Sovok, de Cédric Ferrand

L'avis de Tristan

Des fois, on se pose trop de questions. Cela fait une dizaine de jours que j’ai lu Sovok et commencé à rédiger cette critique. Et puis, je me suis arrêté, pris de scrupules. Parce que, autant le dire tout de suite, j’ai beaucoup aimé. Or, Sovok est un roman de Cédric Ferrand, et Cédric, ici, c’est le taulier. Difficile, donc, d’en dire du bien sans prêter le flanc à une accusation de complaisance.

Les jours passants, je commençais à me dire, avec un peu d’angoisse, que je ne la finaliserai jamais. Et puis, un soir, l’illumination : « Rien à foutre de ce que penseront les ceusses qui me trouveront complaisant, ils le penseront quoi que je raconte et si je ne dis rien, ils trouveront ça louche tout pareil. En conséquence, fais comme d’habitude, dis exactement ce que tu en penses et ils iront se faire cuire un bortsch. » Des fois, se simplifier la vie, ça ne fait pas de mal.



Et donc, Sovok.

Nous sommes à Moscou, à une date incertaine. Quelque chose a mal tourné, on ne saura jamais exactement quoi, mais la Russie s’est émiettée comme un biscuit gorgé de thé. Il reste des autorités, mais le sentiment dominant est qu’elles ne contrôlent plus grand-chose.
Méhoudar est un brave petit gars qui monte à Moscou depuis sa lointaine République juive du Birobidjan, au fin fond de l’Extrême-Orient ex-russe, désormais vaguement indépendant, voire vaguement chinois. Il a fait l’armée, combattu des séparatistes ukrainiens et comme les médailles ne se mangent pas, il cherche un boulot. Or, justement, la société Blijni cherche du personnel pour sa flotte d’ambulances volantes.

Engagé à l’essai, Méhoudar se retrouve enfermé dans un tas de ferraille hoquetant, en compagnie d’un pilote obèse et d’une femme médecin névrosée. Nous allons passer une courte semaine en compagnie de ce trio, évoluant au ras du sol – même si on voit Moscou de haut, nos trois héros ne décollent jamais beaucoup de leurs galères quotidiennes. Nous découvrons avec Méhoudar les joies des vols de nuit, des répartiteurs qui vous envoient sur des plans foireux et des magouilles entre hôpitaux pour récupérer les accidentés les plus juteux. L'entreprise bat de l'aile, les concurrents sont des euro-requins qui ont tous les beaux jouets...

Ensuite ? Ensuite, difficile d’en dire plus sans déflorer l’histoire – une histoire sous-jacente, planquée à l’arrière-plan, mais une histoire quand même – qui va brièvement amener Méhoudar et ses amis sous les feux de l’actualité.

Revenons plutôt sur l’univers. Ciel lourd, béton froid, déglingue généralisée… la Russie de Sovok ressemble à celle des années 1990, en plus mal en point. L’un des très bons côtés du roman est de faire l’impasse sur le « pourquoi en est-on arrivé là ? » Le lecteur attentif repérera quelques pistes, ici et là, mais c’est tout. Cédric Ferrand semble avoir ramené de ses années de rôliste une solide aversion pour les tartines encyclopédiques qui encombrent les manuels de jeu de rôle… et beaucoup de romans de SF. C’est comme ça, voilà tout, faut faire avec, et de toute façon, ce n’est pas parti pour s’arranger.

Sur le plan narratif, l’ensemble est moins choral et plus ramassé que Wastburg. Ce n’est ni un défaut ni une qualité, c’est différent – et ça veut dire que Cédric Ferrand continue de découvrir ce dont il est capable. À titre purement personnel, Sovok me parle plus que Wastburg, mais c’est parce que les pays de l’Est légèrement uchronisés m’intéressent plus que le médiéval-fantastique, même crapuleux.

Au bilan, une lecture conseillée, sauf si vous êtes Russe, auquel cas vous risquez de sourire un peu jaune (mais je me demande si une traduction dans la langue de Pouti... de Pouchkine ne serait pas une bonne idée, pour voir).



Éditions des Moutons Électriques, 19,90 €.

L'avis de Philippe

Comme Wastburg, Sovok est un superbe roman de caractères, une galerie de personnages hauts en couleurs brossés à traits caustiques. Mais un lieu d’une cité médiévale imaginaire, on a maintenant une Moscou uchronique, à mi-chemin entre ce que l'on appelle rétro-futurisme et pourrait appeler le soviet-punk. Un fil rouge conduit une équipe d’ambulanciers forts en gueule à travers une Moscou déglinguée, de rencontres surprenantes en événements improbables. L'ironie des situations ne parvient pas à masquer l’humanisme de l’auteur, ni son amour des anecdotes et des faits divers. Les personnages sont touchants, pétris de sentiments crédibles qui nous les rendent proches.

Cédric a progressé entre Wastburg et Sovok : ses personnages sont plus attachants, le fil rouge plus consistant, et les descriptions ont gagné en ampleur : la sortie de la Jogouli de la cathédrale est une scène d'intro magnifique. Sovok a toutes les qualités de Wastburg, et développe en plus les siennes propres.

Commentaires

  1. Moi, je me pose une question : est-ce que le titre du prochain roman de Cédric ne contiendra également que 2 voyelles ? (comme dans Cédric)

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    1. Le prochain, je lui colle un titre à la Katherine Pancol façon "Les cultistes d'Arkham mangent eux aussi sans gluten".

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    2. pour celui-là, je te verse une avance personnelle, tout de suite.

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  2. Je suis d'accord, c'est bien, c'est même très bien. Mais ça a un défaut majeur : c'est beaucoup trop court ! Comme quand c'est bien, voire très bien, en général !

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  3. Moi aussi, je viens de finir Sovok. Ayant lu Wastburg, je savais déjà que Cédric sait faire vivre une atmosphère urbaine à travers des personnages marquants et un sabir créé pour l'occasion. Le roman est très immersif : la ville et ses personnages y sont vivants.
    Par contre, je trouve que l'intrigue en filigrane est malheureusement trop peu traitée. C'est vraiment une toile de fond et l'absence de ces événements ne changerait rien au roman : les personnages, même s'ils y sont connectés brièvement, ne seront jamais vraiment affectés par eux. Je demande pas qu'ils en soient les acteurs principaux, hein. Juste que j'ai l'impression d'un trop grand morceau de ouate entre les personnages et les événements. En comparaison, l'aspect chorus de Wastburg gommait ce problème.
    En conclusion, si l'excellence de l'écriture de Cédric et de sa gestion du décor autant que des personnages est bien là, je regrette juste cette forte déconnexion entre les personnages et les événements qui les entourent. Je recommanderais donc fortement sa lecture mais en tant que tranche de vie, effectivement à la "A Tombeau Ouvert". Et ce serait vraiment un super décor de jdr.

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  4. Sovok a été sélectionné parmi les finaliste du prix Exègète du Vil Faquin :
    https://lafaquinade.wordpress.com/2015/07/01/news-14-29-6-15-prix-exegete-2015/
    J'ai tellement aimé le livre que je me suis permis de voter pour.

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