Mistborn : Fils-des-Brumes


L'avis de Cédric

Munin a déjà tout dit dans son billet, aussi je vous conseille de lire le sien (plus bas) avant le mien (qui ressemble comme deux gouttes à celui de Warbreaker, car c'est à peu près le même roman).

Mistborn débute sur une promesse libertaire séduisante : un bande de voleurs un peu magiciens qui montent un plan à la Ocean's Eleven pour faire tomber un tyran immortel qui a rendu son peuple esclave d'une théologie castratrice. Le gauchiste en moi rugit de plaisir : on y trucide du noble à tour de bras tout en parlant de lutte des classes et de magie. C'est le Grand Soir qui rencontre le jeu de rôles Midnight où Sauron (ou son frère) a gagné et domine le monde. C'est Marx qui renverse Tolkien. C'est la lutte finale, la vraie.

Et je dois reconnaître une fois de plus que Brandon Sanderson est un honnête artisan. Il fabrique toujours un univers dédié à son histoire afin de coller parfaitement à son intrigue. Il y a une vraie logique interne dans sa création de contexte. Mais du coup, on a l'impression que cet univers n'existe pas en dehors de l'histoire qui nous est racontée. Que si on ouvre une porte contre la volonté de l'auteur, elle débouche sur le vide. Son autre grand talent, c'est la création de système magique. C'est un vrai horloger dans son genre. Minutieux, appliqué, soigneux. Là, c'est une histoire de métal qui permettent des prouesses incroyables. Ça fonctionne. Mais là encore, c'est tellement mécanique que ça manque d'un supplément d'âme. Sanderson passe tellement de temps à mettre en scène sa magie et ses règles qu'on a souvent plus l'impression de lire le livret de règles d'un jeu de plateau qu'un roman. Tout est expliqué, surexpliqué, redit : c'est très académique.

Et quand en plus l'auteur ajoute une couche de romance fleur bleu à son histoire, la mayonnaise prend une drôle de tournure. Il y a comme des grumeaux. Surtout qu'elle est voleuse, qu'il est noble et que leur amour est impossible. Mais on pardonnerait toute cette guimauve si l'intrigue centrale était solidement défendue par une narration impeccable. C'est loin d'être le cas. Les personnages secondaires sont des coquilles vides. Le déroulement du coup d'État est incohérent. Un peuple est en train de se révolter et c'est raconté platement comme un compte-rendu poussif de wargame. Oh, il y a des scènes d'action, car la magie des métaux permet des prouesses physiques qui dépotent, mais cette adrénaline n'arrive pas à camoufler l'écriture affreusement scolaire de Sanderson.

Brandon Sanderson est sans doute un MJ du tonnerre et je prendrais plaisir à faire du jeu de rôles avec lui car il a des idées de systèmes de magie intéressantes et très ludiques. Il sait créer des univers intéressants pour les rôlistes en faisant des variations autour des thèmes forts de la fantasy. Malheureusement, la qualité d'écriture n'est pas au rendez-vous. Ça donne un roman pas ignoblement mauvais mais c'est frustrant de voir autant de bonnes idées gachées par un affreux manque de style.

Gromovar est bien plus acerbe que moi.
Lorhkan crie au génie.

L'avis de Munin

Dans mon billet sur la Roue du Temps, j'avais dit que je reviendrai sur Brandon Sanderson. Ce jeune auteur de Fantasy s'est fait un nom avec un roman de Fantasy, Elantris, avant de publier une trilogie, Mistborn, dont le premier tome est L'Empire Ultime en VF.

Même si une couverture n'en dit pas beaucoup sur le contenu (comme Cédric en fait l'expérience encore récemment), on peut essayer de deviner à quel style raccrocher la trilogie en fonction des illustrations. Sur la couverture du premier tome, on peut voir une jeune fille proprette au look moitié Matrix, moitié Petite Maison dans la Prairie avec un saï. Sur celle du deuxième tome, elle semble faire du pole-dance, et sur la troisième du funambulisme en robe de bal. D'abord interloqué, on est rassuré en ouvrant le premier livre : la présence d'une carte (pas très réussie) nous apprend que nous nous trouvons bien en face d'un roman de Fantasy. Ouf.

