En voilà un livre dont je n’attendais rien. Une biographie
romancée de Dickens ? Bof. Je n’ai jamais rien lu de lui, tout ce que j’avais
en tête c’était quelques clichés sur des romans sociaux avec des personnages de
mendigots orphelins qui survivent dans un Londres épouvantables façon Oliver
Twist. Mais connaissant Dan Simmons,
je me doutais bien qu’il y avait matière à raconter quelque chose
d’intéressant. Et je n’ai pas été déçu.
Drood raconte
l’étrange obsession qui a animé Dickens dans les dernières années de sa vie. À
la suite d’un malencontreux accident de train, Dickens rencontre un étrange
bonhomme qui passe de blessé en blessé sur les lieux de la tragédie. Et les
gens à qui Drood (car c’est le nom de cette créature) susurre quelques mots
meurent par la suite. Dickens devine que cet homme possède des pouvoirs, et
après l’avoir perdu de vue lors de la catastrophe, il se met martel en
tête : il doit retrouver Drood pour comprendre la nature du personnage.
Son obsession le poussera à prendre des risques en fréquentant des canailles, à
visiter des lieux étranges comme les catacombes et à faire des choses peu
ordinaires. Car avec Drood, tout comme avec Keyser Söze, la légende magnifie le
réel.
Et toute cette histoire n’est nullement racontée par Dickens
mais par William Wilkie Collins, ami, confrère et rival de celui que l’on
surnomme l’Inimitable. Wilkie, qui se siffle du laudanum comme si c’était de la
flotte, ne peut jamais sortir du sillon tracé par son ami envahissant. Car
Dickens, c’est un monstre sacré, une boule d’égotisme et de caprices qui mène
son monde à la baguette. Et Wilkie, dans la droite ligne d’un Auguste Maquet
condamné par l’omniprésence d’un Dumas écrasant, est à la fois fasciné et
horrifié par l’influence néfaste que ce Drood a sur son grand ami. Il embarque
donc dans cette enquête mystérieuse pour lever le voile sur les rumeurs qui
entourent cette créature insaisissable à qui l’on attribue pas moins de 300
meurtres sordides et des pouvoirs hors de l’entendement humain.
Et il faut avouer que le récit de Wilkie est très
intéressant. Au-delà de la partie mystère qui est très agréable, c’est surtout
le portrait d’une époque et de ces hommes qui vendent des feuilletons en vivant
milles vies à la fois. Ils montent des pièces de théâtre en amateur, font des
lectures publiques de leurs œuvres, se tirent un peu la bourre niveau
publication et sont dans un constant rapport de force. D’autant que leurs
familles sont liées par des alliances, ce qui fait qu’ils sont toujours l’un
dans les pattes de l’autre. Dickens est insupportable d’assurance et de
suffisance, mais sait devenir espiègle et généreux. Mais il faut voir leur vie
sentimentale : et vas-y que je répudie ma femme pour installer ma
maîtresse dans un logement discret ou que je fais croire que ma maîtresse est
ma femme de ménage…
Évidemment, les abus de laudanum de Wilkie ne permettent pas
de croire en la véracité du récit. D’autant plus que son amour-haine pour
Dickens teinte fortement sa narration. Wilkie brise très régulièrement le 4ème
mur en parlant directement au lecteur (et en le tutoyant) pour lui décrire
l’époque formidable dans laquelle il vit. Dan Simmons se permet également un
clin d’œil envers une autre de ces œuvres (Terreur) et prend un malin plaisir à
mélanger fiction et réalité (enfin, j’imagine, je ne connais pas la vie de
Dickens non plus). Il s’appuie sur de vraies correspondances et anecdotes pour
tisser une histoire passionnante malgré les 700 pages qui la composent. On s’y
croit, autant quand Wilkie raconte la vie quotidienne de la maisonnée Dickens
que quand ils trainent dans les bas-fonds londoniens à la recherche d’un Drood
l’éventreur.
Je sais qu’il y a un vrai livre inachevé de Dickens sur Drood.
Pour tout dire, je n’ai pas envie de le lire, je préfère garder en tête la
version de l’histoire de Dan Simmons. Par contre, j’ai envie de lire La
Pierre de lune
de Wilkie Collins, car on est témoin de la naissance de ce feuilleton
(considéré comme le premier roman policier anglais), si bien que j’ai envie
d’en lire le résultat, à l’occasion. Mais ce Drood est réellement un livre très
riche. Dan Simmons s’amuse avec la matière biographique et littéraire, il
parle du processus de l’écriture, de l’opium, de rivalité fratricide, de
dépendance affective, de misère. Il embrasse large mais bien. C’est saisissant
de virtuosité intertextuelle.
Pour les rôlistes, c’est le meilleur portrait que j’ai lu d’un
Selenim contaminant deux auteurs de feuilleton populaire. On entant la Pavane à travers ces pages.
Sinon, c’est du tout cuit pour Cthulhu by Gaslight, évidemment. Vous apprendrez
comment l’opium fait perdre de la
SAN et à quel point le mesmérisme faisait tourner les têtes à
l’époque.
j'ai pas du tout aimé la narration...c'est toujours hyper orienté Dickens roi-du-monde dickens trop-fort dickens le-super-mec... du coup ça m'a vraiment dégoûté.
RépondreSupprimerje vien de lire du même hauteur Flashback... qui est une grosse daube intergalactique et raciste à mort ! et anti obama ! trop louche que cette hauteur à qui l'on doit les meilleurs roman comme hyperion et l'echiquier du mal tombe dans des écritures aussi mauvaise...
Je pense que le portrait qu'il dresse de Dickens est faussement élogieux.
SupprimerCollins alterne entre l'adulation et la critique acerbe. Ce n'est vraiment pas un portrait dythirambique de l'Inimitable.
Mais je comprends que le principe de ce portrait agace.
Après la claque de Terreur, j'ai lu Drood avidement, et je me suis régalé !
RépondreSupprimerLa description du Londres victorien est passionnante et pleine de figures réutilisables.
Pour Pierre de Lune, je l'ai lu il y a quelques années et je n'en garde pas un souvenir impérissable... De mémoire c'est assez plat et figé, si tu as autre chose à lire avant, n'hésite pas !