Qui ignore encore que l'inspiration principale du jeu de rôle Unknown Armies vient, du propre aveu de Greg Stolze et John Tynes, des romans de Tim Powers ? Et quel visiteur occasionnel de ce blog ne sait pas encore que nous* sommes fans de l'un et de l'autre ? Il était donc normal que je me précipitasse sur son dernier opus, tout récemment sorti chez Denoël / Lunes d'encre. Le pitch : une course entre sociétés secrètes et services secrets pour la possession d'une machine à remonter le temps conçue par Einstein et améliorée par Chaplin, détenue sans qu'ils le sachent par un père veuf et sa fille dans les affaires héritées de leur aïeule, dont ils ignoraient le lien de filiation avec Einstein. L'action se déroule en 2-3 jours, pour finir évidemment par une confrontation en apothéose entre tous les prota- et anta-gonistes. Je ne fais que résumer très très grossièrement, évidemment.
S'il a parcouru du chemin depuis les Voies d'Anubis, qui l'a fait connaître en France, Powers montre dans tous ses livres son talent pour brasser l'histoire, ou plutôt les histoires : la grande Histoire, l'histoire de l'art, l'histoire de la littérature, l'histoire occulte, les petites histoires des figures historiques. Dans Poker d'Ames, le héros parle avec le fantôme de Bugsy Siegel. Dans les Puissances de l'invisible, la figure de Kim Philby est omniprésente. Le Poids de son regard est un hommage aux romantiques anglais, Byron, et les Shelley en tête. A deux pas du néant, qui est un peu le chaînon entre les deux, est hanté par Einstein et Chaplin. La grande érudition de l'auteur ne rend jamais, pourtant, ses lectures indigestes. Les références se mêlent naturellement pour rendre crédibles des histoires d'un fantastique halluciné, dont on ne trouve l'équivalent chez aucun autre auteur. Pourtant, les intrigues complexes ne perdent jamais de vue les personnages, très humains, vulnérable set attachants, et le récit est émaillé de dialogues savoureux, parfois très Tarentino-esques. On peut pourtant faire des reproches à Powers : s'il ses récits possèdent beaucoup d'action, celle-ci est parfois délayée par un rythme un peu trop lent, la progression du lecteur encore ralentie par une intrigue d'une grande complexité, dont les tenants et aboutissants ne lui sont révélés que très progressivement. C'est le cas par exemple de Date d'expiration, qui plait autant aux fans de l'auteur qu'il rebute les autres.
Ceci étant, comment se situe A deux pas du néant dans l'oeuvre de Powers ? Je disais plus haut qu'il s'agissait du chainon entre son avant-dernier roman, les Puissances de l'invisible et Poker d'Ames et ses "suites" (Date d'expiration, Earthquake weather) : Powers revient à la Californie occulte en situant le récit à Los Angeles, mais on retrouve des thèmes de son espionnage-fantastique puisqu'il s'agit d'une course au MacGuffin entre sociétés secrètes et branches clandestines de services secrets (ici, le Mossad). Tous ces livres dessinent une cosmologie post-moderne (je place également "paradigme" pour faciliter notre référecement Google) faisant feu de tout bois, syncrétique en diable, mêlant fantômes, voyages dans le temps, pouvoirs psis, kabbale, démons mésopotamiens, magie symbolique. De nombreux éléments récurrents se retrouvent dans ces romans, comme l'utilisation de l'alcool ou de la fumée dans le spiritisme, la nature des "démons", ou les rituels de magie sympathique.
Mais si ce livre est un chainon, ce n'est pas seulement sur le plan de la thématique : il s'agit aussi de son livre le plus accessible : l'intrigue, bien que touffue, est exposée très clairement, et le rythme (l'action se déroule sur quelques jours) bien plus rapide que dans ses précédents livres. C'est ainsi un très bon ouvrage pour découvrir Tim Powers, d'autant qu'on retrouve comme toujours son sens de l'humour et ses inventions littéraires. Mention spéciale ici au très beau personnage d'une jeune aveugle qui voit par les yeux de ceux qui l'entourent, ce qui donne des scènes très originales. Mais j'ai également beaucoup aimé les fantômes qui parlent à l'envers, et l'agent du Mossad doté de prémonitions. Mon seul reproche à ce livre serait une fin finalement moins surprenante que ce à quoi je m'attendais, surtout pour un livre basé sur une théorie du voyage dans le temps, où une modification dans le passé transforme le présent. La fin du livre, précipitée par une longue scène d'exposition où tout ce qui était resté dans l'ombre est expliqué, déçoit donc légèrement. Malgré tout, cela reste une lecture indispensable pour les amateurs de fantastique contemporain.
Autre critique positive chez Efelle
*Je dis "nous" car, bien qu'il m'ait fallu du temps, Cédric a finalement cédé aux suggestions post-hypnotiques que je lui ai imposées. "Lis Tim Powers. Aime Tim Powers. Révère Tim Powers. Oublie Neil Gaiman**."
**Je plaisante. Gaiman, c'est bien aussi. Mais moins. :-)
Bon, après l'avis de Efelle et le tiens, si je trouve un créneau horaire pour ce livre, je le glisse dans mon horaire qui redevient overbooké. Mais il a déjà le bel avantage d'être disponible dans ma PàL celui-là.
RépondreSupprimerBel chronique, merci!
Un très bon moment même si je lui préfère Les Puissances de l'Invisible. J'ai tout un stock de Tim Powers, d'autres chroniques suivront.
RépondreSupprimerJe lui préfère aussi les Puissances de l'invisible, qui fut notre tout premier billet, même si Cédric ne l'a pas aimé.
RépondreSupprimerBalance tes billets sur Powers, Efelle, j'ajouterai les liens vers ton blog au fur et à mesure ! Je viens de le faire sur ce billet.
RépondreSupprimerTim Powers rules !