Je l'avoue : je suis nostalgique d'Ambre. Ce multivers a été très tôt le cadre d'une révélation rôlistique incroyable tandis que j'avais 16 ans : on peut jouer au jeu de rôles sans jeter les dés. Dingue. J'ai alors lu les romans pour pouvoir moi aussi incarner un membre de la famille d'Ambre traversant les ombres ou manipulant le Logrus. Je me souviens encore de la séquence où mon personnage a traversé la Marelle pour la première fois. Des années plus tard, un autre MJ m'a démontré tout l'étendue de son talent d'improvisateur rôlistique en disant juste "Le roi est mort : que faites-vous ?". Des jours et des nuits de jeu machiavélique, avec complot, assassinats et tractations à tous les étages. Le genre de campagne si immersive qu'on enchaîne les nuits blanches et que des années plus tard, on fait encore la gueule à tel joueur pour nous avoir trahis au moment le moins opportun.
Quand Erick Wujcik (le créateur du JdR Ambre) est mort en 2008, j'ai été pris d'une bouffée nostalgique de ces heures de joie ludique. Et je m'étais promis de relire le cycle par hommage au travail de cet excellent créateur et aussi de celui de Roger Zelazny, l'auteur des romans. Car évidemment, 20 ans après lu la saga, je gardais des souvenirs émerveillés de l'intrigue et des personnages. Ça vous marque, un univers pareil. Mais à l'instar des dessins animés dont le trait vieillit mal, est-il des souvenirs qu'il ne faut pas trop chercher à revivre sous peine de déception ?
Et donc, un amnésique se réveille dans un hôpital. Il comprend qu'il a été victime d'un accident provoqué. Sa sœur lui demande s'il en est. Lui, qui ne se souvient de rien, bluffe et dit "Oui, forcément". De ce qui pro quo jaillit une histoire familiale compliqué et un coup d'état. Et c'est assez incroyable que j'ai pu être émerveillé par ce livre fondateur du cycle. L'intrigue est bâclée en 200 pages à coup de banalités. J'ai eu l'impression de lire le travail préparatoire d'un roman. Des scènes entières qui devraient devenir légendaires sont expédiées en trois phrases. Pire, les princes d'Ambre sont systématiquement décrits comme le summum de la perfidie et la manipulation. Mais au final, leurs manigances sont d'une ridicule simplicité. Ça ne vole pas très haut niveau vilenie. La prise d'assaut du château d'Ambre, qui devrait être un moment d'une tension incroyable, est molle au possible. Les années de prison de Corwin forment un chapitre vide de contenu jusqu'à un deus ex de circonstance. Brrr.
Corwin veut retenter sa chance pour prendre le trône d'Ambre. Il voyage jusqu'à Avalon pour s'équiper avec des fusils d'assaut (je ne spoile pas, le titre est assez explicite). Et c'est tout. Oh, il y a bien la rencontre avec Ganelon (une ancienne connaissance avec qui il renoue une amitié franche et virile), Benedict et l'étrange Dara, mais franchement, il ne se passe pas grand-chose dans ce volume. Si le premier allait trop vite en condensant 600 pages en 200, celui-ci est un bel exemple de remplissage. Les combats contre les créatures du Chaos sont d'une mollesse rare. Pire, on se retape encore une tentative de putsch, mais cette fois-ci on a droit à des dragons qui meurent sous les balles magiques des fusils d'assaut. Il fallait oser. Et toujours des sournoiseries de cours d'école ("Mon dieu, tu ne réponds pas à ma question, que c'est futé…"). Mais allez, on enchaîne.
