La thématique de ce cycle le classe dans le sous-genre "polar medfan", mais le point de vue est différent du polar traditionnel, puisque le personnage principal, Vlad Taltos, est un assassin. Il fait partie de la communauté humaine, minoritaire, de la capitale de l'empire des Dragaerans, similaires en beaucoup de points à des elfes : plus grands, plus forts, plus agiles que les hommes, avec en outre la longévité et un talent inné pour la magie.
Très loin des figures classiques de la fantasy, le cycle de Taltos emprunte aux figures classiques de la littérature policière, voire des romans d'espionnage façon James Bond. Bien qu'écrits comme des romans de divertissements, les livres forment ensemble un cycle cohérent. On peut ainsi lire la série dans l'ordre chronologique (Taltos, Dragon, Yendi, Jhereg, Teckla, Phoenix, Athyra, Orca, Issola) mais il est plus intéressant de les lire dans l'ordre de publication, pour bénéficier de l'exposition de l'univers et apprécier l'usage du planting et du foreshadowing de Brust.
Car sans l'air d'y toucher, Brust a créé, au fil de tous ces romans, un univers particulièrement détaillé, mais dans lequel l'immersion est tellement progressive qu'on est jamais noyé dans les détails. On peut donc lire le cycle pour avoir sa dose de cycle de fantasy, mais aussi en pur divertissement. Dans l'un ou l'autre cas, le lecteur attentif peut relever les très nombreuses allusions, plaisanteries et jeux d'écriture de Brust. Par exemple, chaque tome contient très exactement 17 chapitres, le nombre-clé associé à l'Empire. Paarfi, le narrateur des Khaavren Romances, est un auteur très souvent cité par Vlad. L'histoire des personnages secondaires et récurrents se compose au fur et à mesure de leurs apparitions plus ou moins discrètes dans les séries. Une petite fille, Devera, apparaît dans des rôles chaque fois différents à plusieurs reprises dans les romans de Brust. Yendi contient une allusion au Sacré Graal des Monty Pythons. Etc, etc. Enfin, le style de Brust, très enlevé, fait d'ironie mordante et de dialogues ciselés, le place au-dessus de bien des tâcherons que l'on trouve trop souvent en fantasy.
Brust traite en outre de façon intelligente du fantastique. Loin d'écarter la magie quand ça l'arrange ou d'en faire la justification souveraine des failles de l'intrigue (Ta Gueule C'est Magique) comme le fait Green (Biblio 1), d'en limiter soigneusement l'usage par des lois et des effets mesurés comme le fait Garrett (Biblio 2), Brust utilise la magie, puissante, comme une composante à part entière du quotidien de ses personnages. Et vu que la téléportation et la résurrection sont parfaitement courants et accessibles, le travail d'un assassin est forcément différent de son homologue dans d'autres univers. De façon logique, si la façon de commettre les crimes est différente, les crimes le sont également.
Il aura fallu attendre 2005 que Jhereg, écrit en 1983, soit traduit en français. Ce sont les éditions Mnémos qui l'ont fait, en remplaçant en plus les vilaines couvertures de la VO par des peintures de Sorel. Cependant, i
Yendi
Si le 1er roman de la série montrait un Vlad au sommet de son art, en plein exercice de son métier d'assassin, Yendi décrit un Vlad plus jeune, occupé à se tailler un territoire au sein de la Maison mafieuse des Jheregs. C'est donc l'aspect guerre de gangs qui est mis en avant, pour une histoire aussi divertissante et amusante que la précédente.
Teckla
Le livre consacré au tiers-état de l'Empire Dragaeran aurait pu être passionnant, mais l'auteur, qui se remettait difficilement de son divorce, a plombé l'intrigue avec les histoires de couple de Vlad, en plein divorce lui aussi. Du coup, l'histoire progresse difficilement, les démêlés sentimentaux sont pénibles et il flotte une atmosphère sinistre sur l'ensemble du livre. Par contre, rendons justice à l'auteur, cette histoire de divorce est très réaliste et bien dépeinte. Trop, peut-être, car à moins d'aimer ce genre qu'on trouve plus sous l'étiquette "nouvelle littérature" que "fantasy", je conseille de sauter cet épisode et de passer directement au tome suivant.
Taltos
Si ce livre est le premier de la série par ordre chronologique, nous déconseillons de commencer par lui : il décrit le voyage fait par un Vlad débutant sur le chemin des morts, sorte de descente aux enfers digne des légendes orphiques. Fantastique, mystique, parfois cryptique, il risque de dérouter ceux qui ne connaîtraient pas le reste du cycle. Les autres liront avec plaisir une intrigue rondement menée qui leur permettra de découvrir les origines des relations entre Vlad et les autres protagonistes de la série, comme Morrolan et Aliera.
Phoenix
Ce livre renoue avec les intrigues alambiquées et les réparties cinglantes des débuts de la série, mais, faisant suite à Teckla, est légèrement handicapé par le traumatisme post-divorce de Vlad. Il est cependant indispensable : les intrigues se situent cette fois au niveau politique, et le livre s'achève sur la fuite de Vlad de la capitale.
Athyra
Avec Teckla, il s'agit sûrement du plus faible roman de la série. Vlad est désormais en fuite, et sillonne l'empire sans objectif particulier. Il arrive sur les terres d'un noble de la Maison Athyra qui essaye de l'éliminer. La particularité de ce roman est que le narrateur n'est plus Vlad, mais un jeune médecin Teckla, que Vlad va utiliser comme pion avant de le prendre en affection. De nombreuses pages sont plus consacrées à la description de la vie à la campagne plus qu'aux actions de Vlad, de toutes façons très mystérieuses aux yeux du garçon. Finalement, le méchant Athyra meurt, le garçon subit un choc mental et Vlad l'emmène avec lui dans l'espoir de trouver quelqu'un capable de guérir son traumatisme. Voilà, j'ai raconté la fin, vous pouvez passer au tome suivant en sautant celui-là.
Orca
Un autre passage obligé de la série : pour soigner son jeune protégé, Vlad doit aider une sorcière en passe de se faire expulser de chez elle. Il met le doigt dans une arnaque financière et juridique d'immense envergure, qu'il va démêler avec l'aide de son amie Kiera, la voleuse. Le narrateur est à tour de rôle, Kiera puis Vlad, à mesure qu'ils se rencontrent et se racontent à chacun les événements de la veille.
Dragon
Un roman de jeunesse de Vlad Taltos, où il fait la découverte des armées du clan du Dragon. Le récit alterne les chapitres entre deux temporalités, selon un effet qui commence à sentir la mode mais ruine très efficacement toute sorte de suspense. Vlad s'engage dans l'armée et découvre que le quotidien d'un soldat est fait d'ennuyeuse attente - celui du lecteur aussi, du coup.
Issola
On revient au "présent" de Vlad Taltos, pour une aventure très high-level pleine de guerres cosmiques, d'invasions extra-planaires et de dieux incarnés, dont l'essentiel de l'action se situe dans une pièce close dont les personnages essaient de sortir. C'est sûrement conceptuel, mais on s'emmerde à peu près aussi efficacement que dans le précédent tome. Seul le personnage de la dame Issola qui sert de prétexte au titre sauve le lecteur du suicide par l'ennui. Finalement, Vlad s'en sort bien et récupère encore une fois un objet magique surpuissant livré sans mode d'emploi.
Dzur
Le jeu d'écriture de celui-ci consiste à émailler chaque début de chapitre de la description d'un plat d'un festin gargantuesque. Brust, visiblement fin cuisinier lui-même, a semble-t-il pris beaucoup de plaisir à imaginer la cuisine dragareane. Mais il a oublié l'ingrédient principal, l'histoire, et l'utilisation des Dzur est ici encore plus artificielle que dans d'autres récits.
Jhegaala
Ici aussi, il ne faut pas chercher le rapport entre le Jhegaala du titre et l'intrigue. Pourtant, celle-ci promettait, car Vlad quitte l'empire et se rend pour la 1e fois sur les terres de son peuple. L'intrigue alambiquée est intéressante, mais uniquement sur les 30 dernières pages : il aura fallu avant se coltiner tous les errements de Vlad Taltos, avant qu'il ne décide de partager avec le lecteur son analyse de la situation et prenne sa revanche sur tous ceux qui l'ont roulé dans la farine pendant les 300 pages précédentes.
Iorich
Retour au "présent", puisque ce roman fait suite à Dzur. Vlad revient revient dans la capitale pour y démêler les fils d'une intrigue compliquée qui a envoyé son amie Aliera en prison. En assistant un Iorich, il découvre la réalité du système légal et judiciaire de l'empire. Le thème était intéressant - en général, la Fantasy ne s'y intéresse que peu - mais l'auteur brode trop autour d'une intrigue trop compliquée. Ca donne de la meringue au beurre et à la crème chantilly : trop lourd pour la digestion, mais pas nourrissant pour autant.
