Et là, vous vous demandez ce qu'un bouquin pareil vient foutre sur un blog d'amateurs de fantasy. Car vous ne venez pas là pour prendre un cours de sémiologie mais pour avoir votre tranche d'évasion médiévale-fantastique. Et si je vous disais que j'ai commandé ce livre à cause de la fantasy, justement ? Je m'explique.
Je cogite beaucoup en ce moment sur les systèmes de magie des univers imaginaires. Ceux où les sortilèges sont en latin. Ceux où le sorcier incante en noir parler. Ceux où il faut connaître le Vrai Nom des choses pour les commander. La magie a un lien direct avec le langage. La magicien, c'est celui qui sait donner des ordres à l'univers en utilisant la haute langue. C'est généralement un idiome ancien, oublié des gens du commun. Sans doute un don des dieux que les hommes ont oublié par bêtise ou par malédiction. En fait, le magicien n'est pas tant un type qui s'y connait en boule de feu qu'un linguiste spécialisé dans une langue morte. La magie, ce n'est pas secouer une baguette mais connaître les déclinaisons, les verbes irréguliers et la grammaire du monde.
L'Histoire européenne est bourrée de types qui ont essayé de comprendre pourquoi l'humanité parle des langues différentes. Le mythe de la tour de Babel est n'est que la partie émergée de l'iceberg chrétien. Quand dieu a dit "Que la lumière soit", dans quelle langue était-ce ? Quelle langue utilisait Adam pour draguer Ève ? Qu'ils soient persuadés que l'hébreu soit la mère de tous les langages ou qu'ils pensent que la permutation des consonnes de la Torah soit le plus sûr moyen de tutoyer dieu, ils veulent tous être des magiciens. Mais les plus intéressants, à mes yeux, sont les penseurs qui se sont donnés pour but dans la vie de créer des langues parfaites. Ce sont des hommes qui ont travaillé fort pour essayer de faire tenir le monde physique et le monde des idées dans un système linguistique créé de toutes pièces par eux. C'est passionnant. Ces bonhommes sont pour moi plus proches des sorciers qu'Albert le Grand.
Évidemment, c'est un ouvrage plutôt pointu. Je mentirai si je disais que j'ai compris toute la subtilité de l'approche kabbalistique du langage ou les détails très techniques dont Umberto Eco usent pour faire ses démonstrations. En gros, la moitié du livre m'était inaccessible soit parce que les citations en latin n'était pas traduites soit à cause des propos trop théoriques pour mon petit cerveau. Reste toutefois une grande masse d'informations sur l'histoire des idées. Ça reste étonnant de voir ces intellectuels de haut vol pondre des systèmes qu'ils pensaient parfaits et aptes à élever l'humanité vers quelque chose de plus beau. Des idéalistes. Des doux dingues. Des nationalistes. Des utopistes.
Il y a dans cette quête du langage parfait une résonance des archétypes de la magie fantasy, tout simplement parce que notre fantasy se nourrie souvent des mythes des religions du Livre. Les grimoires, les litanies apprises par coeur, l'importance des incantations... tout cela participe symboliquement à faire survivre la croyance d'une langue plus puissante que les autres et capable de déplacer les montagnes. Et quelque part, la sémiologie est une sorte d'étude de la magie du Verbe dont découle tout notre imaginaire de sword & sorcery.
Ca a l'air intéressant...mais j'ai vraiment du mal avec Foucault. J'attends d'ailleurs avec impatience ta critique sur le pendule...
RépondreSupprimerOh, c'est sans doute la 4e ou 5e fois que je lis le Pendule de Foucault, ça te donne un indice de la place de choix qu'il a dans ma bibliothèque.
RépondreSupprimerEt justement, de nombreux thèmes abordés par Umberto Eco dans le Pendule sont présents dans La recherche de la langue parfaite comme les permutations de la Torah ou la Kabbale vue par Aboulafia.
En fait, les livres théroriques d'Eco sont un peu des "behind the scene" de ses romans tant ses recherches philo-socio et autres trucs en -istes lui servent à construire des romans riches en contenu.
Entre chacune de mes lectures du Pendule, j'essaye d'améliorer mes connaissances pour savourer de nouveaux détails. Et il me reste dans pans entiers du livre qui réclament d'autres lectures. Sans doute que ce livre m'accompagnera toute ma vie. Au pire, c'est une manière très agréable de s'intéresser à des sujets variés.
On peut pas s'absenter 5 mn, ici, sans que le blog ne soit pollué d'essais ou de littérature blanche. Ca commence à bien faire. Heureusement, je prépare mon retour en fourbissant mes armes... :)
RépondreSupprimerPS moi je n'en suis qu'à 3 lectures du Pendule. Mais à tous ceux qui bloquent dessus, je conseille de sauter le 1er chapitre, pour n'y revenir qu'à la fin du livre. Et tous ceux qui suivent mon conseil parviennent jusqu'au bout du livre !
C'est effectivement le premier chapitre le plus rédhibitoire de l'histoire de la littérature. Lire les détails techniques et la physique du pendule est un pensum.
RépondreSupprimerPar contre, j'imagine que visiter le musée en question doit être un plaisir parisien immanquable, non ?
Heu....
RépondreSupprimerC'est tellement typique des parigots...
RépondreSupprimerhttp://www.arts-et-metiers.net/
L'expo du moment se nomme MuseoGames est a l'air geekisime.
Cédric, visiter le musée est un moment assez magique en effet :)
RépondreSupprimerCeci dit, je crois que récemment (lire depuis plus d'un an, moins de deux il me me semble) le pendule s'est cassé la figure à cause de...
- un visiteur ou
- un invité d'une soirée privée
- un autre accident
(select your poison)
Je ne sais pas trop ou ça en est...
Pour la petite anecdote, à ma première visite j'avais savouré tout le musée (avec l'explication sur la mesure de la vitesse de la lumière qui m'avait pris un temps fou à apprécier pleinement) en me gardant la chapelle pour la fin, une sorte de cerise sur le gateau...
J'étais arrivé trop tard, et la fermeture ayant déjà bien commencé, ils faisaient sortir les gens de la chapelle avec fermeté. Je n'avais pu qu'entrevoir le pendule avant une seconde visite ou j'avais satisfait mon plaisir inavouable :D
Après le premier chapitre, je me suis senti très bête. Première fois que je ne comprends RIEN à un chapitre entier de roman en français. Et après j'ai vomi. Le reste est lisible, passionnant en contenu, mais je trouve ça très chiant en termes de rythme pour un roman. Un essai aurait suffit...
RépondreSupprimerC'est vrai qu'Umberto Eco n'arrive pas à la cheville d'un Dan Abnett en terme de narration ni d'un Joe Abercrombie niveau rythme.
RépondreSupprimer[ La magie a un lien direct avec le langage ], c'est probablement ce qui fait qu'Alan Moore popularise le mème suivant : "la magie est une maladie du langage". (Mème qu'il tient d'Aleister Crowley). [-_ô]
RépondreSupprimerCe qui me gène avec Moore, c'est qu'il pratique la magie. J'ai beaucoup de respect pour l'auteur, un peu moins pour le néopaganiste qui prétend révérer Glycon et exécuter de vrais rituels.
RépondreSupprimerBon ce n'est pas le sujet de ton billet et l'ergonomie d'un blog ne s'y prête guère, mais j'aimerais savoir ce qu'il peut y avoir de gênant à pratiquer la magie.
RépondreSupprimerOh, c'est assez simple : en tant que matérialiste athée, je pouffe devant les simulacres occultes, le surnaturel et la religiosité en général.
RépondreSupprimerMaintenant, je suis pour la liberté de culte, hein, chacun fait ce qu'il veut chez soi, et le néopaganisme ne me semble pas plus condamnable que le catharisme byzantin ou la numérologie aztèque. J'aime le folklore.
"Par contre, j'imagine que visiter le musée en question doit être un plaisir parisien immanquable, non ?" Oui. C'est une des premières choses que j'ai faites en arrivant à Paris, et ce grâce au roman.
RépondreSupprimerJe ne connaissais même pas ce livre. Hop, noté.