Contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser Blacksad n'est ni une adaptation cinématographique de Justine ou les Infortunes de la vertu par le courant de la Blaxploitation, ni un jeu de rôle norvégien permettant de jouer les chagrins amoureux d'une bande d'adolescents gothiques. Il s'agit d'une célèbre bande-dessinée espagnole récemment adaptée en jeu de rôle par l'éditeur espagnol NoSoloRol Ediciones, jeu dont la traduction vient d'arriver sur nos étals. Si on peut se réjouir de l'arrivée dans notre langue de jeux hispanophones, on espère que Blacksad n'est pas représentatif de la production outre-pyrénéenne tant il s'agit d'une adaptation ratée et d'un JDR inintéressant.
Il faut dire que l’œuvre originale pose de grandes difficultés à qui veut en faire en jeu de rôle. Elle cherche d'abord à émuler un genre - les films noirs - et une époque - les années 50 - plus qu'à proposer un univers particulier. Pire la principale particularité de la BD est visuelle : les humains sont remplacés par des animaux parfaitement anthropomorphes.
Adapter un genre nécessite d'être capable de produire une analyse des œuvres dont on s'inspire qui soit à la fois claire et traduisible en éléments ludiques. C'est ce que parvenait à faire John Grümph dans La Lune et Douze Lotus dont Cédric et Benoit ont déjà dit beaucoup de bien ici. Son jeu reposait d'abord sur une volonté d'adapter le genre Sword and Sorcery. Le bouquin contenait notamment des pages passionnantes où l'auteur analysait le genre et proposait des façons concrètes de le faire jouer autour de la table. Il mettait par exemple en avant les thématiques de la lutte contre l'oppresseur se présentant comme "civilisé", le caractère inquiétant de la magie, la structure très simple des nouvelles...autant d'éléments discutables mais qui venaient fortement impacter la nature des parties.
Les auteurs du JDR Blacksad nous livrent à l'inverse une succession d'analyses indigentes, contradictoires et surtout inutiles de la BD. On nous apprend que la BD se rapproche un peu des films de la Blaxploitation parce que son personnage principal est un chat noir (et alors ?). On nous namedrope des films noirs sans nous les décrire. On nous explique que l'anti-héros de polar se fait souvent manipuler pendant ses aventures sans en tirer de conséquences ludiques...
Les conseils de jeu sont à l'avenant. On suggère au joueur de "jouer à perdre" en faisant parfois évoluer l'intrigue dans des directions défavorables à son personnage mais les scénarios proposés sont construits comme des défis ludiques dont l'enjeu principal est la réussite des enquêtes. On conseille au meneur de jeu d'être ferme avec ses joueurs...mais pas trop. On lui liste des procédés narratifs complexes (analepse, début in medias res, éclatement de la structure narrative...) que les auteurs se gardent bien d'utiliser dans les scénarios du bouquin.
Le pire concerne les passages consacrés à la gestion des enquêtes. De mon expérience de meneur et de joueur, il n'y a que peu de choses aussi difficiles à gérer autour d'une table qu'un scénario d'enquête. Il faut que le meneur dispose de solides capacités d'improvisation ou qu'il ait passé énormément de temps à réfléchir à l'enchainement des indices et aux réactions possibles des PJs, il est très difficile de maintenir le rythme dans ce type de scénarios puisqu'il est difficile de prévoir l'efficacité des joueurs-enquêteurs...Pourtant, pour une raison que j'ignore, les scénarios d'enquête sont souvent considérés comme les plus adaptés pour s'initier au rôle de meneur de jeu et le JDR Blacksad ne fait pas exception en les mettant en avant.
Pourtant là encore le jeu laisse le MJ démuni. Ni les mécaniques, ni les conseils de jeu n'offrent de réponse satisfaisante aux difficultés qui se présenteront à lui. Le bouquin propose de préparer une structure narrative extrêmement linéaire avant d'expliquer quelques pages plus loin que "les joueurs trouveront [quoi qu'il arrive] la manière de se sortir du scénario" et qu'il faudra que le meneur soit capable de "plier tel le roseau [pour] rebondir avec agilité à toute proposition que les joueurs pourront [lui] jeter"...on plaint le meneur débutant qui lirait ses lignes.
