Lev Grossman - Les Magiciens




C'est Laurine de Fractale Framboise qui m'a fait acheter ce bouquin. De la Fantasy pour les déçus de la Fantasy, disait-elle. Le pitch : un ado doué en classe se voit proposer, plutôt que de rejoindre une fac de la Côte Est, de rejoindre une école de magie. Car la magie existe, mais c'est évidemment un secret. Seulement, la maîtriser est sacrément ardu, et cette école ne recrute que des élèves triés sur le volet et dotés d'une appétence pour la magie. Quentin - le héros - va donc se retrouver dans un très british établissement peuplé de "premiers de la classe" pour faire son apprentissage de la magie. Mais toute ressemblance - volontaire - avec Harry Potter s'arrête là : Lev Grossman prend un malin plaisir à imaginer et à dépeindre avec beaucoup de finesse le profil psychologique de ceux qui s'adonnent - ou se réfugient dans - à la magie, et à ce que cela donnerait de les regrouper. Sans aller jusqu'à célébrer des spring breaks, les étudiants magiciens de Grossman sont autrement plus irresponsables que Harry et ses copains. Ils se cherchent, s'investissent à fond dans leurs études, se posent des questions sur ce qu'ils deviendront une fois adultes, et découvrent l'amour, l'amitié, les désillusions et les déconvenues. Ceci dit, même si le livre est bien écrit, même si on ricane devant toutes les références à Potter - au triangle Hermione - Ron - Harry, au Qidditch, etc., la 1e partie du roman, qui raconte en accéléré les études de Quentin, n'est pas la meilleure. Elle ressemble plus à une critique du programme scolaire en école de magie qu'à une parodie ou un pastiche. Certes, Quentin, comme son homologue Harry, est, conséquence d'un programme centré sur la magie, une bille en histoire-géo. Mais à moins que vous ne soyez vous-même proviseur dans une école de magie, ce n'est pas là que vous trouverez le plus d'intérêt au livre. Si vous désirez lire un roman sur les facs de la Cote Est, je vous suggère plutôt de lire le Maître des Illusions, tellement prégnant que j'ai fait des rêves mettant en scène ses personnages pendant tout le temps que je le lisais.

L'intérêt du livre, donc, vient surtout des parties suivantes. La 2e permet de suivreQuentin, fraichement diplômé, lâché dans la nature : quelle est la place d'un magicien dans notre société ? Que fait-on de sa vie, quand on peut plier la réalité en fonction de sa volonté, mais qu'on ni but ni objectif ? On touche ici à la problématique du pouvoir, et le fait qu'il soit concrétisé sous forme de pouvoir magique, ne change rien à la question. Il y a aussi derrière une critique de la Fantasy dans laquelle les personnages obéissent à un code moral imposé, qu'ils ne discutent pas (les gentils sont gentils, les méchants méchants), et qui permet à chacun de connaître sa place dans la société.C'est plus intéressant que la 1e partie, mais c'est véritablement dans la 3e partie que Lev Grossman atteint véritablement l'objectif de sa démonstration.

Dans la 3e partie, Lev Grossman renoue brillamment avec les fils de son intrigue jetés tout au long du livre, en permettant à Quentin et son groupe de pénétrer dans l'univers de son roman de prédilection, dont la lecture et les souvenirs ont guidé toute son initiation à la magie. La référence n'est plus Harry Potter, mais les Chroniques de Narnia, le Magicien d'Oz, Donjons & Dragons, et tous les cycles où un personnage contemporain se retrouve projeté dans un univers médiéval (Thomas l'Incrédule, la Tapisserie de Fionnavar, ...). Et là, l'auteur prend un malin plaisir à confronter les adolescents dont il peint le portrait depuis le début du livre, à l'absolue violence intrinsèque à ces univers fantasmés. Violence physique, mais aussi violence morale - ici, le code de conduite est imposé, on suit une quête ou on ne la suit pas, et tout l'univers réagit à ce choix primordial. Il s'agit évidemment de l'inverse de notre société contemporaine. Tout cela va évidemment faire grandir Quentin, et sans comparer ce livre à l'Attrape-Coeur, le côté roman d'apprentissage est quand même très réussi.

