Relire Dune 23 ans plus tard


J'avais 23 ans quand j'ai lu Dune pour la première fois. Je faisais mon service militaire, alors les occasions de lire étaient nombreuses. J'ai dévoré les 6 livres comme un Shai-Hulud se jetant sur une moissonneuse. Ma lecture me permettait bien évidemment de fuir la vie de régiment. C'était de la SF philosophique, avec des images fortes et des concepts perchés. Arrakis me faisait oublier la chambrée, la marche au pas et les petites brimades du quotidien. Avec le recul, la saga a formé un gros gloubi-boulga space arabo-opera dont je n'ai aucun souvenir concret à ce jour. Mais à l'époque, c'était pile-poil ce dont j'avais besoin pour échapper à l'abrutissement martial. J'avais constamment un des six livres dans une des larges poches de mon pantalon de treillis. Au stand de tir. Dans une P4. Pendant mes cours de décodage. Aspirer à l'ailleurs...

Comme bien du monde, j'ai joué au jeu de plateau, j'ai vu et revu le film de David Lynch, j'ai joué au RTS, j'ai vu la mini-série télévisée... Bref, Dune a toujours fait partie de mon imaginaire et des références culturelles de mon milieu. Mais je n'ai jamais replongé dans cette lecture car c'était un cycle qui symbolisait les mois passés en Auvergne. Une période ambiguë entre rite de passage initiatique et connerie militaire. Je n'osais pas retourner au texte car je me doutais que mes goûts avaient changé. Que je n'étais bien évidemment plus dans le même espace mental. Sauf que la sortie du film de Denis Villeneuve rendait cette relecture quasi-obligatoire. J'avais 23 ans à l'époque, 23 ans sont passés depuis... Il me fallait retourner à la source.

C'est un peu une prophétie autoréalisatrice, mais à force de me répéter que le roman séminal avait forcément mal vieilli, j'ai bien sûr eu le sentiment que le premier tome accusait son âge. Il y a des passages que je trouve imbitables aujourd'hui. En particulier des scènes chez les Harkonnen. Le Baron et ses deux neveux sont au final sous-utilisés car mal développés. Et le plan impérial pour se débarrasser des Atréides me semble alambiqué pour pas grand chose. Surtout quand Padishah Shaddam IV se pointe sur Arrakis en personne juste pour permettre à l'intrigue de progresser d'un coup. On passe tout le roman a faire le portrait d'un empereur stratégiquement éloigné, qui joue au billard en trois bandes à travers l'espace, mais paf, il débarque en prenant des risques absurdes sans lesquels le protagoniste ne peut pas obtenir sa vengeance.

L'autre truc qui m'a marqué, c'est les nombreux trous narratifs qui parsèment le récit, à mes yeux. Que se passe-t-il sur Caladan en l'absence du Duc et de sa suite ? Comment se passe concrètement le voyage spatial entre les deux planètes ? À quoi ressemble la vie quotidienne des Fremen dans un sietch ? Le livre abonde de détails sur des points que je trouve secondaires mais fait régulièrement l'impasse sur des éléments que je trouve centraux. Mon cerveau avait comblé les trous à l'époque, mais aujourd'hui j'ai souvent été frustré par la narration. J'avais envie que l'intrigue tourne moins autour des pensées de Paul et sa mère pour mieux explorer ce décor prometteur mais finalement peu décrit.

Et puis, c'est quoi cette fin abrupte ? On te fait monter la sauce pendant des centaines de pages, tout ça pour un final frustrant, expédié à la va-vite.

Après, j'ai l'air de dire du mal de Dune, mais globalement, le livre a conservé une folle puissance d'évocation. Les idées sont impressionnantes, Arrakis est toujours aussi envoûtante, ça reste de la SF de très haut vol. C'est juste que le mysticisme n'est vraiment plus ma tasse de thé, alors ce qui m'avait enflammé l'âme dans la prime vingtaine me semble aujourd'hui un peu puérile.

Je ne pense pas enchaîner avec le reste de la saga, encore moins avec les livres produits par le fils de Frank Herbert. Mais ça me rend encore plus curieux du travail de Denis Villeneuve pour le second film. J'ai adoré son adaptation, aussi je suis très intéressé par la manière dont il va magnifier ce matériel de base étant donné qu'il a un peu de latitude pour modifier les choses.

Commentaires

  1. Pareil. Je me suis refait le bouquin après avoir vu le film de Villeneuve. En Auvergne aussi mais pas au 92ème 😁. Une très belle (re)lecture mais je partage la plupart de tes "déceptions", notamment la fin un peu bâclée.

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    1. Je n'étais pas un simple fantassin du 92e, j'étais un fier transmetteur du 28e. Chanter "Nos anciens du Liban" tout en lisant les exploits des Fedaykins, c'était un drôle de délire...

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  2. dommage les ecrit du fils sont pas mal

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