Épisode 26
Numéro 15 de la collection NéO+, 1987.
Troisième épisode de la saga du duc de Richleau, après
Territoire interdit et Les vierges de Satan. J’ai également parlé de La découverte de l’Atlantide, un Wheatley sans rapport avec cette série.
En deux mots
Nous sommes à la fin de l’année 1940.
« Sir
Pellinore se pencha soudain vers le duc.
—
Voulez-vous dire que, si un agent allemand, en Angleterre, avait certains
renseignements, il pourrait s’endormir, faire son rapport en rêve à quelque
satané type de la Gestapo endormi en Allemagne et que, si le type de la Gestapo
était capable de se souvenir de ses rêves, il pourrait se réveiller avec les
renseignements dans la tête le matin suivant ?
—
Exactement, dit tranquillement le duc. »
L’heure est grave. Les « renseignements » en question
sont les itinéraires des convois qui, à travers l’Atlantique nord, assurent le
ravitaillement de la Grande-Bretagne. Le Royaume-Uni sera-t-il acculé à la
famine par les sorciers nazis ?
Non, car le duc de Richleau et ses amis sont là !
Pourquoi
c’est bien
Bien ? C’est même exceptionnel pour une certaine valeur de
« bien », celle qui se traduit par « complètement barré ».
L’action commence par deux vieux gentlemen en habit de soirée
qui dînent paisiblement, à un détail près : « une pluie de bombes incendiaires s’étant abattues (…) juste en face de
l’appartement du duc, le repas s’était trouvé interrompu le temps qu’ils
descendent prêter main-forte pour éteindre l’incendie ». Tout est
normal, simple incident, c’est l’époque qui veut ça, reprendrez-vous un cognac,
mon cher ami ?
L’ambiance posée, on continue en surrégime pendant presque trois
cents pages. L’action se partage entre le plan astral, très commode pour filer
les suspects de trahison, et le monde matériel, où d’inévitables sbires tentent
de liquider nos héros. À la grenade, parce que les revolvers, ce n’est pas
assez spectaculaire.
Après cent pages d’enquête, le duc et ses compagnons découvrent
que le sorcier au service des nazis est un… prêtre vaudou. Et donc, acte II
du scénario… pardon, du roman : direction Haïti, ses sectes inquiétantes
et ses zombis.
Comme il se doit, le délire se termine par un duel entre mage
noir et mage blanc, avec le sort du monde pour enjeu. Sous l’arbitrage d’un
dieu grec. Non, ne cherchez pas ce qu’il vient faire là, il a une sorte de
raison, mais il n’est que la cerise sur un gros gâteau magico-occulte. À un
moment donné, il y a aussi un duel de métamorphoses à foutre la honte à Merlin
et à Mme Mim, sans oublier des pentacles comme s’il en pleuvait, pléthore
d’ectoplasmes, etc.
Le miracle ? Ce n’est même pas bourratif !
Si on prend un peu de recul, le plus intéressant de ce roman est
qu’il a été écrit « à chaud » pendant la guerre, et publié dans la
foulée. Du coup, les personnages évoluent vraiment
dans l’incertitude de ce que sera la suite. La guerre sera-t-elle gagnée ?
Que se passera-t-il si les Allemands parviennent à débarquer ? Combien de
braves britanniques laisseront leurs vies dans des bombardements ? De la
part d’un auteur écrivant après 1945, ces interrogations sonnent toujours un
peu creux. Là, elles prennent un relief inhabituel.
Bien sûr, cela veut aussi dire qu’il été écrit vite, et ça se sent à des « petits »
détails. Ainsi, la conférence sur l’occultisme que Richleau utilise pour
convaincre le sceptique de service est la même que dans les Vierges de Satan. Mot pour mot. Sur tout
un chapitre. Couper/coller, comme on ne disait pas encore en 1941.
(C’est aussi le moment où l’Entente cordiale, hum…
comment dire ? Là aussi, l’effet « à chaud » est intéressant à
observer : fin 1940 et début 1941, la Résistance existe à peine et De
Gaulle, ce « type splendide », est presque seul. Du coup, de Richleau
a beau être le héros, les protagonistes parlent de la « trahison » de
la France plus que de sa défaite et prophétisent que les élites françaises « se faufileront de nouveau à nos
côtés, pour sauver la face, quand nous aurons pour ainsi dire gagné la guerre
par nos propres moyens ». Notons aussi que, le duc de Richleau mis à
part, le seul personnage français est un souteneur au service des nazis,
infiltré dans les rangs de la France Libre. Comment dit-on « ne pas avoir
la cote », en anglais ?)
Pourquoi
c’est lovecraftien
Comme le directeur s’échinait à le répéter au fou qui se tenait
devant la piscine de l’asile avec un filet et un bâton de dynamite : « Il
n’y a pas de Profonds ici ».
Tout le système ésotérico-occulte mis en place dans Les Vierges de Satan est toujours là, en revanche, mais il est
bizarrement de guingois – encore un effet d’une rédaction précipitée ? Du
coup, il s’avère encore plus facile à déconstruire et à trafiquer…
Pourquoi
c’est appeldecthulhien
Un groupe de héros part casser du nazi. Ils courent partout,
tombent dans des panneaux évidents et omettent de soupçonner le type qui, vu
par l'œil du lecteur, pourrait aussi bien se balader avec un panneau « ohé,
je suis le méchant sorcier ». Ils se rattrapent de justesse à chaque fois,
jusqu’au moment où ils prennent une décision tellement idiote qu’ils la payent
cher, aidés par un meneur de jeu qui décide que puisqu’ils partent en vrille,
il va suivre, non mais sans blague.
Vous ne trouvez pas que ça comme un petit côté familier ?
En dehors des éléments à cannibaliser dans l’histoire, à savoir
à peu près tout, il y a deux leçons à tirer de ce roman pour les meneurs de
jeu :
1) Veillez à ce que chaque membre du groupe ait son quart
d’heure de gloire. Le duc de Richleau, promu champion de la Lumière, est
incontestablement le héros (d’un point de vue rôliste, avoir un héros, c’est
mal, mais cela peut se corriger). Malgré tout, ses compagnons ont tous l’occasion
de faire avancer l'histoire, une bonne idée, un geste intelligent, etc.
2) Si vous donnez de la corde aux personnages, arrangez-vous
qu’ils se pendent avec. Exemple :
• Acte I :
c’est super, on peut enquêter sur le plan astral ! Bon, il y a bien
quelques limitations mineures et on y croise des petites saletés pas trop
dangereuses, mais c’est le pied.
• Acte II : Une
fois qu’ils ont pris le pli et ne peuvent plus s’en passer, nos héros
découvrent que ces « limitations mineures » sont des faiblesses majeures qui risquent de leur coûter
leur âme, et que les saletés astrales existent aussi en taille XXXL.
Bilan
Prenez.
Lisez.
Jouez.
Avec L’Appel de Cthulhu
et ses dérivés Seconde guerre mondiale, avec n’importe quel système orienté « action »,
avec Scion, avec ce que vous voulez,
mais faites-vous plaisir !
PS : « Ici
Londres, pour un message personnel : La
maison reste ouverte pendant les travaux. Je répète, La maison reste ouverte pendant les travaux. »
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