Coulisses de l'édition




On parle rarement des coulisses de  l'édition et notamment de ces moments privilégiés que sont les  entretiens chaleureux entre auteurs et éditeurs. Ces échanges qui, par  la qualité et l'élévation de leurs propos, permettent l'avènement aux  yeux de public de tant de chefs d'œuvre.

C'est  pourquoi la retranscription ci-dessous est exceptionnelle, cher public.  Les participants à cette discussion vous sont familiers: Bob, le fameux  éditeur multicartes, spécialisé dans la fantasy, et L.L. Kloetzer,  auteur bien connu des pages de ce blog.

Bob  : Merci beaucoup d'être venu, mon cher L.L. Tenez, asseyez-vous ici,  poussez tous ces papiers qui sont sur le fauteuil, c'est le septième  tome d'un roman qui s'appelle la septième prophétie, je n'ai même pas besoin de le lire, je sais déjà ce qu'il y a dedans. Je le vois, je l'édite.
L (il/lui) : merci, monsieur Bob, c'est très aimable à vous...
L (elle)  : oui, moi je m'assieds où ? Il m'a percutée le gros chauve à cigare ?  (bruit d'une pile de parchemins qui s'effondre d'un fauteuil) C'est quoi ces vieux papiers ? C'est écrit avec du vrai sang? La prophétie du septième tome, peut-être ?
Bob  : Prenez donc un cigare. Non ? Un whisky alors ? Mettons-nous à l'aise  et parlons un peu de votre dernier petit roman, là, le Soleil Noir. Un  retour à la fantasy, ça fait plaisir ! Je savais que ce passage par la  SF ne durerait pas et qu'on vous retrouveriez le sens des valeurs...
L (elle) : oui, c'était mon idée.
Bob  : ... des valeurs financières, ha ha ha ! Mais commençons par la  pommade, comme je dis toujours. (bruits de pages d'un manuscrit qu'on  tourne négligemment). Je me suis permis de lire votre scénario, là, et  je voulais vous dire que je suis con-tent. Oui, sincèrement content de  voir ce retour à de bonnes valeurs des littératures de l'imaginaire. Une  grande ville grouillante et cosmopolite, des noms exotiques et parfois  incompréhensibles, des dieux aux attributions bizarres, c'est vraiment  bien. Il manque une guilde des voleurs...
L (il/lui) : ... et bien, pour vous dire...
Bob  : ... mais on l'imagine bien. Et puis un couple de héros, une buddy  story, avec le guerrier vétéran et le jeune sorcier, jeune mais très  balaise, je trouve que ça sonne, ça vibre, ça renouvelle l'imaginaire.  Fini les héroïnes de quinze ans qui se découvrent héritières du peuple  disparu et qui tombent amoureuses de vampires ailés qui tirent à  l'arc... Chez vous, on est dans le réalisme, le vrai monde, avec des  héros qui ont du slip. Ca tire l'épée, ça cogne les malandrins sur des  coins de table, ça jette des sorts et ça reluque les filles dont les  gros seins dansent dans les chemises ouvertes.
L (elle) : je croyais qu'il savait lire, il ne faut pas ça pour être éditeur ?
L (il/lui) : chut, laisse-le dire, c'est un homme influent, on a besoin de son avis... Ses contrats sont réputés.
Bob  : tout ça, c'est bien sympathique, mais quand est-ce que vous me  remettez le roman ? Là, on a... à tout casser un poche de 300 pages.  C'est un squelette, une ébauche...
L (elle) : mais qu'est-ce qu'il croit ? Qu'on est des diarrhéiques du traitement de texte ?
L (il/lui)  : monsieur Bob... C'est-à dire... Nous aimons les romans courts,  voyez-vous. Les histoires qui tiennent toutes seules... Les "one shot",  comme on dit.
