Silo (Wool) - Hugh Howey



Non, le courant “classique” de la SF n’est pas mort, la preuve avec Silo, publié la première fois en français chez Actes Sud en 2013.

Le monde de Silo (Wool, dans l'édition originale) appartient sans ambiguïté aucune au registre de la dystopie. Il décrit une société vivant en autarcie dans un silo étanche de plus d'un kilomètre de profondeur, dont la colonne vertébrale est un gigantesque escalier central par lequel transitent à dos d'homme tous les échanges et toutes les communications. Les interactions entre les 144 étages, divisés fonctionnellement (les fermes hydroponiques, les usines, les centres de production d'énergie, les habitations, les nurseries, ou les mystérieux services informatiques) sont réduits et les libertés individuelles inexistantes : les enfants sont destinés à revêtir des blouses aux couleurs de la profession de leur parents, devront avoir un permis et l'aval des dirigeants pour se mettre en couple, et n'auront droit d'avoir des enfants à leur tour que s'ils gagnent lors des loteries organisées à chaque décès, afin de garder le même niveau de population. Cette organisation est maintenue par un triumvirat composé d'un Maire élu, d'un Sheriff désigné et d'un inquiétant Directeur Informatique tout puissant, reclus parmi ses ingénieurs et ses serveurs à un étage entièrement dédié à l'informatique.
Au sein de cette société arbitraire, il existe un tabou, inviolable et absolu : mentionner l'extérieur. La punition est toujours la même : être envoyé Nettoyer les lentilles des caméras extérieures, encrassées par les nuages de poussière empoisonnée, avant de mourir terrassé par la toxicité de l'atmosphère, sous les yeux des curieux rassemblés à cette occasion pour regarder l'unique vue de l'extérieure existante.

Silo est un phénomène de l'auto-édition en numérique, et la première nouvelle publiée, Wool, montre pourquoi : 20 pages d'une écriture précise dissèquent les pensées d'un condamné au Nettoyage, et expliquent par flash-back entremêlés comment il en est arrivé là. Une fois dehors, fera-t-il, malgré sa résolution contraire, comme tous les autres condamnés : nettoyer les caméras avant de s'effondrer ?

A la lecture de l'excellente chute, on se demande ce que l'auteur a pu vouloir ajouter dans les 4 autres nouvelles qui composent ce fix-up. En fait, chacun des textes dévoile une nouvelle bizarrerie du silo, et les révélations, dont l'auteur n'est pas chiche, soulèvent à chaque fois de nouvelles questions. Plus que l'intelligence de l'intrigue, toutefois, ce qui fait l'intérêt du livre et son originalité, c'est l'importance accordée aux émotions et aux pensées des personnages. Ceux qui espèrent un post-apo ou un thriller échevelé seront déçus : même s'il recèle plus que sa part de rebondissements, les moments d'action et de suspense sont peu nombreux, et l'auteur prend plus de plaisir à détailler les peurs, les remords et les regrets de ses personnages, qu'à essayer de surprendre le lecteur. Cela donne une coloration nostalgique et douce-amère, au récit : ainsi, la seconde nouvelle met en scène deux dirigeants vieillissants du Silo, dont le voyage de plusieurs jours sur l'escalier central est à la fois une descente au fin fond de la structure et une plongée au sein de leurs souvenirs et de leurs regrets.

Dire de Silo qu'il s'agit de SF ou de post-apo, c'est comme de dire que La Route est un remake de Mad Max ou Chroniques Martiennes de la hard-science : ce serait tromper sur la marchandise et risquer de décevoir. Mais si on sait avoir affaire à un récit introspectif et un conte politique, on ne peut être déçu. Quant à moi, je continue avec Shift, le deuxième tome et recueil de la trilogie, qui revient sur l'origine de la création du Silo : arche, asile, prison ou réserve ?

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