Épisode
34
Numéro 30
de la collection Fantastique / SF / Aventures (1981)
En deux mots
Un
jeune journaliste canadien est envoyé par son rédacteur en chef dans une petite
ville du Saskatchewan. Mille cinq cents habitants isolés à deux cents
kilomètres de la gare la plus proche, un lac, des champs, une forêt dense et un
mystère : la ville se dépeuple peu à peu, sans raison apparente. Les gens
s’en vont, s’installent ailleurs et ne parlent pas de ce qui les a poussés à
déménager. Une fois arrivé sur place, notre héros découvre que toute la
population de la ville, rongée par une sourde terreur, perd peu à peu la
raison. Pourquoi ? Ou… à cause de qui ?
Pourquoi c’est bien
Court,
nerveux, bien écrit, difficile à lâcher. Qu’ajouter à cette première liste de
qualités ?
Ah
si, « facile à transposer ». Le fin fond des plaines canadiennes est
juste une toile peinte, à grands traits et sans souci d’authenticité, mais la
même histoire pourrait se dérouler dans n’importe quel coin reculé de n’importe
quel pays, à n’importe quelle époque.
Enfin,
sans avoir l’air d’y toucher, Nous avons
tous peur est une jolie petite étude du comportement d’un groupe sous
pression. Tout le monde est tendu et angoissé, mais tout le monde ne perd pas
la tête au même rythme. Au jour le jour, la menace la plus redoutable vient de
ses voisins ou de sa famille, pas forcément du surnaturel…
Pourquoi c’est lovecraftien
Je
ne vais pas déflorer l’histoire, mais le narrateur en sort persuadé
que la ville a été « le lieu
d’action de puissances incompréhensibles et qui dépassent l’homme – ces
puissances qui parfois s’abattent en un point ou un autre du globe, y soulèvent
des drames de boue, de sang et de terreur, et ne laissent en se retirant que
des ruines et des larmes ».
Si
vous voulez donner un peu de profondeur de champ à tout ça, insérer la
puissance incompréhensible en question dans une mythologie n’exige absolument
aucun effort. Et quand je dis « une mythologie », je ne pense pas
qu’à Cthulhu & Cie, le même exercice marcherait avec le christianisme, le
folklore indien ou pratiquement n’importe quoi.
Stylistiquement
parlant, Bruss se place aux antipodes de Lovecraft, et pourtant, il chasse sur
les mêmes terres. En bon journaliste, son héros s’efforce de présenter les
faits aussi objectivement que possible… or, au final, dans sa sécheresse, son
compte rendu provoque le même malaise que les indicibles empilements
d’adjectifs de l’homme de Providence.
Pourquoi c’est appeldecthulhien
Ça
ne l’est qu’à moitié, en fait. Notre héros enquête, va voir le médecin local,
le pasteur, les notables, bref il joue les investigateurs… sauf qu’il ne trouve
rien. Assez vite, il est absorbé par
d’autres préoccupations – il devient lentement fou, comme les autres. Un
scénario de jeu de rôle structuré de cette manière risquerait fort de rendre les
joueurs fous de frustration avant de les pousser à quitter la table, écœurés.
Comment ça, une enquête qui ne sert à rien ? Hérésie !
Malgré
tout, notre héros comprend (ou croit comprendre) des choses, il a des soupçons,
il passe même à l’action sur la fin… mais il achève son récit sans aucune
certitude. Sa solution semble avoir fonctionné. Est-ce parce qu’il a vraiment
trouvé le coupable, ou parce que la « puissance incompréhensible » a
décidé de partir de son propre chef ?
Ce
flou vous dérange ? Prenez une seconde pour le comparer à l’habituel
« bon, alors, comme d’habitude, le monstre habite dans le grenier des
Whateley, il faudra aussi les
liquider en passant, qui a la dynamite ? » Croyez-moi, ce petit bain
d’incertitude est rafraîchissant au possible !
Bilan
Nous avons tous peur est considéré comme l’un des meilleurs B. R. Bruss.
Je n’en ai pas lu assez pour juger, mais en tout cas, c’est un bon roman
fantastique d’un auteur qui mérite vraiment d’être redécouvert. Pour le coup,
je conseille sans hésiter, et d’autant plus volontiers qu’il a été réédité en
2007, et ne sera donc pas trop difficile à trouver.
Comme j'ai de la famille en Saskatchewan, je vais essayer de le trouver.
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