Depuis que j'ai lu l'excellent Cryptonomicon de Neal Stephenson, le personnage d'Alan Turing exerce une fascination sur moi. Toutefois, je ne m'étais pas plongé plus avant dans l'histoire de cet homme dont on peut dire sans sourciller affirmer qu'il a changé le cours du XXè siècle.
Imitation Game m'a donné l'occasion de le faire. Le film se focalise sur la période 1941-1942 où Turing travaille avec une petite équipe à la construction de sa machine, le premier "ordinateur" pour briser le code Enigma. Le génie de Turing est de comprendre que seule une machine est capable d'effectuer le nombre d'opérations nécessaires pour briser en 24h l'encryptage utilisé par les nazis pour leurs communications militaires et modifié tous les jours. J'y ai trouvé non seulement un film qui remet à l'honneur le rôle crucial de Turing dans le déroulement de la seconde guerre mondiale (sans pour autant le glorifier), mais également une réflexion sur l'altérité que je n'y attendais et qui est excellemment amenée, humaine sans être envahissante.
Le personnage principal est joué par Benedict Cumberbatch, et je dois dire que si cet acteur me plait je craignais un peu que son personnage de sociopathe affable de Sherlock ne déteigne sur celui de Turing. Mais si la scène d'ouverture du film, celle du recrutement de Turing à Bletchley Park, peut donner cette impression, on se rend vite compte que Cumberbatch joue avec beaucoup de finesse les fêlures d'un homme torturé par son quasi-autisme et son homosexualité.
Son incapacité (ou son absence de volonté) à expliquer ses vues à ceux qui n'ont pas le bagage scientifique ou intellectuel pour les comprendre met en avant l'arrogance du personnage. Mais on découvre en parallèle son apprentissage de la socialisation au contact de Joan Clark, brillante mathématicienne qui, parce qu'elle est une femme, ne peut pas se payer "le luxe" d'être abrasive.
Au-delà de la Grande Histoire et de l'importance de Turing dans la victoire alliée, le film explore ce que cela veut dire d'être différent. La scène la plus poignante à mon sens est ce moment tout en finesse où Turing explique à son interlocteur ce qu'est le jeu de l'imitation, un test sous forme de conversation visant à déterminer si celui qui répond est humain (ce qu'on appelle depuis le test de Turing). On comprend alors qu'il se pose autant la question pour lui-même que pour une éventuelle intelligence artificielle.
Imitation Game est un film que je recommande vivement, il est magnifiquement joué (les personnages secondaires sont aussi très bons, même si je n'en ai pas parlé) et mis en scène. On pourra lui reprocher un abus de flashback et de fast-forward qui sont un peu déroutants au début, mais c'est vraiment un point mineur qui ne nuit pas à l'immersion. La puissance des deux histoires qui s'entrecroisent, celle du code Enigma et celle de Turing lui-même en fait un film à la fois plein de suspens et empreint d'une grande humanité. Un film prenant et poignant.
Tout à fait d'accord.
RépondreSupprimerDommage que la plupart des obstacles et péripéties soient inventées pour le film, et que le caractère des protagonistes historiques soient altérés au-delà de toute ressemblance.
RépondreSupprimerLe film m'a franchement déçu, pour cette raison.
Intéressant, ton commentaire, Olivier. Je comptais m'acheter la biographie dont il est tiré. Je ne suis pas forcément surpris, en même temps, c'est le propre des biopic d'une manière générale. C'est souvent plus une dramatisation à outrance de la vie d'une personne qu'une histoire proche de la réalité de sa vie.
RépondreSupprimerCumberbach est effectivement un acteur exceptionnel, sans doute possible l'un de mes favoris du moment - avec Matthew McConaughey, comme beaucoup, et Leonardo DiCaprio, mon "all time favorite". Si son Holmes est remarquable, sa prestation dans Star Trek Into Darkness prouve que ce n'est un hasard, ce que confirme de nouveau Imitation game. Globalement, le jeu des acteurs mérite à eux seuls le détour et sauve le film des défaut soulevé par Olivier.
RépondreSupprimerDeux histoires s'y croisent en effet, mais curieusement, celle de l'invention de la machine de Turing est largement sous-traitée. A aucun moment le film ne tente ainsi de montrer quelles clés et mécanismes Turing a mis en oeuvre pour déchiffrer Enigma, qui finissent par tomber comme un deus ex machina (c'est le cas de le dire ^-^) bien mal amené.