L'action de Mistborn : the Final Empire se déroule dans la capitale d'un empire dominé depuis des millénaires par un despote immortel auquel la population prête des pouvoirs divins. Il règne sans partage en ayant donné à une toute petite classe de nobles un pouvoir absolu sur le reste de la population, tellement asservie et opprimée qu'elle ne manifeste plus aucune résistance. On discerne tout de suite le "what if" par rapport aux schémas traditionnels de la Fantasy : "Qu'est-ce que ça donne quand le dieu du mal dont le héros combat le retour, gagne ?" Chez Sanderson, cela donne des millénaires d'une dictature esclavagiste contre laquelle un ancien voleur, Kelsier, fomente un coup d'Etat.

Kelsier rassemble un petit groupe, et c'est leur tentative de rébellion que le récit suit, jusqu'à sa conclusion. L'intrigue suit un schéma que l'on reconnaît vite : la constitution d'une bande d'experts, la préparation du plan, les changements de dernière minute, l'exécution proprement dite, et le fameux twist final ou twist ending très fréquent ces dernières années au cinéma. Hé oui, ça fait penser aux films de braquage ou d'arnaque (le genre "Heist" ou "Confidence game", illustré par Ocean's Eleven, Neuf Reines, et autres), et c'est fait exprès.

Le protagoniste principal de la série est la jeune Vin, une adolescente que Kelsier extirpe de la bande de voleurs dont elle est le souffre-douleur, pour lui révéler ses capacités magiques et lui apprendre à les utiliser. D'abord méfiante envers cette générosité dont elle ne discerne pas la cause, Vin finira par se lier avec chacun des membres de la bande, et trouvera sa place en leur sein. Le point focal du roman est donc l'évolution émotionnelle de Vin, et les nombreux dialogues posent les rapports entre Vin et les autres personnages. Ce soin attaché au développement des personnages ne se fait pas aux dépends de l'action, et il n'y a que l'abondance de bons sentiments qui pourra quelque peu agacer.

L'autre aspect majeur de la série est l'utilisation de la magie. "Gamer" assidu (jeux de rôle, jeux de plateau, jeux de cartes à collectionner), Sanderson attache une grande importance aux mécanismes de son système de magie, qui en devient un des éléments essentiels de l'histoire. Dans Mistborn, les nobles se transmettent héréditairement des capacités d'"allomancie" : un allomancien ingère des fragments de métal pour, en les catalysant, en extraire des capacités extraordinaires. Chaque métal fournit une capacité, et les allomanciens n'ont en général qu'une affinité avec l'un d'entre eux. Mais certains, rarissimes, appelés fils-des-brumes (mistborn), peuvent catalyser tous les métaux. Leur rôle est fondamental dans les luttes d'influence et de pouvoir que se livrent les grandes maisons nobles, qui veillent précieusement sur leurs membres ayant développé ces capacités. Les membres de la bande de Kelsier sont tous des descendants de maisons nobles (avec un aïeul né du mauvais côté du lit), et Kelsier lui-même est un fils-des-brumes, ce qui donne à la rébellion les moyens de lutter contre les nobles avec leurs propres armes.

Il est ici nécessaire de détailler le fonctionnement de l'allomancie, car celle-ci structure énormément le récit. D'une part, la jeune héroïne, Vin, est une fille-des-brumes, et le lecteur découvre l'allomancie en même temps qu'elle. D'autre part, cette magie est très visuelle, et fait que les (nombreuses) scènes d'action empruntent leur imagerie aux films de kung-fu ou à Matrix de façon évidente. Les pouvoirs que les métaux ingérés confèrent sont classés de façon très ordonnée selon un sytème de paires (interne / externe, physique / mental, espace / temps, introspectif / extrospectif), et représentés sur le tableau ci-dessous. L'allomancie peut aussi attirer les métaux (externe / physique / introspectif), les repousser (externe / physique / extrospectif), accroître sa force et son endurance (interne / physique / extrospectif), passer en bullet time, etc. Les allomanciens utilisent l'attraction ou la répulsion des métaux de façon très créative, en s'appuyant sur les clous et rivet pour se propulser dans les airs, ou en lançant des pièces de monnaie pour les transformer en projectiles mortels aux trajectoires erratiques. Les fils-des-brumes ressemblent donc moins à Gandalf et Merlin qu'à Néo, Trinity ou des ninja de manga.

Si l'on rassemble tous ces traits distinctifs (l'histoire de "braquage", le récit sentimental très "young adult" ou "adulescent", le contexte politique du récit type "What If", et les scènes d'action façon Matrix), on obtient au final un divertissement original et bien fait - ce qui est beaucoup mieux que beaucoup de romans de fantasy.


Quelques liens :

Commentaires

  1. Ta critique va dans le sens de ce que j'imaginais. Je ne le place pas vraiment dans mes priorités, mais un de ces jours pourquoi pas.

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  2. Anonyme16/10/08

    Pour ma part je ne suis pas convaincu par les histoires qui démarre avec des protagonistes qui TA TIN ont le pouvoir ultime.
    Ca me rappel trop Lanfeust de Troy...

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  3. Efelle >
    C'est effectivement un canevas assez usé (même si Lanfeust est loin de figurer parmi les récits l'utilisant le mieux), mais Sanderson s'en tire plutôt pas mal en jouant habilement du thème de la prophétie, qui d'habitude me donne des boutons tellement c'est une grosse ficelle. J'aurais d'ailleurs pu broder dessus dans le billet, car l'auteur prend un malin plaisir à retourner certains conventions du genre.

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  4. Martlet >
    Personnellement ça m'a fait une très bonne lecture de vacances, assis sur le sable avec un oeil sur les enfants en train de jouer dans le sable.

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  5. Anonyme17/10/08

    Munin>
    La référence à Lanfeust se voulait très péjorative.

    Bon et bien, je vais quand même noter cet auteur, Gramovar l'ayant aussi mis en avant, pour le jour hypothétique où ma pile à lire aura sérieusement diminuée.

    Sinon on verra bien ce qu'il donnera sur la Roue du Temps qui s'est en effet énormément diluée sur la fin (je me suis arrêté à Winter heart).

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  6. Anonyme20/10/08

    >>scènes d'action façon Matrix

    Et en quelques mots, Brandon Sanderson perd l'intérêt que je lui portais.

    Elantris sort en janvier chez Calmann-Lévy pour ceux que ça intéressent.

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  7. Anonyme27/10/08

    Je la trouve plutôt alléchante, cette trilogie. Un livre où il y ait vraiment de l'action, et non des personnages qui brassent de l'air, ce n'est pas si courant.

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  8. Le JdR est en cours de finalisation chez Crafty Games et on dit même que les droits ciné de la trilogie ont été optionnés.

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  9. Finalement, Brandon Sanderson n'est pas un artiste, mais un artisan. Un bon artisan. Tu vas continuer la trilogie ?

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  10. J'ai cherché en vain ta critique du t2, mais comme tu passes le t3 à la bobinette et que tu y racontes que le t2 est le pire de la trilogie, je n'ai aucune envie de lire la suite.
    Surtout que l'histoire du t1 se suffit à elle-même.

    Je vais sans doute lire à l'occasion Elantris tout en sachant à l'avance que je vais adorer le pitch et le système de magie mais détester le traitement et le style.

    C'est con, on sent bien que Sanderson s'applique, qu'il y met tout son cœur et sa technicité ludique, mais ça donne invariablement une mauvaise ratatouille.
    Il faudrait que j'apprenne à lire ses romans comme s'is étaient des sourcebooks pour Gurps, ils me décevraient moins.

