Comme d’habitude, je
tiens tout d’abord à préciser que j’ai des relations éditoriales avec l’éditeur
de ce jeu. Ne soyez pas dupes : tout n’est que magouille et copinage dans
ce milieu.
Je me souviens très bien de ma réaction quand le financement
participatif de Ryuutama était en cours : « Une traduction d’une adaptation japonaise de Rêve de Dragon ? Sans
façon. » Les dessins enfantins, l’ambiance résolument optimiste,
l’idée que le MJ possède un personnage lui aussi… Tout concourait à me détourner
de ce projet.
Et puis le temps a passé. Ma fille est devenue assez grande
pour que je nourrisse son imaginaire avec certains films de Hayao Miyazaki.
Pendant une semaine, elle a regardé Kiki
la petite sorcière en boucle. Totoro s’est invité chez nous. Et j’ai donc
redécouvert le plaisir de ces histoires que l’adulte cynique en moi classe dans
la rubrique « Trucs cucul la praline
pour les mioches ». Et alors que j’étais de retour dans le magasin de
jeu que je fréquentais dans ma vingtaine, j’ai recroisé ce jeu sur l’étagère
« Soldes à -50% » de la section JdR désormais bien anémique (mais
c’est un autre débat). Et j’ai craqué.
Je le dis d’entrée de jeu : il y a encore et toujours
des aspects de ce jeu qui me hérissent le poil. L’omniprésence des dragons, en
premier lieu. Les gobelins- chats, ensuite. Et je sais à qui revient la faute
de ces aprioris : c’est Denis Gerfaud (et donc, par association, aussi à
Rolland Barthélémy). Une grande part de ma représentation du merveilleux
provient de l’ambiance de Rêve de Dragon. Je me suis si souvent amusé à
raconter la bêtise des zyglutes. J’ai exaspéré tant de joueurs en incarnant un
chat qui parle mais qui ne comprend rien à rien. Et les groins, plus bestiaux
qu’une section du GUD… Bref, quand je pense monde draconique avec des voyageurs
qui vont par monts et par vaux, je n’arrive pas à occulter RdD. C’est viscéral.
Je l’ai déjà dit, mais quand j’imaginais Wastburg dans ma tête, c’était un
dessin-animé faisait bouger les illustration de Rolland Barthélémy. Et donc je
n’arrive pas à assimiler la facture japonaise de Ryuumata. Je fais un rejet (et
pourtant, j’aime les tanukis d’un amour véritable). Et je sais que c’est
débile, mais Gerfaud à la préséance sur mon imaginaire.
Par contre, là où je n’ai pas de mal à remplacer Gerfaud,
c’est niveau règles. Ryuutama ne propose pas des règles sur l’éthylisme ou ne
gère pas la fatigue avec une approche comptable : c’est simple et bien
expliqué. Et j’apprécie le fait que l’environnement du voyage ait un réel
impact mécanique. Tu traverses un désert ? La difficulté des jets pour
chasser ou t’orienter va être bien différente de celle que tu as connu quand tu
sillonnais ta région de naissance.
Ryuutama évoque Zelda, moi j’y vois également beaucoup de
liens avec Les Légendes de la Garde. C’est un jeu où il faut prendre le temps
de s’arrêter sur des détails généralement cantonnés à la pure description
d’ambiance. Là où, généralement, le MJ décrit un voyage par l’intermédiaire de
quelques vignettes (tel un montage vidéo), ce jeu t’incite au contraire à
ralentir la narration sur ces instants afin de ne pas passer à côté des choses
simples (comme disait le poète). Tu veux que les joueurs croisent un voyageur
mystérieux qui va leur raconter une histoire au coin du feu en échange d’un repas
chaud. Tu veux qu’ils érigent leur campement sur des ruines qui vont changer
d’aspect pendant la nuit. Tu veux que l’un d’eux s’empoisonne et que toute la
séance ne soit qu’une course contre la montre pour trouver l’antidote. Tout le
jeu tend vers ça, et c’est bon. Et oui, le MJ a un personnage bien à lui.
C’était la pire idée du monde quand tu avais 15 ans et que tu devais subir ce
putain de PMJ de la mort qui tue, mais dans Ryuutama, c’est bien pensé et bien
foutu. Le MJ peut ainsi rattraper la sauce si le scénario part de traviole.
C’est malin et tout à fait dans le ton.
Et surtout, ce jeu est le produit de ses conditions de jeu
initiales : au Japon, il est normal de louer une salle de jeu à l’heure
pour pouvoir pratiquer le JdR. Pas de blablah. Donc hors de question de risquer que la partie s’enlise. D’où des
scénarios aux enjeux simples qui vont droit à l’essentiel. Et c’est parfait
pour les adultes responsables que nous sommes devenus : on peut raconter un
chouette voyage en 3h de jeu et ainsi jouer un soir de la semaine sans avoir le
sentiment que le MJ saucissonne ses intrigues.
En conclusion, non, je ne pense pas jouer à Ryuutama en
respectant le matériel de base. Si je passe à l’acte, ça sera en recyclant des
vieux scénarios Rêve de Dragon (ce que le livre de base conseille de faire) et
en décrivant des personnages comme Nitouche. C’est comme ça et c’est pas
autrement. Mais malgré mon conservatisme ludique de surface, Ryuutama m’a
énormément surpris par sa proposition ludique. Ce que je prenais initialement
pour des mauvaises idées (comme le fait de pouvoir perdre la moitié de ses
points de vie sur un jet d’orientation raté) m’a systématiquement obligé à
remettre en question mes idées préconçues sur le voyage en JdR. À un point que
je repense à toutes ces parties de Rêve de Dragon qui ont jalonné ma vie
étudiante et que je me dis que je remettrais bien le couvert en adoptant cette
approche japonaise qui est bien moins éloigné de nos enjeux que ne l’imaginais.
Bien joué, Lapin Marteau.
Je vois qu'on a exactement le même ressenti. En fait, ce jeu et Mousguard m'ont énormément nourris d'un point de vue création.
RépondreSupprimerAh moi c'était plutôt Eidé, mais bon...
RépondreSupprimerFlûte et zut et zyglute alors! Je savais même pas que ce jeu existait, alors que j'aurais eu toutes les raisons possibles et imaginables de le remarquer et de m'y intéresser: je me sens tout benêt maintenant. Merci pour cette salutaire leçon d'humilité.
RépondreSupprimer