« Soyez les bienvenus à ce nouveau numéro de l’émission Le Masque et la Plume. Je ne vous
présente pas mes invités, ce sont les mêmes depuis 20 ans, alors rentrons tout
de suite dans le vif du sujet : 22/11/63
de Stephen King. Je cède donc la parole à Maurice Beaugiac, des éditions
Nombrilis. Maurice, qu’en avez-vous pensé, de ce roman ?
- Eh bien, écoutez, j’ai été tout d’abord estomaqué que l’on me demande
de lire un ouvrage aussi peu digne d’intérêt signé par un auteur qui a, je dois
le reconnaître, été le précurseur de cette bouillasse que l’on appelle
littérature pour adolescents.
- Vous exagérez, Maurice. Certes, les jeunes lecteurs sont souvent
passionnés par les écrits de King, mais de là à le réduire à un auteur pour
ado…
- Et bien je me le permets car j’ai lu la plupart des 1000 pages de ce
pensum. Et c’est aussi balourd que ce que vous laisse présager le quatrième de
couverture. C’est l’histoire d’un professeur d’Anglais qui trouve une faille
temporelle dans l’arrière-boutique d’un restaurant et qui retourne donc dans
les années 50/60 pour empêcher l’assassinat de JFK par Lee Harvey Oswald.
Voilà, c’est dit, et tout le bouquin est aussi simpliste que ce résumé. Vous
avez là tout ce qui fait les beaux jours d’une série télévisée comme MadMen : une fascination pour le
Bon Vieux Temps et la mythologie américaine dans ce qu’elle a de plus
conventionnelle.
- Je vous reconnais bien là, Maurice. On peut quand même rappeler à nos
auditeurs que King était lui-même enseignant en littérature dans les années 70
et que donc ce personnage est en quelque sorte un prolongement de son
expérience professorale, puisque le narrateur du roman va attendre plus de 4
ans entre son retour dans le passé et le passage à l’acte d’Oswald. Et il va
donc enseigner dans un lycée texan où il découvrira une vie bien plus simple
que l’année 2011 de laquelle il débarque.
- Oui, c’est d’ailleurs l’occasion pour King de tartiner de nombreuses
pages sur le thème du bon prof qui révèle le potentiel de ses élèves et les
inspire comme dans le Cercle des poètes
disparus. Il y a également un petit accent de Saturday Night Lights, une autre série télé qui se complet dans la
mièvrerie sportive d’une petite ville où les gens sont nécessairement bons car
ils se connaissent tous.
- Maurice, permettez quand même que je dise que King n’enjolive pas
tant que ça le passé : il montre aussi le racisme, le tabagisme
généralisé, la violence conjugale tolérée… On est loin du c’était mieux avant.
- Sans doute, mais il débute son voyage dans le temps par un tour de
passe-passe littéraire assez détestable à mon goût : il fait revenir son
personnage sur les lieux d’un de ces précédents romans : Ça. Et King commence a vraiment trop
abusé de l’intertexualité. On sait tous qu’il a sorti une suite à Shining et qu’une partie de son fonds
de commerce est le recyclage de son imaginaire finalement limité au Maine.
- Oh la mauvaise foi du bonhomme, vous êtes impayable. C’est justement
un délice que de retourner dans le décor de Ça. C’est tout sauf gratuit. Je
suis d’accord pour dire que ce n’est pas indispensable à l’intrigue principale,
mais c’est très plaisant pour les lecteurs de la première heure.
- Mais ce n’est rien de moins que du fan service. C’est tout aussi vain que l’amourette du héros qui
occupe des centaines de pages. On me vend un voyage dans le temps pour empêcher
l’assassinat de JFK et je me retrouve à suivre la vie amoureuse d’un prof d’anglais
qui se tape la bibliothécaire dans un motel.
- Justement, sur ce point, Brigitte Jombard, des éditions
Germanopratin, qu’en avez-vous pensez ?
