SIG - La Cité des Lames


Je vais passer à confesse : je ne connais pas Planescape. Enfin, si : j'ai joué au jeu vidéo en son temps, j'ai rien pigé car c'était trop bavard. Et c'était moche, tout en dégradé marronasse et grisâtre. Voilà, c'est dit. Bref, je ne suis pas nostalgique de la Planescape alors que Sig - La Cité des Lames s'adresse précisément aux gens qui veulent retrouver le goût originel sans se retrouver nécessairement à motoriser ça avec D&D. En effet, Sig est la cité au centre de l'univers. Elle prend la forme d'un ruban de Morbius Möbius et est reliée magiquement à tout plein de plans élémentaires ou symboliques. Ce qui fait que la cité est fréquemment la destination de migrants planaires qui viennent s'y réfugier ou profiter des opportunités d'un tel endroit. C'est forcément le lieu de vie le plus cosmopolite du monde puisque tous les univers sont accessibles via Sig et ses portes magiques. On se retrouve donc avec un bon gros nexus et une infinité de plans en guise de terrain de jeu. Mais Sig est en proie à d'intenses luttes intestines : plusieurs factions en son sein s'affrontent pour vivre selon le vieil adage shakespearien : get rich ou die tryin'. Et justement, les PJ vont incarner des matois, de fieffés personnages qui vont profiter de ces incessants conflits pour se tailler une place au soleil. Et je dis bien tailler, car c'est un jeu dérivé de Blades in the Dark (et là, normalement, je devrais insérer un lieu vers nos billets qui parlent de la galaxie de jeux dits Forged in the Dark, sauf que je me rends compte à l'instant qu'on en a jamais parlé sur Hu-Mu).


Le plus meilleur jeu vidéo du monde selon certains.

À l'origine, Blades in the Dark est un jeu de rôles qui propose d'incarner des voleurs dans une cité un peu steampunk où l'on peut se protéger des fantômes avec de l'électricité. Le jeu est bourré de qualités, mais sa plus grande réussite, c'est d'avoir donné naissance à d'autres jeux suivants la même philosophie, parmi lesquels je peux citer deux de mes jeux favoris : Scum & Villainy (en gros, un livre pour faire du Serenity/Firefly sans posséder la licence) et Band of Blades (un jeu qui vous propose d'incarner une unité militaire en fuite permanente devant l'avancée inexorable d'une armée de morts-vivants. Et y'a des dieux qui peuvent s'incarner pour filer un coup de main. Et c'est trop bien). Mécaniquement, ces jeux tournent tous avec la même mécanique de base : on lance entre 1 et 4 d6 et on garde le plus élevé. De 1 à 3, c'est un échec, sur un 4 ou 5 c'est un "Oui, mais...", sur un 6 c'est une réussite et si on obtient plusieurs 6 c'est une réussite critique. À cela s'ajoute une gestion du stress qui permet au personnage de se dépasser ou d'encaisser des coups physiques ou mentaux. Le jeu met l'accent sur un truc vraiment malin : plutôt que de laisser les joueurs monter un plan pendant 2 plombes autour de la table et de voir ce plan foirer au premier jet de dés, les joueurs indiquent au MJ leur objectif et leur stratégie générale ("On y va en loucedé, pour changer"). Un jet de dés est réalisé, et en fonction du résultat, on commence in media res au moment le plus intéressant scénaristiquement. C'est pas : "Bon, ben vous approchez de la Guilde, mais y'a un garde, qu'est-ce que vous faites ?" mais "Ah, ah, c'est alors que vous êtes en train de descendre en rappel le long de la tour interdite que vous entendez le son d'une alarme. Avez-vous été repérés ? Est-ce au contraire une opportunité que vous allez pouvoir saisir pour faire diversion ?"


Habituellement dans ces jeux, tout est géré avec des livrets, c'est à dire des archétypes qui permettent aux joueurs d'opter pour un rôle et de retrouver dans son livret toutes les infos nécessaires pour jouer. Tout y est de la création de perso jusqu'à l'évolution via l'XP. Le tout sur une feuille recto verso, c'est un modèle de mise en page. Et surprise dans Sig : rien de tel. Oh, on utilise toujours la logique générale des jeux Forged in the Dark, mais point de livret. À la place, on choisit une origine (car on peut venir du plan qu'on veut), le groupe choisit quelle faction il va servir, mais c'est assez différent des autres jeux de la gamme. C'est pas nécessairement moins bien, hein, c'est juste que le livret était une sacrée bonne idée, là j'ai l'impression de retourner en arrière. Mais sinon, tout est là : à mesure qu'ils vont agrandir leur territoire, les PJ vont débloquer des endroits iconiques qui leur donne accès à de nouvelles capacités, comme dans un jeu vidéo. Style : lors de la précédente séance, vous avez voulu prendre le contrôle d'un portail. C'est désormais chose faite, félicitations : vous pouvez à votre guise vous rendre sur les plans du cercle intérieure.. 

Car oui, il n'y a pas vraiment de scénario au sens scripté du terme : c'est aux joueurs de fixer leurs objectifs à chaque séance. Il y a une mécanique qui permet de faire évoluer les relations avec les autres factions, donc quand on s'attaque au territoire d'un adversaire, on aggrave nos rapports avec cette faction, mais on se fait des alliés car il est bien connu que l'ennemi d'un ennemi est un peu moins notre ennemi. Donc les joueurs choisissent leur manière de faire croitre leur fief : essayent-ils se grignoter du territoire à tout le monde, au risque de se retrouver haïs par tous ou bien se concentrent-ils sur un adversaire, sauf qu'un pareil conflit ouvert, c'est un peu quitte ou double ? Pour aider le MJ, le bouquin de base découpe la cité en plusieurs parts de gâteau et liste les lieux importants de chaque quartier.

Par contre, cette VF est plutôt chiche en terme d'illustration, donc pour faire vivre votre version de Sig, vous allez devoir faire votre propre recherche iconographique. Les fans de Planescape vont se faire un plaisir de recycler leurs vieux suppléments, mais pour les gens comme moi qui manque de référence, c'est un peu difficile d'imaginer la vie dans une pareille cité. Niveau mise en page, j'ai trouvé que certaines page étaient un peu vides et qu'on aurait pu avantageusement consolider l'information au lieu de se retrouver avec des encadrés qui n'occupent que 50% de la page. Et ironiquement, pour une cité qu'on imagine fourmillante d'une population bigarrée, on se retrouve avec juste une poignée famélique de PNJ.

C'est clairement pas mon jeu préféré de la collection Forged in the Dark, mais encore une fois, je n'étais pas le public cible car je n'ai aucune nostalgie pour Planescape. Mais si connaissez la gamme d'origine et que l'idée de jeter un d20 pour faire vivre tout ça vous répugne, Sig est assurément une solution alternative qui va vous ravir si vous rêver d'incarner des personnages rusés à la Peaky Blinders. Pour ma part, je reste éperdument amoureux de Band of Blades (note pour plus tard : lui dédier un article) que je trouve plus généreux et plus dense. Mais c'est une question de goût. Idem : si vous êtes en manque de Nightprowler, Sig offre tout ce qu'il faut mécaniquement pour faire vivre des histoires de crapules dans ce genre.

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