Urban Shadows

C’est une maladie qui nous a frappés très tôt, à dire vrai. Évidemment, Vampire : la Mascarade a été un énorme choc. C’était dément toutes les portes qu’il ouvrait. Une théâtralité. Une certaine posture. Des citations tirées de chansons que nous ne connaissions pas. Mais le second choc a été Loup Garou : l’Apocalypse. J’en n’avais rien à faire de jouer un lycanthrope, ça a toujours été une créature peu intéressante à mes yeux. Non, ce que ce livre nous faisais comprendre, c’était qu’il était possible de faire cohabiter des personnages de ces deux univers qui n’en formait qu’un (le fameux Monde des Ténèbres). Puis il y a eu les mages, les fées, les fantômes, les momies, les démons… Évidemment que tout cela s’est délayé en une sauce insipide. Au lieu de prendre le meilleur de chaque jeu, on empilait des tonnes de règles et de background en une surenchère permanente. Moi le premier, j’ai fait jouer un mélange improbable de Vampire et de Changeling, avec des vampires qui assistaient à l’arrivée des Sidhes dans le Central Park de 1969. Mais en club, j’ai vu des choses plus étranges : une Pookah qui jouait au milieu d’une table d’Anarchs. Un groupe sabbatique qui tolérait un PJ mage. Un PJ mort qui continuait à jouer à une table de loup garou car c’était désormais un fantôme. Le Monde des Ténèbres possédait dès le départ les germes de cette auberge espagnole gothique. Et ça donnait des séances très lourdes car il fallait jongler avec plusieurs livres de règles. Et surtout, il y avait multiplication des fameux métaplots. Non seulement le MJ jubilait parce qu’on ne savait pas ce qui se tramait chez les vampires, mais en plus on ne s’avait pas ce que les mages préparait tandis que les fantômes grenouillaient sans doute d’autres manigances… C’était les années 90, quoi.

Et donc, Urban Shadows arrive 20 ans plus tard. Et c’est un jeu d’Urban Fantasy propulsé par l’Apocalypse. Et vous vous dites « Minute, papillon, tu ne nous as pas déjà fait le coup récemment avec Monster of the Week ? » Carrément, mon neveu. Et pour vous illustrer la différence entre ces deux excellents jeux, je vais prendre la série télévisée Supernatural comme exemple :

Monster of the Week est taillé pour émuler les épisodes où Sam et Dean déboulent dans le trou du cul de l'Arkansas pour aller botter le cul à un monstre qui n'aura pratiquement aucun impact narratif sur la série au long terme. Vous savez ces épisodes assez insipides que l’on appelle « fillers » et qui ne font qu’artificiellement gonfler le nombre d’épisodes à 22. Bien évidemment, il y a des petites pépites de temps à autre, mais la majorité du temps, c’est plan-plan et convenu. Les héros reprennent la route à la fin de l’épisode et on se dit qu’ils n’ont pas évolué et ni rien appris.

Urban Shadows est fait spécialement pour les épisodes avec un fil rouge où les Winchester s'allient à un démon sur le retour et un ange déchu pour casser la gueule à un vampire qui va empêcher les léviathans de provoquer l'apocalypse via un artefact et une prophétie des familles. Le tout avec des changements d’allégeance, des trahisons, du bluff et le retour d’un personnage adoré que l’on croyait mort depuis trois épisodes mais en fait non, il est revenu et on ne sait pas trop pourquoi et comment, mais justement on veut en savoir plus.

Alors Urban Shadows vous propose de prendre une grosse ville (sans doute américaine, car nous savons tous que si l’Apocalypse ne menace pas Chicago ou Seattle, alors elle ne menace pas vraiment le monde) et de la peupler de plein de créatures surnaturelles. Vous vous rappelez des blagues qu’on faisait comme quoi, dans le Monde des Ténèbres, il ne doit rester qu’une poignée de mortels tant il y a des êtres magiques à tous les étages ? Et bien Urban Shadows vous conseille d’embrasser ce constat pour en faire une réalité. Oui, telle boite de nuit appartient aux vampires. Même que le videur est une goule, tiens. Et le bar au coin de la rue ? C’est le repère d’une meute de garous, évidemment. Si bien que les joueurs peuvent, au choix, incarner :
-          un mortel qui sait que la réalité est méchamment pas normale
-          une fée qui vient d’un ailleurs avec ses histoires de cours seelie et unseelie
-          le bon vieux chasseur de monstres qui va botter le cul à qui bon lui semble
-          le devin qui s’y connait en prophétie pas forcément auto-réalisatrices
-          le fantôme qui fout les jetons et qui chouine quand il écoute Unchain melody
-          le démon qui embrouille son monde et bosse pour un supérieur qui l’oblige à faire des trucs dégeux
-          le vampire qui vous tient sous sa coupe et ne vous laisse qu’une très courte laisse
-          le vétéran, vieille gloire locale qui n’a pas dit son dernier mot
-          le magicien qui dépote avec ses sorts mais doit sans doute respecter un conseil de vieux barbus
-          le loup garou qui se défoule comme un chiot dans un jeu de quilles