Sans surprise les mécaniques de jeu s'avèrent particulièrement confuses. On sent le système construit par empilement de mécaniques grappillées à droite et à gauche sans grand discernement. Le joueur lance systématiquement plein de dés (au moins 6) et doit atteindre un certain nombre de succès, le fait qu'un dé donne, ou non, un succès dépend à la fois de la valeur tirée et de sa couleur. C'est déjà assez peu compréhensible mais en combat le jeu ajoute un grand nombre de modificateurs de portée, de distance et de dégâts dont la plupart s’avéreront inutilisables si vous n'utilisez pas de figurines.
S'ajoutent des mécaniques gérant la psychologie et la morale du personnage qui donnent parfois des bonus quand on sombre dans la tentation d'agir de façon contraire à la loi (c'est lié à une table d'état de la morale du personnage qui évoque la gestion de l'Humanité dans Vampire : la Mascarade)...et parfois des bonus quand on résiste à cette même tentation (on peut être amené à rajouter des éléments à la narration comme dans Fate). Ici c'est le joueur qui aura du mal à comprendre où le jeu veut en venir et qu'est-ce que les mécaniques l'incitent à faire.
Vous l'aurez compris, je ne suis pas du tout convaincu par Blacksad JDR. Il me faut quand même saluer l'adaptation en français du jeu dont s'est chargée La Loutre Rôliste, un nouveau venu sur le marché de l'édition rôlistique. Le travail de traduction et de mise en page, mené par Christophe et Charlotte Dénouveaux, s'avère irréprochable même si l'amateur de la série regrettera l'absence de dessins inédits par rapport à la BD. J'apprécie de plus d'avoir pu me procurer le livre en PDF pour un prix très correct.
On entendra sans aucun doute reparler de La Loutre Rôliste car ils ont déjà annoncé plusieurs traductions de jeux espagnols. J'attends notamment avec beaucoup de curiosité Petits Détectives de Monstres un jeu d'enquête pour enfants dont j'apprécie beaucoup ce qui a été révélé de l'imagerie et surtout leur traduction du JDR adapté de la série animée Adventure Time (pardon Hora de Adventuras).
Il faut dire que l’œuvre originale pose de grandes difficultés à qui veut en faire en jeu de rôle. Elle cherche d'abord à émuler un genre - les films noirs - et une époque - les années 50 - plus qu'à proposer un univers particulier. Pire la principale particularité de la BD est visuelle : les humains sont remplacés par des animaux parfaitement anthropomorphes.
Adapter un genre nécessite d'être capable de produire une analyse des œuvres dont on s'inspire qui soit à la fois claire et traduisible en éléments ludiques. C'est ce que parvenait à faire John Grümph dans La Lune et Douze Lotus dont Cédric et Benoit ont déjà dit beaucoup de bien ici. Son jeu reposait d'abord sur une volonté d'adapter le genre Sword and Sorcery. Le bouquin contenait notamment des pages passionnantes où l'auteur analysait le genre et proposait des façons concrètes de le faire jouer autour de la table. Il mettait par exemple en avant les thématiques de la lutte contre l'oppresseur se présentant comme "civilisé", le caractère inquiétant de la magie, la structure très simple des nouvelles...autant d'éléments discutables mais qui venaient fortement impacter la nature des parties.
Les auteurs du JDR Blacksad nous livrent à l'inverse une succession d'analyses indigentes, contradictoires et surtout inutiles de la BD. On nous apprend que la BD se rapproche un peu des films de la Blaxploitation parce que son personnage principal est un chat noir (et alors ?). On nous namedrope des films noirs sans nous les décrire. On nous explique que l'anti-héros de polar se fait souvent manipuler pendant ses aventures sans en tirer de conséquences ludiques...
Les conseils de jeu sont à l'avenant. On suggère au joueur de "jouer à perdre" en faisant parfois évoluer l'intrigue dans des directions défavorables à son personnage mais les scénarios proposés sont construits comme des défis ludiques dont l'enjeu principal est la réussite des enquêtes. On conseille au meneur de jeu d'être ferme avec ses joueurs...mais pas trop. On lui liste des procédés narratifs complexes (analepse, début in medias res, éclatement de la structure narrative...) que les auteurs se gardent bien d'utiliser dans les scénarios du bouquin.
Le pire concerne les passages consacrés à la gestion des enquêtes. De mon expérience de meneur et de joueur, il n'y a que peu de choses aussi difficiles à gérer autour d'une table qu'un scénario d'enquête. Il faut que le meneur dispose de solides capacités d'improvisation ou qu'il ait passé énormément de temps à réfléchir à l'enchainement des indices et aux réactions possibles des PJs, il est très difficile de maintenir le rythme dans ce type de scénarios puisqu'il est difficile de prévoir l'efficacité des joueurs-enquêteurs...Pourtant, pour une raison que j'ignore, les scénarios d'enquête sont souvent considérés comme les plus adaptés pour s'initier au rôle de meneur de jeu et le JDR Blacksad ne fait pas exception en les mettant en avant.
