For All Mankind

 
Le pitch de For All Mankind est enfantin : et si la conquête spatiale avait continué à passionner les Américains ? La série télévisée explore donc une réalité alternative où la NASA reste aussi sexy qu'en 1969. Au lieu de devenir blasée de voir l'humanité évoluer dans l'espace, la populace (qu'on ne voit d'ailleurs pas tellement dans les épisodes, tout est centré sur les astronautes et leurs proches) soutient le programme spatial. Mieux : le Sénat dépense généreusement pour financer cette odyssée dans les étoiles. Et encore plus : les femmes peuvent autant devenir astronautes que les hommes. Fini le boy's club exclusif, la série fait la part belle à des personnages féminins volontaires qui ont des responsabilités et du répondant. Il y a même une astronaute noire dès la première saison ainsi que des personnages LGBTQ+ (même si la NASA des années 70 n'est pas franchement un safe space).

Et donc la saison 1 raconte l'héritage nazi de von Braun, l'intégration des femmes et la compétition idéologique avec les Russes, qui eux aussi ont de grandes aspirations lunaires. C'est rigolo, on s'amuse à repérer les divergences historiques de cette uchronie tout en se laissant embarquer dans une conquête spatiale faussement imaginaire. Il se passe un milliard de trucs en 10 épisodes, c'est un feu roulant de crises aéronautiques, de drama domestique et d'aventures dans l'espace. On termine la saison en se demandant comment ils vont pouvoir tenir la distance lors de la prochaine saison.

Et bam, quand la saison 2 débute, on comprend que 10 ans ont passé. Grâce à tous les efforts précédents, une base lunaire américaine durable a été établie. On développe une propulsion nucléaire. Mais les Russes ne se laissent pas faire : il y a de la rivalité à tous les étages. Là encore, les rebondissements abondent, des personnages s'effondrent, d'autres renaissent, c'est superbement orchestré. Le parfait mélange entre développement dramatique et fiction spatiale. On est constamment en territoire connu, et pourtant les détails qui changent au détour d'une séquence avec Reagan vous rappelle que nous ne sommes pas dans la même ligne temporelle qu'eux. Mais comment vont-ils faire pour enchaîner avec une autre saison ?

Saison 3. Rebam : 10 ans ont à nouveau passé. On apprend au détour d'un titre quasi furtif que Margaret Thatcher a été assassinée. Et vas-y que maintenant, l'action prend place sur Mars. Les années 90 dans toute leur splendeur. Les héros et héroïnes des débuts sont en fin de parcours. Les enfants qu'on a vu grandir dans les saisons précédentes prennent leur place dans la course planétaire. On prend aussi conscience que l'humanité a beau explorer le lointain, elle emmène toujours ses problèmes avec elle et reproduit encore et toujours les mêmes erreurs.


Bref, For All Mankind est bien équilibré. Oui, ça parle de grosse navette et de base lunaire, mais sans jamais que le spectateur ait besoin de comprendre qui que ce soit à la science qui sous-tend tout ce spectacle à gros déploiement. Chacun peut venir y chercher ce qu'il aime : une histoire dynastique, l'émancipation d'un personnage, le progrès social, l'espionnage contre les Russes...

Pour les rôlistes, c'est une belle leçon sur un truc où l'on pêche souvent : nos univers sont fréquemment à jamais les mêmes. Y'a peu de révolution, le statu quo est favorisé car on ne veut pas passer 256 pages à décrire un monde pour finalement faire évoluer le décor dans une toute autre direction. La série se permet elle des bonds dans le temps et de faire drastiquement évoluer ses personnages d'une période à l'autre. Vous verrez ainsi une gentille femme d'astronaute bien coincée dans sa vie de femme à la maison intégrer la NASA ou devenir patronne d'un bar ou autre. On a vraiment le sentiment que le monde évolue car la technologie autour des personnages change visuellement, c'est pas juste une histoire de coupe de cheveux, de vêtements et de chansons emblématiques. Les mentalités progressent, les enjeux grandissent, c'est une course en avant perpétuelle. Ça reste un produit à la gloire de la NASA, hein, n'allez pas croire que la chanson du générique est Withey on the Moon.

Alors si comme moi vous avez l'intégrale de Transhuman Space en papier et/ou que vous avez rêvé devant L'Étoffe des héros, c'est le moment de vous embarquer dans une vraie odyssée. Et je ne sais pas si c'est le succès de la série qui est responsable en partie de ce retour en grâce, mais dans notre réalité à nous, le programme Artemis de la NASA annonce un nouveau déploiement des astronautes sur la Lune pour 2025. Et on annonce même qu'il y aura une femme dans l'équipage. Heureusement pour nous, dans notre bon vieux 2022, l'affrontement idéologique avec les Russes est de l'histoire ancienne.

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