- Ce sont indéniablement les plus belles pages du roman. L’enquête du
héros pour déterminer si Oswald est l’unique tireur et quand il faudrait
idéalement le neutraliser est convenue : on se doute dès le départ que le
personnage principal ne flinguera pas Oswald trois ans avant les évènements et
que tout va naturellement pousser le récit vers cette fenêtre de tir donnant
sur la décapotable. C’est couru d’avance et donc on peut se focaliser sur ce
qui fait la vraie force de ce récit : une histoire d’amour temporellement
impossible qui entre d’autant plus en résonnance avec la vie de l’assassin en
devenir que lui frappe sa femme. Mais le héros se retrouve à espionner sa cible
comme dans Fenêtre sur cour,
finalement. Et puis il y a toute cette thématique sur les harmonies, cette
tendance qu’a le temps à tripatouiller les choses pour que tout retombe sur ses
pieds malgré les interventions de ce voyageur temporel qui, pour une fois, ne
débarque pas pile 5 minutes avant l’évènement fatidique mais au contraire
atterrit quatre ans avant, ce qui lui donne certes de la marge, mais également
l’opportunité de commettre des erreurs.
- Mais alors, quid de l’équilibre entre le drama et le
fantastique ?
- Il est bancal, voilà tout. Philip K Dick vous l’aurait résumé en 300
pages bien mieux troussées au lieu de se pignoler sur plus de 1000 pages comme
le fait King.
- Vous ne pouvez pas dire ça, Maurice, c’est au contraire admirable qu’il
prenne le temps de si longuement exploiter ses nombreuses thématiques. C’est un
roman fort, qui raconte plusieurs choses sur plusieurs niveaux. Un homme hanté
par un premier mariage avec une alcoolique. Un type qui n’était pas fait pour
les années 2000 mais qui va trouver sa place. Un redresseur de torts qui se
rend compte que sa quête est une mission impossible. Une femme qui s’ouvre à la
sexualité mais dont le bonheur est condamné par les mensonges de son amant. Et
puis oui, Oswald, que l’on dépeint sans gloire. Ça ne pouvait pas tenir en 300
pages, il fallait que ça se déploie ainsi.
- Alors, oui, mais si on enlève le retour dans Derry, une première
mission et tout le pataquès du spectacle de fin d’année, on pourrait aisément
faire tenir ça en 500 pages sans trahir le propos. Parce que là, désolé, mais c’est
bavard, Brigitte.
- Au contraire, je trouve que la longueur du roman va de pair avec le
voyage temporel du héros : son périple de cinq ans devient tangible pour
le lecteur car la structure du roman l’aide à éprouver ce sentiment du temps
qui passe.
- Moi, ce que j’ai ressenti, c’est qu’il allongeait la sauce pour en
faire une matière intéressante pour une série télé. Et ça n’a pas loupé :
ça a été décliné en 8 épisodes. Et l’impression que ça me donne, c’est que King
a été tellement adapté à la télévision et au cinéma que ça contamine maintenant
son écriture. Il adopte un format et un ton conformes aux attentes des
producteurs et diffuseurs. Ce n’est pas de la littérature, c’est du bloubi-boulga
pour Netflix.
- Je ne peux pas vous laisser dire ça, Maurice, c’est un King majeur,
bien ficelé. Sa présence en tête de gondole vous hérisse peut-être le poil,
mais c’est un best-seller de qualité.
- Allez, on passe à un autre titre, il s’agit de La Mue des mots, de l’Argentin Paco Tindareys. Une plongée insolite
dans l’univers du tango sur fond de crise de la quarantaine d’un architecte
rattrapé par la folie de la crise financière qui l’empêche de terminer la
construction de son chef d’œuvre. Alors, Maurice, qu’en avez-vous pensé, de
celui-ci ?
- Eh bien nous avons là un prétendant sérieux pour le prix… »L'avis de
je l'ai trouvé aussi mal fagoté comme roman, bien trop long et chiant...
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