Pour finir
Les sept premiers tomes du cycle sont regroupés, en VO, en trois livres : The Book of Jhereg (Jhereg, Yendi, Teckla) , The Book of Taltos (Taltos, Phoenix) , The Book of Athyra (Athyra, Orca) : avec ça, vous aurez déjà de quoi voir venir.
A l'exception de Taltos, tous ces titres sont tirés des noms des 17 Maisons Impériales. La série est censée comporter à terme 19 titres : 1 par Maison, 1 du nom de Vlad, et 1 titré en théorie The Last Contract. A paraître : Tiassa, Lyorn, Hawk, Tsalmoth, Vallista, Chreotha, The Last Contract .
The Khaavren Romances se situent dans le même univers, plusieurs sièces plus tôt. Les Dragaerans vivant très longtemps, on y retrouve des personnages de la série Vlad Taltos. Cette série est un hommage à Dumas : les Trois Mousquetaires, 20 ans après, et le Vicomte de Bragelonne. Elle est composée de les Gardes Phénix, Five Hundred Years After et The Viscount of Adrilankha, publié en trois volumes : The Paths of the Dead, The Lord of Castle Black et Sethra Lavode. Il existe également Brokedown Palace, un hommage aux contes hongrois qui se situe juste avant la naissance de Vlad, et Dzurlord, un livre-dont-vous-êtes-le-héros commandé à d'autres et totalement raté, selon la rumeur.
C'est que ca me donnerait envie de me remettre à la fantasy ça...
RépondreSupprimerC'est malin ! Comme d'habitude, j'ai encore craqué à la suite d'une critique de Philippe. Mon dealer n'avait que les romans de Burst qui sortent du cycle de Taltos, mais Amazon.ca est venu à mon secours avec Jhereg en VO. Et j'ai hésité devant Erickson, comme chaque semaine...
RépondreSupprimerEh, Thomas, tu lis déjà de la fantasy, tu lis Gaiman. :)
RépondreSupprimerQuant à toi, Cédric, crains le jour où je ferai une critique globale du cycle d'Erikson. Tu craqueras ! Ahahah ! (ou alors tu attends la VF à sortir un de ces 4 chez Robert Laffont, paraît-il)
Bon, ben c'est foutu, j'ai pris le premier volume des Malazan books. Philippe m'a donné un dernier argument : Erikson est canadien. J'ai décidé d'arrêter un peu les romans de rôlistes, je vais lire quelques vrais auteurs, ça devrait me changer.
RépondreSupprimerPour décider d'arrêter les romans de Rolistes, Malazan est pas super, vu que c'est basé sur une campagne ADD puis Gurps. Enfin, ca m'avait pas sauté aux yeux a la lecture.
RépondreSupprimerGarret, P.I. sera dans les inspirations de Blanc-Seing ?
Salut Guillaume !
RépondreSupprimerAu sujet des Malazan Books : l'univers a été initialement créé dans le cadre d'une campagne, effectivement, mais l'histoire a été écrite pour le roman. Ca ne donne donc pas la même impression qu'un Raven de James Barclay, où les protagonistes sont les PJ de sa campagne. :)
Au sujet de Garrett P.I. : on en parlera, mais probablement pas en bien. J'ai quelques tomes à lire pas encore ouverts, mais pour le moment Glen Cook n'a pas eu beaucoup d'impact sur Blanc-seing.
Bon, je viens de refermer The Book of Jhereg, qui contient trois aventures de Vlad Taltos. Moi qui suis rétif à la fantasy, je dois avouer que j'ai avalé le livre avec avidité. C'est bien écrit, c'est bien construit, c'est bien pensé et du coup, c'est un plaisir à lire. Bon, l'auteur n'est pas doué pour les noms de ses personnages, mais tout le reste est très bien foutu. C'est la première fois que je vois un auteur de fantasy aussi bien intégrer les effets de la magie sur la logique quotidienne de son univers. Du coup, j'ai très envie de lire la suite car c'est une très bonne surprise.
RépondreSupprimerJe viens de finir The Book of Taltos et je suis toujours aussi enthousiaste vis-à-vis de cette série qui est très attachante. Le divorce de Vlad, ses contrats qui débouchent sur des intrigues intéressantes, de la magie qui claque... C'est franchement une excellente série. Tant est si bien que je recycle une partie des aventures de Vlad dans ma campagne Warhammer.