Bob : oh, laissez-moi le jargon, ne vous  salissez pas avec ça. Mais enfin, mon petit L.L., ça se voit qu'il en  manque ! D'où ils sortent, ces personnages ? Ce Yors ? Ce Noon ? OK, ce  sont des mecs, des burnés, des tatoués, l'oeil plissé, le passé  mystérieux, mais la lectrice veut du flash-back, de l'origin story. On  veut comprendre comment Noon a tué son maître en magie et où se cache le  traumatisme... Et puis ce world-building, là, c'est un peu faible. Il  manque l'annexe mythologique. Et un ou deux interludes contenant les  légendes de la création du monde. Des citations de quelques livres  imaginaires, pour donner de la profondeur. Je me suis permis de vous en  noter quelques unes de mon cru dans la marge. Une dernière chose,  fon-da-men_tale : la carte.
L (elle) : #facepalm. Je  savais qu'on allait nous faire chier avec la carte. Hey, gros, on n'en a  rien à foutre des cartes. Toi, dis-lui qu'on n'en a rien à foutre  puisqu'il a l'air d'avoir la surdité sélective à l'utérus.
L (il/lui)  : nous avons voulu renouer avec une fantasy un peu plus rêveuse, plus  évocatrice. Retrouver la poésie de mondes un peu plus flous,  s'affranchir de l'effet sourcebook de jeu de rôle...
Bob  : je vous ai dit de me laisser le jargon ! Mon gars, ce n'est pas avec  du flou qu'on fait de la tomaison. La multilogie a besoin de matière !  Vous auriez pu commencer par un peu de fluff sur les guerres de la  grande cité machin, là, votre ville, contre les troupes du juge Milan  quand il était jeune et fringuant. Et on aurait pu découvrir que Yors  est le vrai père de Rinaldo, le jeune premier. Vous imaginez la  révélation, à la fin ? Le voile tombe, le médaillon est révélé, une  jeune femme aux gros seins tombe dans les bras de Noon, de l'émotion, de  l'énergie, de la narration ! Faites-moi confiance. Vous avez rassemblé  des ingrédients classiques, il faut rester dans le classique.  D'ailleurs, parlons sexe. Qui baise avec qui ? Ce n'est pas clair. Vous  avez mis une nénette, là, Valentina. Un peu badass mais pas trop, et  vite à poil et souvent enchaînée, c'est bien, ça titille les sens.
L (elle) : d'où qu'elle est à poil ? Tu as changé quelque chose dans mon dos ?
L (il/lui) : non, je n'ai touché à rien... Je...
Bob  : ... mais laissez-moi vous dire : une des meilleurs énergies  narratives vient de ce moment où la lectrice se demande quand lui et  elle vont faire gouzi gouzi dans les fourrés. Ou dans la nécropole, on  s'en fout. Là, le héros qui rougit dès qu'un bipède à cheveux longs lui  adresse la parole, ça ne se fait pas. Corrigez ça. Je vous ai mis  quelques éléments dans la marge pour vous inspirer, à base de  braquemarts flamboyants et de déferlements de sensualité.
L (elle) : viens, on s'en va. Je vais lui faire savoir à ton copain Ferrand, ce que j'en pense, de son "ami éditeur".
L (il/lui) : attends... conseils de sagesse... expérience de l'âge...
L (elle) : on a un siècle à nous deux, alors pour l'âge, comment te dire...
Bob  : et croyez-en ma vieille expérience des vieux pots, meilleures soupes,  tout ça, il y a un autre truc qui déconne dans votre résumé de roman.  Les arcs narratifs ne sont pas tous bouclés. L'histoire du médaillon, ça  va à peu près, mais le type qui voit des fantômes chez lui, là, on  aimerait connaître la suite. Et le squelette dans le trou, alors, quand  est-ce qu'il s'anime pour étrangler les gens pendant la nuit ? Et  l'assassinat du cousin de Rinaldo ? Cinq chapitres, deux d'enquête, un  de baston et un de révélations, c'est trop demander ?
L (elle) : tu vas dire au monsieur qu'on ne changeras pas une ligne. Tu le lui dis, ou est-ce que je dois me mettre à hurler ?


Commentaires

  1. Mais alors ils sont deux ? Et ils ne pondent même pas deux tomes ???

    RépondreSupprimer
  2. "Toi, dis-lui qu'on n'en a rien à foutre puisqu'il a l'air d'avoir la surdité sélective à l'utérus."

    J'adore ^^

    Ce personnages récurrent est génial, truculent. J'ai toujours grand plaisir à lire ces dialogues, merci !

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire