The Big Bang Theory


Faire rire, quelle prétention.

Je sors d'un marathon de 9 saisons de Seinfeld. Ça veut dire 174 épisodes d'humour daté. Les années 90 dans tout ce qu'elles symbolisent de vide intersidéral. It's a show about nothing. Tellement nothing que c'est terriblement longuet entre deux rires. Mais j'ai insisté car je voulais comprendre le zeitgeist de cette époque révolue. Et mine de rien, Seinfeld est en Amérique du nord une référence télévisuelle qu'il faut assimiler quand on prétend s'intégrer. Et je ne veux pas cracher dans la soupe : il y a des gags qui m'ont fait beaucoup rire, dans Seinfeld. Mais l'humour s'avarie plus vite qu'un poisson oublié sur une plage arrière de voiture en plein soleil. Ce qui fait rire un jour agace le lendemain. D'où un principe tout con : il faut consommer l'humour pendant qu'il est frais. Et quoi de plus actuel que les geeks ?

Leonard et Sheldon sont deux génies qui vivent en collocation. Ils travaillent comme physiciens dans une université et vivent leur vie de nerds : soirée de jeux vidéos, visite au magasin de BD, visionnage de Battlestar Galactica, partie de painball, pratique intensive du bogogle klingon... Ils ont deux sidekicks : un astrophysicien indien nommé Raj et un ingénieur juif, Howard. Leur petite routine explose en l'air quand une nouvelle voisine, Penny, s'installe en face de chez eux et provoque une rapide hausse de l'activité hormonale de trois de ces nolifes. La table est mise pour la comédie.

Je ne suis pas scientifique, je ne travaille pas dans l'informatique et je n'ai jamais eu de colocataires (si l'on excepte les 10 mois de promiscuité forcée du service militaire). Pourtant The Big Bang Theory me parle totalement. Quatre désadaptés sociaux qui essayent de vivre pleinement leurs passions d'adulescents tout en essayant d'accoster sur les rivages exotiques de la drague, ça me ramène immanquablement à mes souvenirs de fac où les parties de Magic, les matchs de Bloodbowl, l'arpentage de donjons, les discussions sans fin sur les effets de l'entropie et la découverte du jeu de la vie étaient en totale contradiction avec le rapprochement tant désiré du sexe opposé. Du coup, les personnages de la série, même archétypaux, sont furieusement palpables dans ma mémoire. Le ressort comique est là, puisant sa source dans l'expérience des infréquentables du club de jeu de rôles, des mecs inquiétants qui fréquentent un groupe d'utilisateurs Linux et des dérangés qui préparent leur costume pendant des mois pour aller pratiquer le grandeur-nature en forêt.

Et en plus de parler de choses qui me touchent, la série est superbement écrite. Les 4 personnages de base sont construits avec une infinie science du gag. Leonard, allergique au lactose, est biologiquement programmé pour ne jamais réussir à draguer une fille comme Penny. Raj, maudit par une impossibilité de parler aux filles, est piégé dans une sorte de bromance tacite. Howard, le looser intégrale, est lui condamné à toujours repousser les limites du sordide avec des plans de drague plus foireux les uns que les autres. Et Sheldon... ah, Sheldon... Incarnation du syndrome d'Asperger, c'est le pire meilleur ami, une sorte de Dr House sans empathie. Ce quatuor de nigauds, vous l'avez croisé dans un tournoi de Warhammer, une LAN-party ou un killer. Ils existent. Ils apprennent le klingon pour rire, sont capables de visionner en une seule soirée les 3 films du Seigneur des Anneaux en version longue et avec les commentaires de Peter Jackson et peuvent disserter sans fin sur la supériorité de la Debian sur Haiku. (Et Penny, me direz vous ? C'est finalement la moins intéressante de la série. Elle est comme le graal : ce n'est pas elle qui compte, c'est la quête qui mène à elle qui importe).