RépondreSupprimerJe referme à l'instant The Book of Athyra, qui contient les nouvelles Athyra et Orca.
RépondreSupprimerEffectivement, Athyra est un beau ratage : Vlad se fait chier à la campagne et le lecteur a la joie de partager cet ennui champêtre. 200 pages qui bien inutiles dans le cycle.
Pour Orca, je n'ai rien compris au montage financier qui sert de toile de fond à l'intrigue. C'est tellement capilotracté que je suis passé à côté du plaisir de chercher qui était le responsable de tout ce bordel bancaire. Heureusement, il y avait de l'action pour me tenir éveiller entre deux phases d'enquête. Et le twist final, j'ai adoré. Je n'avais rien vu venir, j'ai donc été scotché.
J'attends le prochain Omnibus de pied ferme dès qu'il sera édité.
C'est la surpuissance de la magie qui m'a dérangé dans Jhereg. Je suis allergique à la résurrection.
RépondreSupprimerHoula, je m'aperçois que je pourrais dépoussiérer un peu ce billet : images absentes, nouveaux titres sortis, nouvelles traductions...
RépondreSupprimerEffectivement, la magie est très puissante, et ce n'est pas trop ma tasse de thé habituellement. Mais j'aime bien la façon dont l'auteur arrive à intégrer cela dans son univers, et s'échappe de l'équivalence high Fantasy = Merveilleux. Sa société a des bas-fonds fangeux, toute "elfique" qu'elle soit.
Que du bon, effectivement.
RépondreSupprimerJe viens de finir le 2 (par ordre d'écriture/parution), et c'est très sympa à lire.
L'univers proche de celui de Garett (Glen cook) est sympathique, et les personnages assez attachants, vivement la suite en Vf, ou alors je vais faire comme pour les Pratchett, et me jeter un jour sur les VO, par flemme d'attendre.
Ca sort assez vite en VF pourtant, non ?
RépondreSupprimerPour l'instant oui.
RépondreSupprimerMais j'ai pris pour habitude de ne plus faire confiance aux éditeurs. Du coup j'attends de voir :)
Hop, j'ai dépoussiéré le billet et ajouté la couv du 1er tome des romances Khaavren.
RépondreSupprimerCa me donne envie de chercher les derniers tomes pour finir le cycle, tout ça. :)
Merci pour le coup de frais sur ce billet. J'arrive directement du blog d'Arutha et de sa chronique de Jhereg, après avoir été alerté ce matin même par Salvek et sa présentation des gardes Phenix. Ne serait ce pas une conspiration en marche ? :o)) En tout cas l'auteur semble jouir d'une excellente réputation. Il va falloir que je regarde cela très sérieusement.
RépondreSupprimerJ'ai à nouveau dépoussiéré le billet. 12 tomes de chroniqués, maintenant : je crois que je suis l'expert français sur Brust.
RépondreSupprimerJe crois que je suis aussi un brin masochiste.
Merci pour la mise à jour.
RépondreSupprimerJe n'ai lu que les 7 premiers, mais j'ai l'impression, à te lire, que je ne vais pas insister.
C'est l'expression "suicide par l'ennui" qui t'a mis la puce à l'oreille ? :)
RépondreSupprimerCeci dit, si au bout de 7 tomes tu ne ressens aucune lassitude, pourquoi ne pas continuer ?
Le fait est que ça fait déjà quelques titres que je m'ennuie.
RépondreSupprimerEt je détesterais n'être que le second expert français de Brust.
La série prouve une fois de plus que diluer un univers en une ribambelle de titres est le plus sûr moyen d'acheter une voiture de sport et de tuer une création.
Je n'ai vraiment pas aimé Jhereg. Pour une fois que je ne suis pas d'accord avec vous.
RépondreSupprimerCe soit disant dur dans un monde corrompu jusqu'à la moelle ... mais aussi édulcoré dans ses descriptions pour satisfaire un public puritain.
Tous ces assassins et nobles corrompus qui s'entraident amicalement avec Jhereg. Pas crédible.
Le premier tome m'attend dans ma bibliothèque, j'ai hâte d'y jeter un oeil et de me faire un avis!
RépondreSupprimersuperbe article!
Jhereg et Les Gardes Dragons m'ont suffit, je ne suis pas tenté plus avant.
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