Au final, le livre est intéressant mais il ne plaira ni aux amateurs de Fantasy traditionnelle, ni aux lecteurs de littérature blanche. Ceux qui espèrent un pastiche de Harry Potter, ou un "what if", en seront pour leurs frais. Je m'interroge donc un peu sur son public : il faut être comme moi semi-déçu de Fantasy, un peu masochiste (pour continuer à en lire d'une part, et pour apprécier d'autre part de se faire taxer d'onaniste irrésponsable tout au long du livre). Il aurait peut-être été préférable que Grossman ne traite que d'un aspect, et le fasse plus à fond, plutôt que de tout vouloir dire par Quentin. A moins que la critique de la Fantasy ne puisse venir que d'un livre qui ne soit pas de la Fantasy ?

Bon, je m'arrête là : ça sonne très critique, alors que ce livre a l'immense vertu de faire réfléchir avec de la Fantasy. Si je ne me pose pas toutes ces questions pour chacune de mes autres lectures, c'est surtout parce qu'elles n'en soulèvent aucune. Finalement, ce livre est fait pour les gens qui n'aiment pas débrancher leur cerveau quand ils lisent. J'ose espérer qu'il s'agit de l'immense majorité d'entre nous.

Edit : le livre est traduit en français par l'Atalante, collection Dentelle du Cygne - ISBN : 2841725111 (parution : août 2010).



Commentaires

  1. Mouais. Pile trop pleine pour l'alourdir encore ;-)

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  2. Ça donne envie, mais j'imagine que ce n'est pas traduit...

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  3. Christopher26/5/10

    Les Magiciens paraît en août chez L'Atalante.

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  4. Le billet est intéressant, y'a pas à dire, mais je ne suis pas plus motivé que ça pour lire le bouquin.

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  5. Merci de la précision, Christopher. J'ai édité le billet.

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  6. @Cédric : ouais, je me rends bien compte que ce n'est pas avec ce billet que je vais déclencher un réflexe compulsif d'achat. Des personnages plus attachants auraient certainement davantage ferré le lecteur, mais son propos en aurait été changé.

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  7. J'hésite, j'attendrai d'autres avis même si la seconde partie semble sympathique.

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  8. J'avais trouvé les personnages attachants avec leurs défauts et leurs questionnements perpétuels. Ils avaient l'air de jeunes gens ordinaires «pris» avec un immense pouvoir dont ils ne savaient que faire. Ils sont un peu comme ces jeunes pleins de fric qui ne savent quelle direction prendre, ou qui n'osent pas en prendre une trop vite (parce qu'une grande fortune implique de grandes responsabilités, hé hé). Vont-ils prendre la relève de papa-maman à la tête d'un consortium mondial? Vont-ils acheter une petite république dans le Sud? Vonts-ils abandonner tous leurs biens matériels et déménager en Inde? Les personnages du roman décident de suivre le cliché ultime, la quête, une voie qui est littéralement toute tracée. Ils ne réfléchissent pas du tout à la pertinence de cette voie et à ses implications.

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  9. @ Laurine : je suis tout à fait d'accord sur ton analyse, c'est celle que j'ai aussi faite : ils ne savent pas quoi faire de leur pouvoir, et finalement acceptent de rester dans des limites étriquées qu'ils se sont eux-mêmes imposés. La magie n'est ici qu'une métaphore, il pourrait s'agir d'un autre type pouvoir.

    Par contre, je n'ai pas trouvé qu'ils se questionnaient beaucoup, et c'est là où je les ai trouvés ordinaires ce qui a le double propos de servir le livre (ce sont des ados comme tous les autres, voire même plutôt médiocres) et de les rendre peu intéressants (ce sont des ados comme tous les autres, voire même plutôt médiocres).

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  10. Finalement, malgré mon manque d'enthousiasme initial, j'ai bien aimé ma lecture. Comme je suis du même avis que Philippe, je ne vais pas juxtaposer ma critique à la sienne.

    Mais quand même, j'ai trouvé la première partie interminable et pas du tout intéressante. Il aurait pu commencer son roman directement en évoquant la vie active de ces branleurs, ça aurait été bien plus digeste. Je n'en peux plus de lire des descriptions de cursus magiques dans des écoles poudlardesques.

    Par contre, après les études, ça commencent enfin à devenir intéressant. C'est très intéressant comme mise en abime sur les mondes imaginaires.

    Sans les premières 250 pages trop chiantes, l'auteur tiendrait là un maudit bon livre.

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