Les épisodes font 20 minutes et sont tous basés sur des principes scientifiques. C'est la série faite pour les gens qui connaissent la Grande Réponse à la Grande Question, Kal-El, le nom du chat de Schrödinger, la poétique des vulcains et la nature intrinsèque du boson de Higgs. C'est la série de ceux qui lisent Boing Boing, pétitionnent pour le retour de Firefly et sont inscrits au flux RSS de xkcd. C'est rempli de clins d'oeil à votre DVDthèque, à vos années d'étude et à votre mutation d'homo geekitus en homo ordinarus.

Par contre, c'est à consommer maintenant. Les blagues sur Facebook, sur Age of Conan et sur Terminator: The Sarah Connor Chronicle, elles ont une date de péremption qui s'approche à grands pas.

Quand je dois expliquer à un inconnu dans une réunion de travail ou une évènement social pourquoi à mon age vénérable de trentenaire, je continue à jouer à des jeux vidéos, à lire des BD, à pratiquer le jeu de rôle et à lire des livres de SF/fantasy et que je tente de me justifier, si je regarde dans la pupille du type à qui je parle, je vois qu'il me perçoit comme un des 4 niaiseux de The Big Bang Theory. Et le pire, c'est que j'en tire une relative fierté, maintenant que le geek est devenu si chic.

Commentaires

  1. Carotte2/11/10

    La première saison est en effet plutôt bien. Cependant, je trouve que la série se dégrade... et c'est bien dommage.

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  2. Très bonne série la première saison, elle atteint sa pleine maturité durant la deuxième. La troisième signale déjà le déclin à venir : les scénarios se ressemblent, les personnages se figent sur leurs aspects les plus caricaturaux.
    Si tu tiens à préserver ta vision émerveillée de cette série, jamais, au grand jamais, ne descend dans les abîmes de la saison 4 aussi connue sous le nom de "l'enfer des gags de burp et de prout", manifestement, la greffe de Bigard à l'équipe de scénaristes n'a pas très bien pris.

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  3. Je suis dans la 3e saison, là. Je rigole comme un bossu et ne sens pas d'usure. Mais le mécontentement semble unanime contre la 4e saison, aussi je ne vais pas me précipiter dessus.

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  4. Anonyme3/11/10

    Je suis trop vieux pour ce show. IT Crowd par contre.

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  5. Ah oui, j'ai oublié de faire un parallèle avec IT Crowd. En même temps, ce n'est pas la même ambiance : IT Crowd est plus tourné vers le joyeux monde de l'entreprise.

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  6. Moi je trouve toute cette série très bien, et franchement je me fends bien la malle aussi devant la 4eme saison. Bien entendu, il n'y a plus la nouveauté des débuts. Et c'est certain qu'au bout d'un moment on va un peu tourner en rond ; les possibilités ne sont pas infinies avec cette situation de base. Reste que c'est un grand moment. Pis y'a même Summer Glau et Katee Sackhoff...

    Par contre, IT Crowd, ça reste réservé à un public beaucoup plus pointu je trouve. Autant je connais pas mal de non geeks (dont ma femme et celle d'un pote) qui accrochent complètement à TBBT, autant je les vois pas devant IT Crowd.

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  7. Moi j'aime bien. Bon je suis pas très client des séries humouristiques, j'y reste généralement assez froid. Mais là, au fur et à mesure des saisons, je trouve que ça fonctionne plutôt pas mal. Sympathique, faisant sourire. À l'inverse d'un How I Met Your Mother qui s'est considérablement dégradé ces deux dernières années (et que je viens d'arrêter complètement pour cause de gavage complet et d'ennui total), là ça se suit encore bien.

    Par contre, ça me toujours bizarre de le dire mais... c'est du pur geek de surface comme beaucoup de choses estampillées "geeks". C'est mignon, c'est coloré mais les références sont très très légères et il y en a une par épisode. C'est pas ce que j'appellerais de la geekerie. Demander si "quelqu'un a regardé Caprica hier soir ?" ne m'amuse pas particulièrement et je trouve ça super léger en terme de référence. Ca n'enlève rien à la sympathie du show mais ça me fait de plus en plus bizarre de voir ce qui se réclame du geek sous un simple vernis (référence) à de la pop-culture.

