J'ai déjà parlé de Robert Holdstock, dans le billet Lectures de rentrée pour sa trilogie du Codex Merlin et dans les commentaires sous certains billets. Il était normal que je lui consacre ce deuxième billet "best of". Mais auparavant, une petite précision sur mes critères de choix : l'idée n'est pas de détailler mes très bonnes lectures, les bouquins que j'ai aimé et que je recommande; le reste du blog est quasiment consacré à ça, de toutes façons. Ce ne sont pas non plus mes romans de chevet, ceux que j'aime relire, que je présente. Non, les bouquins qui figurent dans ce "best of" sont ceux dont j'ai rêvé la nuit pendant leur lecture, ceux que je ressors quand je regarde mes rayonnages et qui me happent de nouveau quand je les ouvre au hasard, ceux que j'ai dû racheter tellement, malgré mes soins maniaques, ils avaient été lus, relus, prêtés, et refeuilletés. Ces livres, je ne les ai pas choisis : ce sont eux qui m'ont façonné, ont changé ma perception de lecteur, ont structuré mes goûts et mon regard critique.
Alors, bien sûr, il n'y en a pas que pour la Fantasy. Je pourrais citer des titres en littérature générale (en vrac : Hervé Bazin, l'Huile sur le feu; Albert Camus, la Peste, ...), en classique (Stendhal, le Rouge et le Noir; Dostoïevski, Crime et châtiment; Alexandre Dumas, la Reine Margot), en policier (James Ellroy, White Jazz), en roman historique (Gary Jenning, Azteca), en littérature étrangère (João Guimarães Rosa, Diadorim), hors fiction (Claude Levi-Strauss, Tristes tropiques) mais ce blog est surtout consacré aux para-littératures / littératures de genre / livres de geek, donc je laisse de côté les styles plus académiques et mieux considérés.
Revenons à la Forêt des Mythagos. L'élément commun aux récits de ce cycle est un petit bosquet en Angleterre, la forêt de Rhyope dans le Herefordshire, le plus rural des Midlands de l'Ouest. Ce petit bois est en fait très ancien, le dernier reliquat d'une forêt primaire qui conserve encore bien des secrets. Car s'il est facile de faire le tour du petit bois, il s'avère en revanche impossible de le traverser : on se perd dans les sous-bois, on revient sur ses pas, et, si l'on persiste à continuer, on s'aperçoit que le paysage n'a aucun rapport avec la campagne anglaise : vallées enneigées, collines boisées, châteaux en ruine dressés au milieu de clairière... Le voyageur est transporté à travers l'espace et le temps, et les règles naturelles sont complètement bouleversées. La forêt n'est pas inhabitée : les esprits des contes et légendes semblent y avoir élu domicile, et elle semble être en lien avec l'inconscient collectif. Les romans du cycle mettent en scène des riverains de la forêt, en proie au mélange d'attirance ou de répulsion que la forêt exerce.
Comme pour la dernière fois, je ne ferais pas de critique plus complète, que vous trouverez par exemple :
Chaque fois que je repense à ces livres, ou que je me replonge dedans, je perçois des odeurs : odeurs des sous-bois après la pluie, odeur des champs de blé par un après-midi d'été, odeur de neige et de bois mouillé, et d'autres encores. Quelque soit le récit du cycle dans lequel on les trouve, les images rémanentes persistent longtemps après avoir reposé le livre : Holdstock est un superbe écrivain, et son pouvoir d'évocation n'a rien à envier à celui de Gene Wolfe.
La forêt de Rhyope est une création fascinante, d'une grande complexité : les liens entre mythagos et légendes, les paradoxes, le chamanisme et les théories jungiennes, se télescopent, mais sans que jamais les personnages ne perdent leur humanité. La forêt aurait pu atténuer les éléments dramatiques du récit, ou ceux-ci n'être qu'une justification, mais Holdstock dose parfaitement son récit : la relation des frères Huxley avec Guiweneth, de James Keeton avec ses deux enfants, Harry et Tallis, d'Alex Bradley et son père Richard, toutes sont au centre des récits. Ces liens entre les trois familles que l'on trouve au centre des récits sont détaillés sur plusieurs générations, sans ordre chronologique particulier, mais ceci ne gêne en rien la lecture.
Cependant, la plus grande qualité de l'oeuvre est l'intelligence avec laquelle l'auteur manipule les mythes, les mélange, les déconstruits en leurs éléments constitutifs pour les recomposer de façon différente, sans rien perdre de leurs saveur : violence et sensualité, humour et sagesse ancestrale, mysticisme et quête de soi, tous ces adjectifs s'appliquent à la série. Les lecteurs érudits (ce que sont les rôlistes) s'amuseront d'ailleurs des références et des mélanges que fait Holdstock des mythologies.
Surprenante, originale, unique : l'oeuvre est un monument de la Fantasy, dans l'acceptation anglo-saxonne de ce terme, qui recouvre bien d'autres choses que des histoires de hobbits en vadrouille.
Vous êtes convaincus, mais ne savez pas quelle édition acheter ? J'adore celle en deux tomes chez Lunes d'encre, et les tons vert de la couverture signée de Julien Delval. Mais vous trouverez aussi le cycle en 4 tomes chez Folio SF, avec des couvs de Sorel.
Dans ce cas, autant craquer pour l'intégrale, et acheter le joli coffret qui regroupe les quatre tomes.
Pour aller plus loin :
- Le Bois de Merlin peut être rattaché au cycle : l'histoire se situe en Bretagne, Brocéliande étant la version locale de la forêt de Rhyope
- Un nouveau roman, Avilion (variante de Avalon), est attendu pour 2009 : il fera suite à la Forêt des Mythagos, dont on retrouvera les protagonistes.
- Le Codex Merlin ! Le Codex Merlin ! On y retrouve une grande partie des qualités de la Forêt des Mythagos, des thèmes communs dans le mélange des mythologies, et une action plus soutenue. Il s'agit d'une déclinaison en mode mineure, mais d'une grande qualité quand même.
- Le succès de Holdstock aidant, Lunes d'encre édite ou réédite une grande quantité de ses oeuvres. Certaines méritent les mêmes dithyrambes que les Mythagos, même si je persiste à penser que c'est celui-ci, son chef d'oeuvre.
Au menu du prochain billet "Best Of" : de la SF !
RépondreSupprimerEst-ce la même chose que la forêt des Mythimages parue autrefois chez Denoel ?
RépondreSupprimerJ'avais effectivement eu les mêmes impressions, du genre rêve éveillé....
Oui, c'est le même. La Forêt des Mythimages (redevenus Mythagos) est le titre éponyme de la série.
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