Épisode 47
Collection Fantastique/SF/Aventure, n° 11
Colin Wilson, très prolifique auteur britannique dont l’œuvre
s’étend des années 1960 à 2000, a exercé dans de nombreux genres :
SF, vulgarisation, critique, etc.
Dans notre petit coin de l’univers, il est connu pour une nouvelle
cthulhienne, Le retour des lloigors, qui date des années 1970
et fut l’un des points forts de l’anthologie Légendes du mythe de Cthulhu. Et lorsqu’il a écrit L’Appel de Cthulhu, Sandy Petersen l’a trouvée assez marquante pour inclure ses matériaux
dans sa synthèse cthulhienne. Au cours des trente années suivantes, les
lloigors sont ensuite apparus ici ou là dans la gamme, avec des fortunes diverses.
Ayant conservé un bon souvenir de la nouvelle, j’ai voulu voir ce que
donnait Les parasites de l’esprit, un roman qui prenait la poussière
sur mon étagère de NéO. Je n’aurai pas dû, et croyez-moi, ce n’est pas le
regret du protagoniste qui a découvert d’indicibles secrets, juste celui du
lecteur qui a perdu son temps…
Aucun doute, ces parasites de l’esprit préfigurent les lloigors
d’assez près pour que la parenté soit évidente, et qu’il soit possible, moyennant
un peu de rétro-ingénierie, de les utiliser en jeu. En revanche, certains des
ingrédients de ce roman sont à la limite du toxique.
Et donc, de quoi s’agit-il ? En son temps, c’était un roman de
SF, se déroulant entre 1997 et le milieu des années 2010, même si l’action
proprement dite se concentre sur la période 1997-1999.
Il n’y a pas de personnages à proprement parler, juste un
narrateur dont les deux composantes sont « archéologue + rationaliste »,
interagissant avec d’autres individus aussi peu développés que lui. À côté, les
personnages de Lovecraft ont l’air complexes et nuancés, parce qu’ils sont
capables d’exprimer au moins une émotion, la peur, alors que là, nous avons
affaire à de purs vecteurs d’information. Sans vraiment l’avoir voulu, notre
héros se retrouve aux avant-postes d’un combat cosmique pour amener l’humanité à
un état de conscience supérieure, que les abominables parasites de l’esprit
s’efforcent d’étouffer…
Commençons par évacuer le vernis SF, à base de visiophones,
d’hélicoptères personnels, d’avions-fusées… et aussi d’objets qui font
précisément ce qu’il faut qu’ils fassent pour les besoins de l’intrigue, parce
qu’ils sont « atomiques » ou « électroniques ». Cet
aspect-là du bouquin a terriblement vieilli, ce qui arrive souvent à la
science-fiction qui a dépassé sa date de péremption depuis plusieurs décennies.
Après, il y a les événements, qui commencent par le suicide d’un
ami du narrateur, se poursuivent par la découverte d’une cité ensevelie
colossale et cyclopéenne, et se terminent, deux ans et une guerre atomique afro-européenne
plus tard, par l’envoi de la Lune dans la proche banlieue de Mercure[1]. Ne
vous laissez pas prendre à ce résumé. En réalité, il ne s’y passe pas
grand-chose, ou plus exactement, tout ce qui se passe se déroule dans la tête
du héros et de ses associés, qui livrent un héroïque combat mental contre les
abominables entités psychiques que sont les parasites de l’esprit[2].
Le lecteur qui s’est un peu accroché tombe ensuite sur une strate de
Lovecraft. Elle présente un intérêt particulier, car elle joue un double rôle
inhabituel dans la narration. Dans un premier temps, c’est une fausse piste pour le lecteur. Si je vous dis
« cités ensevelies vieilles de plusieurs millions d’années + inscriptions
indicibles », vous allez chercher la dynamite, comme tout le monde,
non ? Eh bien non, car ces découvertes sont une fausse piste créée par les
parasites pour empêcher les humains de s’intéresser à eux. Ensuite, cela
devient une fausse piste à
l’intérieur de l’histoire, ce qui est plus drôle. En effet, constatant
que les parasites de l’esprit sont une menace incompréhensible pour le commun
des mortels, nos héros décident qu’ils vont les présenter comme les Grands
Anciens, et les baptisent Tsathogguayiens. Comme Lovecraft est devenu « l’auteur
le plus lu du monde » après la découverte de la cité préhistorique, la
population est impressionnée comme il convient. Hélas, je crains que ce ne soit
la seule vraie bonne idée du livre.
