Astuce vacances de Jack Reacher (Lee Child) : n'emportez qu'une brosse à dents et votre pièce d'identité


Jack Reacher est le héros d'une série de polars à succès (plus de 20 tomes) qu'il y a quelques mois[1], je ne connaissais pas. Puis, à la suite du film bien troussé dans lequel Tom Cruise incarne le personnage[2], j'ai décidé d'essayer. Mal m'en a pris. Je loupe depuis régulièrement mes arrêts de métro et de train, les heures de sommeil ont fondu, et il a fallu que ma femme change le code de notre compte pour que j'arrête d'acheter les ebooks sitôt la dernière page du tome précédent tournée. Et le pire c'est qu'il m'en reste encore plus de 15 à lire à ce jour.[3]



A première vue, ça ne semblait pourtant pas ma came. Jack Reacher, sur le papier, c'est la Mary-Sue ultime. Lee Child, britannique élevé à la littérature classique, décide après que la chaîne de télé qui l'employait eut dégraissé ses effectifs de se lancer dans l'écriture. Avec une conviction, que les bons personnages font les bonnes histoires, et une volonté, celle d'écrire des livres qu'il aimerait lire. Amoureux des romans noirs, il est aussi persuadé que tout a été dit en matière d'enquêteur cabossé, alcoolique et looser, qui se fait taper et balader par tout le monde jusqu'à la dernière page. Du coup, il construit son personnage comme une sortie d'anti-anti-héros, un croisement improbable de Rambo et de Sherlock Holmes : 1m95 et 120kg de muscles, intelligent, cultivé, et bel homme. Le parallèle avec Rambo n'est pas totalement faux, puisque Jack Reacher est un ancien militaire, démobilisé après une vie outre-mer, et tout aussi incapable que le personnage du premier film de se réinsérer dans la vie civile. Et celui avec Holmes l'est tout autant, car Jack Reacher, qui a servi dans l'armée comme policier militaire, est tout aussi remarquable par ses capacités de déduction que par son instinct et son intuition.



Les aventures de Jack Reacher, chevalier errant moderne - le bagage universitaire de Lee Child refait ici surface - ressemblent à des westerns modernes : Jack Reacher arrive dans un coin des US, met les pieds dans une sombre intrigue dans laquelle il se retrouve malgré lui impliqué, en comprend à force de déductions les tenants et les aboutissants, et résout tout les problèmes en tuant plus que sa part d'opposants, puis s'en va vers le soleil couchant en délaissant une ou plusieurs beautés énamourées...



Bon.

Je crois pas que je suis en train de bien le vendre, mon Jack Reacher.

Essayons un autre angle.

Vous en avez marre des polars où vous voyez péniblement se débattre un personnage à travers une intrigue que vous avez devinée depuis déjà plusieurs chapitres ? Vous hurlez de frustration en voyant des protagonistes faire des erreurs grossières, comme de ne pas vérifier si un ennemi était vraiment mort, ou se séparer avant d'explorer un lieu réputé dangereux ? Vous êtes las des investigateurs qui se font casser la figure dans des ruelles ou matraquer au détour d'un angle de rue ? Lee Child vous a entendu. Le méchant est un meurtrier impitoyable ? Jack Reacher a encore plus de sang sur les mains.  Le méchant prend la belle fille en otage ? Jack Reacher tire quand même. Il tend un piège au héros ? Jack Reacher le devine à l'avance et le retourne à son avantage. Il le menace ? Jack Reacher lui fait sortir les dents par la nuque à coups de poing. Jack Reacher est là pour vous venger de tous les loosers à qui vous avez prêté votre empathie et votre attention. Jack Reacher, c'est le bad ass ultime, qui pulvérise les méchants à coups de rangers alors qu'ils tentent d'exposer leurs plans machiavéliques.



Mais Jack Reacher n'est pas qu'un exutoire pour nos frustrations de lecteurs lassés des ficelles des auteurs de seconde zone. Il fallait du talent pour trouver des histoires à la hauteur du personnage, et surtout arriver à créer du suspense alors qu'il semble si dénué de faiblesses. Comment faire durer un récit policier sur 400 pages quand le héros coupe à travers les fausses pistes et les pièges comme un Ka-Bar à travers la gorge d'un mafieux russe ? Et comment le faire sur plus de 20 tomes ? Lee Child le fait en trouvant un rythme assez lent, parfois contemplatif, très riche en descriptions, et en prenant le temps de montrer et d'exploiter les faiblesses de son personnage, inadapté social incapable de se fixer et de se lier, en décalage complet avec son époque et son pays. La nationalité de Child, anglais, comme les années de Reacher à l'étranger, lui permettent de relever et de décrire la culture américaine comme on la voit rarement sous la plume des natifs.


Et vu la particularité de notre blog, mentionnons pour finir l'intérêt que cette série peut avoir pour nous rôlistes : non seulement les intrigues sont très bien ficelées et ne demandent que peu de travail pour être transposées en scénarios, mais la façon dont Jack Reacher, vagabond sans attache, se retrouve chaque fois malgré lui impliqué dans l'intrigue rappellera de doux souvenirs aux MJ dont les PJ renâclent sans cesse pour jouer le jeu du scénario quand bien même cela fait des semaines qu'ils attendaient l'occasion de se retrouver pour jouer ensemble.



Evidemment, qu'il y a des faiblesses : le plus évident est le peu de crédibilité du personnage et son absence totale d'évolution. Comme tout récit d'action et de justicier solitaire, cela ne flatte pas les plus élevés et les plus moraux de nos instincts. Par bien des égards, Reacher est une version moderne des personnages de Charles Bronson.[4]

Si vous avez envie de donner une chance aux livres, allez faire un tour sur la page Wikipedia du personnage où vous trouverez tous les titres en anglais et en français. Commencez par le premier ou n'importe lequel d'entre eux (ils se lisent vraiment dans n'importe quel ordre), et revenez me dire ce que vous en avez pensé.

[1] En faisant un peu de nettoyage sur le blog, je me suis aperçu que ce brouillon attendait depuis près de 7 ans d'être publié. La série récente d'Amazon Prime lui ayant redonné de l'actualité, je le publie tel quel, sans rien retoucher. Il n'y aurait de toutes façons que peu de choses à changer à part le nombre de tomes publié (on en est à près de 30, je crois ?) et le fait que Lee Child ait passé la main à son frère pour un résultat apparemment mitigé.

[2] A l'époque, il n'y en avait qu'un, et la série n'existait pas encore.

[3] Ca y est, j'ai lu tous ceux écrits par Lee Child. Bon, ça s'use un peu sur la fin, on va pas se mentir.

[4] C'est encore plus évident dans la série.

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