Les furies de Borås, d’Anders Fager







Bon, je sais, j’arrive après la bataille. Longtemps après, même, mais certains livres ont un don pour s’enfouir dans un recoin obscur des piles « à lire », puis pour s’y dissimuler pendant des mois ou des années.

Ceci posé, de quoi s’agit-il ? D’un recueil de treize nouvelles fantastiques, sept longues accompagnées cinq courts « Fragments », dont certains prolongent les textes principaux. Tout cela nous arrive de Suède, riante contrée qui produit des polars déprimants ainsi, donc, du fantastique. Et même, dans ce cas précis, du fantastique lovecraftien.

Je vais vous épargner la visite guidée nouvelle par nouvelle, ce recueil est trop homogène pour qu’elle apporte grand-chose. Si je devais désigner mes préférées, je mettrais en avant, plus ou moins dans cet ordre :

- Un point sur Västerbron, qui pose un mystère sans faire aucun effort pour le résoudre ;

- Joue avec Liam, une histoire d’horreur enfantine à la fois malsaine, bien construite et totalement dénuée d’espoir ;

- Le vœu de l’homme brisé, parce qu’il s’agit d’un conte historique et parce qu’il met en scène un Grand Ancien pour lequel j’ai une certaine affection ;

- Les furies de Borås, pour la manière dont la narration réinterprète le motif classique des ménades.

Comme de coutume, c’est un ordre subjectif, révisable et qui ne veut en aucun dire que le reste ne mérite pas la lecture. Quoi qu’il en soit, tous ces textes ont un côté à la fois très noir et très cru, qui aurait certainement beaucoup choqué Lovecraft, mais qui fera les délices du lecteur du XXIe siècle.

Le patronage de Lovecraft m’inspire quatre réflexions :

- C’est de la bien meilleure came que 90 % des productions américaines. Certes, la 4e de couverture précise qu’il regroupe la crème de trois recueils, mais il n’y a pas grand-chose à jeter dedans, alors que la majorité des anthologies lovecraftiennes produites outre-Atlantique ne sont bonnes qu’à faire des shoggoths en papier[1]. Il existe des exceptions, bien sûr, mais la plupart des lovecraftiens de cinquième ou sixième génération exécutent de simples variations sur des canevas, quand ils ne se cramponnent pas à une collection de tics littéraires. Anders Fager a une voix originale, et qui porte.

- Dans la galaxie en expansion constante des continuateurs de Lovecraft, Fager me fait penser à Ramsey Campbell : noirceur ancrée dans le quotidien, personnages vaguement minables confrontés à des choses trop grandes pour eux… et même lumière sur la sexualité des personnages. Comme Campbell est britannique, il me vient un soupçon : se pourrait-il que Lovecraft résonne davantage dans la psyché des Européens ?

- Il n’y a pas besoin d’avoir un diplôme en cthulheries pour apprécier ce recueil. Le texte est truffé d’allusions, mais si on ne les repère pas, il reste d’excellentes histoires fantastiques noires avec des touches de gore. Je l'ai passé à quelqu'un qui n’a jamais ni lu Lovecraft ni joué à L’Appel de Cthulhu, l’a consommé comme ça, et a beaucoup aimé. Cela confirme l'existence de plusieurs niveaux de lecture...

- Les petits cailloux lovecraftiens semés par Fager n’ont pas tous une origine littéraire. En fait, une bonne partie arrive tout droit du jeu de rôle sans être jamais passée par la littérature. Cela ne me dérange pas, bien au contraire, je trouve cet exemple de pollinisation croisée tout à fait délectable [2].

Bon, pour résumer : c’est de la bonne, vous pouvez acheter en toute bonne conscience. Et moi, j’ai commandé La Reine en jaune, le deuxième recueil. Cette fois, je vais le clouer en haut de la pile, voire éviter de l’y poser.

22 € chez Mirobole Éditions, existe aussi en poche chez Pocket



[1] Un pliage complexe, qui peut vous coûter un doigt s’il est mal exécuté et vous faire dévorer s'il est trop bien réussi
[2] En revanche, Carine Bruy, la traductrice, ne doit pas être rôliste, parce qu’elle ignore à peu près systématiquement les traductions « canonique ». Et voici, chers petits enfants, comment Nyarlathotep devient « la langue saignante », ce qui me fait penser qu’il doit avoir un autre masque où elle est à point.
 

Commentaires