, une guerre de gangs permanente et des citoyens ordinaires pris en otages.
Autre truc important : les JO de Vancouver sont très prometteurs pour les gangs. À un tel point que le petit monde interlope est en pleine ébullition pour savoir qui dominera la rue (et donc le marché) quand les touristes seront là. Du coup de nombreuses agressions ont lieu en ce moment dans la ville olympique, et la police semble débordée.
Dans la série "un système pourri", si un trafiquant déclare ses revenus illégaux aux impôts canadiens, ces derniers ne diront rien à la police. Tant que le gars paye ses taxes, ils n'ont aucune raison de le dénoncer. Génial, non ?
Le livre n'est pas exempt de défaut : sur-utilisation du point d'exclamation qui ne donne pas l'impression de lire un livre de sociologie mais un pamphlet, mauvaise présentation des chiffres (un tableau vaut mieux que de longues énumérations) et surtout de très nombreuses redites qui finissent par lasser. C'est à croire que l'éditeur n'a pas lu le texte.
Mais Maria Mourani offre un tour d'horizon saisissant et fait un constat réaliste du problème en apportant des pistes de solution (plus de prévention, moins de profilage racial, un vrai contrôle des armes à feu, une interdiction de la prostitution institutionnelle de Montréal où 80% des salons de danseuses sont contrôlés par le crime...)
Au début, on a l'impression que se sont des jeunes qui jouent aux gangsters en imitant ce qu'ils voient dans les clips de rap ou dans GTA. C'est vrai qu'il y a un côté ridicule à les voir singer les gangs de LA alors qu'ils habitent au Québec. Sauf que ce n'est pas juste une mode vestimentaire : cette violence est en train de miner des communautés et les gens comme moi qui ne sont pas confrontés à cette réalité ont tendance à sous-estimer le phénomène. Surtout quand on voit qu'ils recrutent des gamins dès l'âge de 7 ans et qu'ils mettent des fillettes sur le trottoir sans état d'âme.
Argh, ces poses ridicules! Est-ce qu'ils se pratiquent devant un miroir?
RépondreSupprimerCédric Ferrand a dit… " je ne suis client ni de la drogue ni de la prostitution."
RépondreSupprimerEt voila encore un mythe qui s'effondre
Celui de l'auteur roliste riche a millions se gavant de coke et d'escorte girls
;)