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  8. Très bonne chronique :)
    "Je ne suis pas scientifique, je ne travaille pas dans l'informatique et je n'ai jamais eu de colocataires (si l'on excepte les 10 mois de promiscuité forcée du service militaire). Pourtant The Big Bang Theory me parle totalement."
    A moi aussi :) Bien que je ne ne sois pas geekette associale, hein.
    Je continue à regarder, je suis la nouvelle saison, et j'apprécie toujours autant Sheldon ;)

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  9. Yno, je suis d'accord avec toi sur la minceur du vernis geek, mais je pense que si les références se multipliaient, le public non geek serait perdu.

    En l'état, la série est juste assez bien dosée en inside jokes pour que ma femme (qui n'a jamais lu un Green Lantern et qui confond vulcain et klingon) puisse avoir du plaisir.

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  10. Je suis un énorme fan de cette série, et je ne vois pas de dégradation, au contraire, les personnages sont désormais très bien construits et permettent des touches d'humour beaucoup plus travaillées. Et honnêtement, moi qui adore d'habitude les séries UK (Jekyll, Dead Set, etc.), IT Crowd m'emmerde. Le personnage féminin est certes plus intéressant, mais aucun des autres n'arrive à la cheville de Sheldon, et en plus leur sous-sol me déprime. En tout cas The Big Bang Theory c'est le ptit bohneur de mon couple pour les retours de boulot difficiles...

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  11. Je suis d'accord avec le commentaire qui parle de "geek" de surface. Même moi qui ne suis pas geek, je comprends tout.
    En revanche, ça ne me fait pas rire du tout. Les rires enregistrés sur deux gars qui entrent dans une pièce en disant un truc du genre "quoi d'neuf les gars", je n'arrive pas à trouver ça très bon. Sur la geekitude, j'ai largement préféré Spaced, une sitcom anglaise des créateurs de Shaun of the Dead. Mais c'est complètement délirant pour le coup.

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  12. Préambule : ce commentaire n'est PAS sponsorisé par Community.

    @Cédric Ferrand
    Contre-exemple : Community présente une densité hallucinante de références geek, mais ne les balise jamais pour le "grand public". Si tu choppes la référence, c'est bonus, sinon, ça ne gâche pas le show

    @Isil : Spaced est splendide, et je suis à l'affût de la moindre rumeur de reprise des épisodes (Frost ou Wright en parlent parfois...). Sinon, pas de rires enregistrés chez Community !

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  13. Ok, mais quid de l'audimat ?
    C'est bien beau de faire une série subtile, mais si elle obtient autant de parts de marché que la chaine parlementaire...
    BBT est mainstream et vise le même audience que How I met your mother, d'où les rires en boite et le comique de répétition qui peuvent agacer. Sheldon est une copie de Barney "Wait fort it" Stinson, le procédé comique est souvent le même dans les deux séries.

    Maintenant, moi je veux bien rire d'une série avec des geeks, mais je me vois mal en suivre plusieurs. J'aime bien le nombrilisme, mais avec toutes ces conneries je n'ai toujours pas eu le temps de regarder Boardwalk Empire ni Sons of Anarchy.

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  14. @Cédric Ferrand
    Heureusement, on peut concilier succès critique et adhésion populaire. Sinon, tu as déjà vu Community, ou ton commentaire était complètement au pif ?

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  15. Je suis de la plus totale mauvaise foi car je n'avais jamais entendu parler de Community avant aujourd'hui.
    Et comme ça, à lire la fiche IMDB, ça me laisse froid.

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  16. Bon, je suis comme St-Thomas, j'ai regardé le pilote de Community. Pour ceux qui ne savent pas ce que c'est, c'est l'histoire d'un avocat qui doit retourner dans une université publique pour passer son droit car il a pratiqué plusieurs années sans avoir de vrai diplôme. C'est un menteur pathologique dont la tchatche est l'arme ultime.

    Et bien je n'ai pas ri. Pas une fois.

    Comme quoi, l'égout et l'écouleur...

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  17. Anonyme4/11/10

    Ouais, Spaced aussi me parle plus que TBBT. Les repliques de TBBT sont parfois marrantes mes les persos m'emmerdent avec leurs jeremiades. Je ne supporte pas non plus Ross de Friends.

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