Et paf, au moment où l’on attend plus rien du cycle, un volume de qualité. Plus de guerre dans Ambre, plus de voyage dans les ombres (ou si peu) : la famille est réunie pour pleurer la mort de deux frères. Et à cette occasion, la partie de Cluedo pour savoir qui fout la merde est savoureuse. Au lieu d’être juste des noms, les princes d’Ambre deviennent tangibles et prennent un peu d’épaisseur. On comprend mieux les tensions fratricides et le pourquoi de cette famille dysfonctionnelle au possible. Enfin, les intrigues deviennent tarabiscotées et vicelardes. Au lieu des dialogues creux, on a enfin de vrais enjeux et des coups de pute, des vrais. Zelazny a compris qu’il devait mettre en scène la perfidie au lieu de faire dire à ses personnages des répliques dignes du duel de déduction de l’iocade en poudre dans Princess Bride. Ouf. Ça aura pris 500 pages pour décoller.
Et on enchaîne avec un volume qui garde l'énergie du précédent. Certes, le long résumé des épisodes précédents au chapitre 2 est artificiel et bourratif, mais au moins les princes d'Ambre arrêtent de juste se renifler le cul et se sautent enfin à la gorge. Ce qui fait que ça marche, c'est qu'il y a une menace qui les dépasse. Certes, une banale fin du monde (enfin, des mondes), mais ça oblige les personnages à sortir de leur jeu attentiste. Les antagonistes sont obligés d'abattre quelques uns des leurs atouts (quel jeu de mot) pour tenter de remporter la cagnotte. Du coup le récit s'électrise tandis que Corwin court à droit à gauche pour contrer les complots qui menace Ambre. Et surtout, on apprend de beaux petits secrets sur la nature d'Ambre et ses origines. Et quelle révélation finale ! J'avais beau le savoir à l'avance, j'ai retrouvé la fébrilité adolescente de l'époque où je m'étais fait déculotter par ce retournement de situation.
Il est temps de finir cette histoire. En avant, donc, pour la bataille finale. Et je n'ai rien compris des tenants et aboutissants de la cosmologie ambrienne. La menace du Chaos, la refonte de la Marelle, les motivations du méchant... Rien entravé. C'est surtout que la magie d'Ambre est réellement accommodante avec le scénariste : elle cesse de fonctionner quand ça l'arrange. On croit que certains princes sont morts, mais en fait non. Pourtant, il suffirait de les contacter par Atout pour se rendre compte qu'ils sont encore vivants. D'ailleurs, pourquoi l'amnésie initiale de Corwin rend impossible son contact par Atout ? Enfin, reste un final pas transcendant où tout fini bien dans la meilleure des ombres. Les princes se réconcilient, le danger est écarté. Le Chaos reste malgré tout un concept aucunement décrit : ils ont des cornes, ils veulent la destruction d'Ambre et c'est tout.
Bon, si je reprends : Ambre est un moteur diésel qui chauffe pendant 2 tomes avant d’envoyer du bois. Zelazny est hélas de l’école Dumas dans ses dialogues, c'est-à-dire qu’il use et abuse des répliques d’un ou deux mots du genre « – Pourquoi ? – Et pourquoi pas ? » qui donnent réellement l’impression qu’il cherche à faire du remplissage.
Un autre détail qui m’a choqué lors de cette relecture, c’est que les chevaux ont tous droit à un nom alors que les humains qui font vivre le château d’Ambre ne sont même pas évoqués. On finit par comprendre que le château d’Ambre est entouré d’une vraie cité, avec des familles de petite noblesse et des marchands, mais tout ça n’est jamais explicité. On ne croise pas même une bonniche dans les couloirs du château, c’est un décor totalement vide. On ne sait d’ailleurs pas à quoi ressemble le château en lui-même. Alors certes, ça renforce le côté inhumain des Ambriens, mais ça ne donne pas un univers très chaleureux et vivant. On les croirait enfermés dans un décor de soap opera.
Il y a également des gros problèmes de cohérences temporelles avec ces histoires d’écoulement du temps qui n’est pas le même d’une ombre à l’autre. Et pour être franc, si Corwin est superbement incarné, ses frangins et frangines n’ont pas cette chance. Je ne peux pas vous dire ce qui différencie un Bleys d’un Brand ou une Deirdre d’une Fiona tant ils n’ont aucune profondeur. Ils ont tous un qualificatif fort (Gérard sait bien se battre, Fiona est forte psychiquement…) mais je n’ai pas l’impression qu’il ait une vraie personnalité. Ils ont parfois la platitude de leur atout.
Maintenant, je dois reconnaitre le génie de Zelazny pour créer ces trucs magiques que sont Ambre, la Marelle, le Logrus, les atouts et tutti quanti. C’est une belle création mais qui ne semble pas avoir été travaillé d’un point de vue éditorial. Ça fait des livres de 200 pages qui sont souvent bâclés. Peut-être qu’il fallait écrire vite à l’époque.
Les romans pâtissent de mes souvenirs de jeux, plus cohérents et plus incarnés que ces 5 bouquins qui lorgnent plus souvent vers la fantasy de gare que vers le génie. Nous dessinions nos atouts, nous écrivions des journaux intimes, nous inventions des ombres vraiment différentes des sempiternelles Terre et Avalon qui limitent le récit de Zelazny. À un tel point que la lecture de ce cycle sonne maintenant comme le compte-rendu d'une campagne un peu vieillotte. Ce sont désormais mes souvenirs de jeu qui sont devenus l'Ambre authentique, la saga en 5 volumes est paradoxalement une ombre assez quelconque de mes souvenirs forcément magnifiés de nos heures ludiques. Le tarot de Florence Magnin avait finalement plus de magie que les mots de Zelazny.
Un autre détail qui m’a choqué lors de cette relecture, c’est que les chevaux ont tous droit à un nom alors que les humains qui font vivre le château d’Ambre ne sont même pas évoqués. On finit par comprendre que le château d’Ambre est entouré d’une vraie cité, avec des familles de petite noblesse et des marchands, mais tout ça n’est jamais explicité. On ne croise pas même une bonniche dans les couloirs du château, c’est un décor totalement vide. On ne sait d’ailleurs pas à quoi ressemble le château en lui-même. Alors certes, ça renforce le côté inhumain des Ambriens, mais ça ne donne pas un univers très chaleureux et vivant. On les croirait enfermés dans un décor de soap opera.
Il y a également des gros problèmes de cohérences temporelles avec ces histoires d’écoulement du temps qui n’est pas le même d’une ombre à l’autre. Et pour être franc, si Corwin est superbement incarné, ses frangins et frangines n’ont pas cette chance. Je ne peux pas vous dire ce qui différencie un Bleys d’un Brand ou une Deirdre d’une Fiona tant ils n’ont aucune profondeur. Ils ont tous un qualificatif fort (Gérard sait bien se battre, Fiona est forte psychiquement…) mais je n’ai pas l’impression qu’il ait une vraie personnalité. Ils ont parfois la platitude de leur atout.
Maintenant, je dois reconnaitre le génie de Zelazny pour créer ces trucs magiques que sont Ambre, la Marelle, le Logrus, les atouts et tutti quanti. C’est une belle création mais qui ne semble pas avoir été travaillé d’un point de vue éditorial. Ça fait des livres de 200 pages qui sont souvent bâclés. Peut-être qu’il fallait écrire vite à l’époque.
Les romans pâtissent de mes souvenirs de jeux, plus cohérents et plus incarnés que ces 5 bouquins qui lorgnent plus souvent vers la fantasy de gare que vers le génie. Nous dessinions nos atouts, nous écrivions des journaux intimes, nous inventions des ombres vraiment différentes des sempiternelles Terre et Avalon qui limitent le récit de Zelazny. À un tel point que la lecture de ce cycle sonne maintenant comme le compte-rendu d'une campagne un peu vieillotte. Ce sont désormais mes souvenirs de jeu qui sont devenus l'Ambre authentique, la saga en 5 volumes est paradoxalement une ombre assez quelconque de mes souvenirs forcément magnifiés de nos heures ludiques. Le tarot de Florence Magnin avait finalement plus de magie que les mots de Zelazny.
Merci Cédric pour cette revue du Cycle !
RépondreSupprimerça rend aussi nostalgique de la collection "Présence du Futur" de Denoël...