Des personnages hétéroclites, donc. Et surtout des archétypes qui ne sont pas faits pour former un groupe de PJ complémentaires. Chaque joueur va avoir des buts différents et sans doute contradictoires de ceux de son voisin. Et c’est tant mieux : on est là pour tricoter du drama, donc il faut de l’antagonisme à gogo. Une séance on s’engueule, la semaine suivante on travaille main dans la main contre une menace commune, et une fois le danger écarté, on se fout sur la gueule avec plaisir. L’inconstance est le véritable MJ. Et contrairement au Monde des Ténèbres où les PJ n'ont aucune raison de jouer ensemble, dans Urban Shadows il existe dans les règles une économie de dettes. Je t’aide à t’en sortir contre ce chasseur de vampires et un mois plus tard, je peux faire appel à cette dette pour te demander un coup de main. Et comme le personnage est, dès la création, à la fois créancier et débiteur auprès de plusieurs PJ et PNJ, il y a tout de suite une dynamique qui se met en place. Le MJ regarde ta feuille et sait tout de suite que tu en dois une à Bidule, qui va donc pouvoir directement te mettre la pression pour te forcer à faire un truc pas jojo qui va te mettre à dos une faction de la ville.

Autre chose très appréciable : l’absence de background. Tout se précise en posant des questions aux joueurs en cours de jeu. Le MJ et les joueurs sont au même niveau car il n’y a pas à se cogner une description minutieuse de la ville avec des secrets tarabiscotés. C’est parce qu’un joueur à table joue un devin que le groupe va se poser des questions sur la divination dans cette ville. Est-ce qu’il y a une organisation qui fédère ces gens ? Si oui, existe-il aussi des dissidents ? Comment sont-ils perçus ? Quel est leur but ? Qui les dirige ? Et blam, en quelques questions on établit, collectivement, ce qui prendrait tout un chapitre fastidieux dans un supplément lambda. Les joueurs sont contents car ils sont au centre du jeu, le MJ dispose en temps réel de plein de billes pour faire rebondir l’histoire : tout le monde est heureux. Le MJ n’est plus le dépositaire de dark secrets à tiroir : il est là pour être le fan n°1 des PJ et leur mener la vie dure afin qu’ils puissent encore plus briller.

Bref, tout est fait pour simuler une série télévisée. Une sorte de Gotham qui rencontrerait l'imagerie de Tim Bradstreet.

Mécaniquement, c’est comme tous les jeux propulsés par l’Apocalypse : on jette 2d6, on ajoute une caractéristique, et :
-          sur un 10+ c’est un oui, et…
-          sur un 7-9 c’est un oui, mais…
-          sur un 6 et moins, le MJ te met le nez dans ton caca narratif

Par contre, en plus des habituels moves accessibles aux joueurs, il y a aussi des moves liés à l’intimité (et qui sont moins sexuels que Monsterhearts, pour ceux que ça énerve), des moves de corruption qui renforcent le personnage mais le condamne à moyenne échéance, des moves liés aux quatre factions de la ville (les mortels, les nuitards, les sauvages et les gens de pouvoir). C’est donc un peu plus compliqué que d’habitude, mais pas de quoi virer fou non plus, ça reste simple à appliquer.

C’est un jeu fait pour s’asseoir avec des amis et dire « Ça vous dit de rejouer comme il y a 20 ans mais avec un jeu de maintenant ? D’accord, alors, puisque vous avez choisi Détroit, comment ça se fait que les devins de la ville n’ont pas vu venir la branlée économique que s’est prise la ville ? Et toi qui joue un fantôme qui hante une maison, comment ta baraque arrive-t-elle à être plus effrayante que les milliers de ruines qui peuplent la banlieue ? D’ailleurs, t’es mort comment ? Et c’est comme ça que tu as rencontré un démon, donc ? Alors expliquez-moi ce que vous foutez ensemble dans cette vente aux enchères… »

Je mesure mon contentement ludique au fait qu'après avoir acheté et lu le PDF, j'ai passé commande de la version papier du jeu. Et ça, c'est clairement un indicateur que je veux y jouer.

Commentaires

  1. Il y a aussi un supplement Urban Shadows pour Londres que ma femme et moi avons ecrit. J'ai meme proposé de trouver un ecrivain pour Paris mais ils ont pas voulu. Mais du coup, c'est pas trop de travail.

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    1. J'ai hâte de lire le guide de Londres que ta femme et toi avez concocté.

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