L'enjomineur, 1792


Après ma première expérience bordagienne, certains commentateurs ont cité les romans de l'auteur qu'ils avaient appréciés. Et j'ai choisi pour ma seconde expérience un titre qui n'avait pas été défendu dans les commentaires. Par esprit de contradiction ? Pas seulement. Montréal est une ville étrange où les librairies francophones sont approvisionnées aléatoirement. Si c'est pas du Nothomb ou du Dan Brown, les nouveautés débarquent ici avec 3d6 mois de retard... quand elles arrivent.

Or donc, L'enjomineur, 1972 se déroule sans surprise pendant la Révolution française. On y suit deux personnages aux chemins parallèles :
- Émile, jeune homme au coeur d'or, que l'on dit fils de la fée Mélusine et qui travaille comme journalier dans la campagne vendéenne. Son passé trouble (il a été abandonné à la naissance et élevé par un curé) est un peu trop classique, mais comme on peut le deviner sur la couverture du roman, Émile est l'ami des fadets.
- Cornuaud, la teigne, qui débarque à Nantes après avoir violé une fillette sur un négrier. Il a été envoûté par une femme à la peau d'ébène qui le pousse à des actes sanglants contre sa volonté. C'est un voyou, un vrai, qui joue du couteau et qui cavale sans arrêt pour ne pas avoir à payer le prix de ses actes.

C'est la Révolution, mais avec un arrière-goût de soufre et de poison. En plus des magouilles entre cordeliers, montagnards et jacobins, il faut compter sur des cabales étranges qui font des sacrifices en l'honneur de dieux anciens. La France n'est pas tant déchirée entre royalistes et républicains qu'entre l'esprit des Lumières et l'obscurantisme des croyances de l'ancienne France. Les forêts sont encore profondes et sombres. Les marais abritent des choses pas catholiques. Et même à Paris, à l'ombre de la guillotine, ça tripatouille des rituels symboliques entre deux réunions plénières. C'est diffus.

Un scénario ? Non. Pas de quête, pas de prophétie. C'est pour le moment (car ce n'est que le premier livre d'une série) que la description de deux parcours qui vont bien évidemment s'entremêler en même temps qu'ils viennent se glisser dans la trame même de l'Histoire. Car on voit des éléments clés de la Révolution par le truchement des héros, pas nécessairement en étant au premier plan, mais les évènements avancent, il se passe toujours quelque chose à Paris. On part de l'arrière-pays comme des députés du Tiers qui s'arrachent à la boue de la province pour monter à Paris où tout va plus vite, où tout sent plus fort. Et à la grand ville, il faut faire avec les complots en cours, les manigances des uns, les turpitudes des autres. Et comme nos deux amis ont un chacun un passif magique, on se doute bien qu'ils vont être à un moment ou un autre la clef de voûte d'un merdier fantastique. Et je ne veux pas vous spoiler, mais ça m'étonnerait pas que le gros Capet et son Autrichienne finissent par y passer.

L'écriture de Bordage est bourrée d'argot et de patois, c'est assez truculent. Ça sent le terroir quand ça se passe dans le bocage vendéen, la pisse et le sang quand on circule dans Paris. Ces mots peu ordinaires participent à l'immersion en cascadant tout au long des chapitres. Et l'auteur ne donne pas de leçon d'histoire. Il utilise bien évidemment la chronologie pour camper son monde, mais ne part pas dans des explications oiseuses. Il n'explique pas ce qu'est un jacobin, quelle est la motivation de Danton, mais le lecteur n'est pas pour autant perdu puisqu'il a le double point de vue d'Émile et Cornuaud pour se faire son idée des tenants et des aboutissants de cette Histoire en marche.

J'ai failli ne pas donner sa chance à ce roman à cause de sa couverture un peu trop amatrice à mon goût. Je sais pas, la présence des fadets au second plan, Émile en train de voler.... Je trouve la composition maladroite. Mais derrière se cache un livre avec de la gouaille de rue, une chronique de la Révolution qui flirte avec un Jonathan Strange & Mr Norrell mais avec plus de couille.

Étonnant, non ?

Commentaires

  1. Que du bon dans cette chronique. Tout m'y tente.

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  2. Vendu, moi je dis. Même si je ne suis pas fan des JdR Révolution ;)

    Je n'ai lu qu'un Bordage, mais plus j'entends parler de ses romans et plus je me dis que le monsieur est complètement incontournable.

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  3. Ca fait un bail que cette trilogie (car il s'agit d'une trilogie, n'est-ce pas ? ), est dans ma LAL. Tu m'as convaincu d'effectuer une translation vers ma PAL, même si elle n'avait pas besoin de ça.

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  4. C'est effectivement une trilogie (mais je n'ai trouvé que le premier au format poche).

    Par contre, je rectifie un truc : il y a bien une quête. Le livre se termine sur la mise en place d'une mission surnaturelle. Le mot "destin" est une autre manière de dire "prophétie".

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  5. J'en garde un bon souvenir, l'ambiance est sympathique malgré un dénouement de l'intrigue d'Emile assez décevant tandis que celui de Cornuaud est plaisant.

    Mes chroniques de 2007 :
    http://efelle.canalblog.com/archives/2007/05/21/5032666.html

    http://efelle.canalblog.com/archives/2007/05/27/5089591.html

    http://efelle.canalblog.com/archives/2007/06/01/5147333.html

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