Pourtant là encore le jeu laisse le MJ démuni. Ni les mécaniques, ni les conseils de jeu n'offrent de réponse satisfaisante aux difficultés qui se présenteront à lui. Le bouquin propose de préparer une structure narrative extrêmement linéaire avant d'expliquer quelques pages plus loin que "les joueurs trouveront [quoi qu'il arrive] la manière de se sortir du scénario" et qu'il faudra que le meneur soit capable de "plier tel le roseau [pour] rebondir avec agilité à toute proposition que les joueurs pourront [lui] jeter"...on plaint le meneur débutant qui lirait ses lignes.
Sans surprise les mécaniques de jeu s'avèrent particulièrement confuses. On sent le système construit par empilement de mécaniques grappillées à droite et à gauche sans grand discernement. Le joueur lance systématiquement plein de dés (au moins 6) et doit atteindre un certain nombre de succès, le fait qu'un dé donne, ou non, un succès dépend à la fois de la valeur tirée et de sa couleur. C'est déjà assez peu compréhensible mais en combat le jeu ajoute un grand nombre de modificateurs de portée, de distance et de dégâts dont la plupart s’avéreront inutilisables si vous n'utilisez pas de figurines.
S'ajoutent des mécaniques gérant la psychologie et la morale du personnage qui donnent parfois des bonus quand on sombre dans la tentation d'agir de façon contraire à la loi (c'est lié à une table d'état de la morale du personnage qui évoque la gestion de l'Humanité dans Vampire : la Mascarade)...et parfois des bonus quand on résiste à cette même tentation (on peut être amené à rajouter des éléments à la narration comme dans Fate). Ici c'est le joueur qui aura du mal à comprendre où le jeu veut en venir et qu'est-ce que les mécaniques l'incitent à faire.
Vous l'aurez compris, je ne suis pas du tout convaincu par Blacksad JDR. Il me faut quand même saluer l'adaptation en français du jeu dont s'est chargée La Loutre Rôliste, un nouveau venu sur le marché de l'édition rôlistique. Le travail de traduction et de mise en page, mené par Christophe et Charlotte Dénouveaux, s'avère irréprochable même si l'amateur de la série regrettera l'absence de dessins inédits par rapport à la BD. J'apprécie de plus d'avoir pu me procurer le livre en PDF pour un prix très correct.
On entendra sans aucun doute reparler de La Loutre Rôliste car ils ont déjà annoncé plusieurs traductions de jeux espagnols. J'attends notamment avec beaucoup de curiosité Petits Détectives de Monstres un jeu d'enquête pour enfants dont j'apprécie beaucoup ce qui a été révélé de l'imagerie et surtout leur traduction du JDR adapté de la série animée Adventure Time (pardon Hora de Adventuras).
Bien cruel comme avis...
RépondreSupprimerPour l'avoir lu à plusieurs reprises, adorant les BD, il est tout à fait correct et le système de jeu est clair et avisé, proposant aux joueurs de réellement gérer l'avancée de leur personnage et ses actions avant tout de manière RP (d'ailleurs pas d'xp et d'évolution statistique ici) à travers des aspects, des faits marquants et des complications. Lancer les dés et obtenir 2 succès, voilà comment réussir une action et de nombreuses règles en lien avec les aspects de votre personnage permettent de modifier le jet (qui ne dépasse normalement pas les 6 dés dans la majeure partie des cas).
Toutefois deux reproches : pas de background détaillé de l'univers et des années 50 aux États-Unis donc l'imagination est indispensable pour créer des enquêtes. Le scénario et les idées de scénario en dernier chapitre ne sont pas très attrayants ni très travaillés mais ont tout de même le mérite de donner quelques idées. Il manquerait aussi peut-être une liste pratique d'animaux pour la création de personnage mais bon...
Pour résumer, un très beau bouquin comme la critique le souligne et un très bon jeu de rôle, règles simples et souples qui profitent à la narration et au développement de personnages de polar. Pour peu que l'on aime et que l'on souhaite retranscrire l'ambiance des BD, ce sont de très belles heures de jeu de rôle qui s'annoncent en perspective.