RépondreSupprimer"Les romans pâtissent de mes souvenirs de jeux, plus cohérents et plus incarnés que c'est 5 bouquins qui lorgnent plus souvent vers la fantasy de gare que vers le génie."
RépondreSupprimerc'est -> ces
Je n'ai lu que le premier il y a longtemps, et ça ne m'avait vraiment pas laissé un souvenir impérissable.
RépondreSupprimerC'est malin, ça me donnerait envie de les relire (mais ma dernière relecture est encore récente). J'aime bien cette série justement parce que ça se lit très vite, au final on a une histoire complète là où aujourd'hui on aurait un tome (et encore...).
RépondreSupprimerJe suis bien d'accord sur le tarot de Florence Magnin, je pense que la moitié de l'attrait de ces bouquins vient de ses couvertures à elle (les nouvelles valent pas un centime). Ca me rappelle que je les ai prêté, faut que j'aille aux nouvelles, parce que je me ne vois pas me refaire encore les bouquinistes pour les retrouver xD
... et j'ajouterais personnellement une constatation qui m'avait effaré et qui encore aujourd'hui me laisse dubitatif : le Cycle d'Ambre gagne en qualité littéraire à la traduction... Au final je reste un fan, mais je reste conscient des trop nombreuses limites de l'écriture de Zelazny, qui se voient dans ce cycle. Ceci dit, ça a quand même donné naissance à un JDR qui reste un monument du genre (selon moi, mais je ne pense pas être le seul)
RépondreSupprimerj'avais lu le premier tome et vraiment pas aimé : entre le style qui sort par les yeux, l'histoire et le contexte où j'ai rien compris, et le perso qui m'a juste parut fade superficiel et mort-vivant, hum hum.
RépondreSupprimerje n'ai pas continué et vu ta critique j'ai bien fait mdr
La saga est sur ma liste de livres à lire, mais d'abord à acheter... Malheureusement, ce sera sans doute avec les nouvelles couvertures...
RépondreSupprimerJe comprends mieux pourquoi je n'ai jamais été au-delà du second tome... et que j'ai toujours échoué dans mes tentatives de relecture...
RépondreSupprimerUn article bien foutu, il est vrai que la lecture du Jeu de rôle m'a plus marqué que celle des romans.
RépondreSupprimerJe confirme que c'est vraiment vers la fin du cycle que Zelazny trouve un ton juste.
Chroniquera tu la purge qu'est le Cycle de Merlin ?
Oh, je voulais relire le cycle de Merlin.
RépondreSupprimerMais je peux pas, je dois aller noyer des petits chatons dans la Vologne.
et ben dis donc c'est vrai que cétait pas mal ce jd avec le poil qui fallait raviver, le stix qui était tellement a fond, qu'on en perdait le fil de richard qui fessait des dessins,de jean qui fessait sont jean, du steph qui avait toujours le truc pour faire crever ces persos, de moi qui était chiant a mourir, enfin Ambre un putain de bon jd et une mine de souvenir des BLADEROLEURS
RépondreSupprimerAllez a plus ced
et ben dis donc c'est vrai que cétait pas mal ce jd avec le poil qui fallait raviver, le stix qui était tellement a fond, qu'on en perdait le fil de richard qui fessait des dessins,de jean qui fessait sont jean, du steph qui avait toujours le truc pour faire crever ces persos, de moi qui était chiant a mourir, enfin Ambre un putain de bon jd et une mine de souvenir des BLADEROLEURS
RépondreSupprimerAllez a plus ced
Heskat, qui es-tu ?
RépondreSupprimerKarim, Sanche, Coqmer ou un autre ?
karim
RépondreSupprimeralors comme ca on est canadien maintenant !!
Peux-tu m'écrire sur kedrik@gmail.com, Karim ?
RépondreSupprimerÇa sera plus pratique pour évoquer nos souvenirs de guerre.
Il existe un jeu de rôle en ligne très riche basé sur Ambre, gardant une bonne partie des concepts mais avec sa propre généalogie et quelques particularités.
RépondreSupprimer-> www.ombre-licorne.fr
A voir, vraiment ! Un jeu avec du RP très riche !