Pour le reste, Colin Wilson était un lecteur omnivore et pas très
regardant sur la qualité de ce qu’il consommait. Donc, on découvre des
références plus très fraîches à des choses comme les états de conscience
altérés et la mescaline, ainsi qu’à Huxley, Gurdjieff, Husserl… oui, il brasse
très large. Pas étonnant que les bonnes gens de Planète aient réservé un bon accueil à la version française à la
fin des années soixante ! MM. Bergier et Pauwels étaient sur la même longueur
d’onde que lui. Le problème de ce genre de référence, en dehors du fait qu’elles
doivent parler au lecteur, est qu’il faut un minimum de talent pour les faire
glisser. Quand c’est bien fait, ça donne Umberto Eco, ou Nephilim. Ici, j’ai eu l’impression être alpagué dans le métro par
un type hirsute tenant un discours à moitié cohérent[3].
Il est possible de tirer de ce bouquin un corps de doctrine simple
et victimaire à souhait : l’humanité est mal en point depuis environ deux
siècles, mais c’est la faute des vilains parasites qui nous empêchent de
devenir des surhommes. Heureusement, grâce à la « phénoménologie »,
il est possible de s’en débarrasser et de progresser vers un nouvel état de
conscience à faire pâlir d’envie Zoroastre et le Dr Manhattan.
Honnêtement, il ne faudrait pas beaucoup d’efforts pour trouver un
nom qui claque, changer la narration en doctrine et accumuler des milliards en
attirant des stars hollywoodiennes plus ou moins abruties. D’autres ont essayé,
et ça a bien marché pour eux.
Au passage, nous voici arrivés au noyau du bouquin, qui relève de l’ésotérisme. J’en tire une leçon simple et directe sur un thème indémodable : il faut se méfier des doctrines qui postulent qu’une minorité « éclairée » peut changer le monde. Hélas, cette morale n’apparaît qu’en creux. Wilson, lui, ne voit aucun problème à ce que ses personnages décident pour le reste de l’humanité. Mais quand même, son héros, débarrassé des parasites qui l’empêchaient de devenir un demi-dieu, commence à regarder l’humanité d’un sale œil et déplore le temps perdu à la sauver alors qu’il aurait tellement mieux à faire avec ses nouveaux pouvoirs[4].
En définitive, que retirer de cette lecture, à part un goût de
poussière pire que celui de la plupart des romans des années 20 ?
Qu’il a mal vieilli parce qu’il était trop dans l’air du temps, justement. L’ésotérisme
est indémodable, mais il faut renouveler l’emballage toutes les deux ou trois
décennies pour attirer de nouveaux curieux. Or, cette synthèse où l’on voit
passer pouvoirs psi, cataclysmes lunaires et rejet de pans entiers de la
science moderne s’avère sérieusement périmée. Quant à son inscription dans le
mythe de Cthulhu… tout le postulat de Wilson est antilovecraftien.
Lovecraft posait comme base philosophique l’insignifiance de l’homme face au
cosmos. Vers la moitié du bouquin, le héros, en proie aux menées des parasites,
déprime, se sent minuscule, puis hausse les épaules, se dit « et
alors ? rien à foutre » et avance d’un pas plus ou moins assuré vers une
destinée que l’on pressent grandiose.
J’ai La pierre philosophale,
un autre roman de Colin Wilson, dans mes NéO. Je l’ai commencé dans la foulée
de celui-là, et j’ai craqué au bout de deux chapitres. Je ne pense pas refaire
l’effort avant longtemps. Après, vous faites bien ce que vous voulez, mais
considérez-vous comme avertis.
[1] – Les
amateurs de coïncidences qui n’en sont peut-être pas noteront qu’elle largue
les amarres fin 1999.
[2] – Séquences qui
m’ont rappelé le messie cosmoplanétaire du Mandarom et ses combats nocturnes
contre les démons extraterrestres, en moins pittoresque.
[3]
- Au bout d’un moment, notre archéologue rationaliste se met à tenir des raisonnements
franchement étranges sur l’histoire de la Terre, qui semblent tout droit sortis
d’un bouquin de la collection Aventure
Mystérieuse particulièrement barré… sauf qu’il a raison.
[4] – Ce qui
conduit à se demander ce qui se passera le jour où toute la population
terrestre sera dotée de pouvoirs psi surpuissants qui auront progressé plus
vite que son éthique. Mais comme les doctrines ésotériques sont profondément
aristocratiques, leurs auteurs ne posent jamais cette question.
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