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  11. Oui je l'avoue, j'ai aimé. Beaucoup le tome 1, nettement moins le tome 2, mais beaucoup également le tome 3.

    Il y a des défauts oui (le pire : la love story très guimauve), mais je n'en ai que peu fait état car ils ne m'ont aucunement gêné pour prendre du plaisir (et parfois beaucoup il faut bien le dire) à la lecture.
    D'accord avec vous aussi sur l'aspect "règles de JDR" de son système de magie, expliqué à outrance...

    En revanche, le monde est plus développé dans les tomes suivants (le 3 notamment) : ses autres leiux, ses autres peuples, etc... De même pour les peersonnages secondaires qui prennent une toute autre importance (Spectre, Sazed, etc...). Mais je comprends qu'on puisse ne pas avoir suffisamment de patience pour en arriver jusque là.

    Mais j'ai quand même pris mon pied. Et c'est bien là l'essentiel ! ;)

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  12. Anonyme23/2/12

    Je me promenais par là quand j'ai vu ces critiques! enfer!je n'ai pas l'habitude de commenter mais la je ne peux m'en empêcher, même si les commentaires sont assez âgés...Mistborn est un de mes livres préférés.

    Bon alors pour tout ceux qui critiquent le style scolaire, académique de l'auteur, je n'ai qu'une question : en quelle langue l'avez vous lu ?!
    parce qu'en anglais Sanderson à un style très léger et agréable. Les scènes de combat sont magnifiques. Le système de magie a été fait pour la langue anglaise, rebondissante, virevoltante.Le français a tendance à alourdir ! C'est le meilleur système de magie que je connaisse, dans ce livre on a pas le droit à de la stupide magie "couteau suisse" qui sauve le héros in extremis, mais on a un système rigoureux.
    Mistborn ( fils-de-brume) est d'une profondeur remarquable.Une sorte d'illustration et de mise en pratique de l'Homme révolté. La révolte de Mistborn rejoint plusieurs problématiques associées aux révolutions. Une analyse très fine est possible à partir de ce livre! Par exemple, le changement ne vient pas des skas (la classe la plus faible) , mais d'une sorte de "classe intermédiaire" incarnée par les allomancers qui ne sont pas nobles : ni skas, ni nobles, ils ne savent ou se placer, donc ils se révoltent.

    autre question : Mistborn, déicide ou régicide ? ^^
    et ainsi de suite...

    Les personnages ont des caractères travaillés et des vrais combats, intérieurs cette fois. Les personnages secondaire sont géniaux et attachants !

    Pour tout ceux qui passaient par là, lisez ce livre et sa suite ! ( ça ne fait que devenir de mieux en mieux) et lisez le en version original, si possible !
    je vous recommande aussi Elantris et the Way of Kings, du même auteur.

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  13. DalKho27/2/12

    Je viens de relire pour la troisième fois la trilogie Mistborn et, comme l’Anonyme avant moi, je ne suis pas d’accord avec certaine de vos critiques particulièrement celle de Cédric.
    Pas besoin d’en dire plus, mon « intro » a certainement déjà du vous convaincre que j’ai adoré ces livres. Car je parle de la trilogie entière et même du deuxième tome que beaucoup ont condamné. Il est vrai que celui-ci s’attache plus à l’aspect politique qu’à l’aspect aventure/action (bien qu’il y ait toujours des combats superbes) mais il reste extrêmement intéressant JUSTEMENT parce qu’il y a une réflexion sur le pouvoir et la politique. En outre, on suit, dans ce 2ème volume, l’évolution d’un personnage très fascinant (un de mes préférés, je dois dire). En résumé, The Well of Ascension (« le puits de l'ascension »), souvent déconseillé dans les forums, est un livre génial que je vous conseille de lire !
    Revenons maintenant au 1er tome de cette trilogie. Il lui est souvent reproché d’être composé d’un tas de clichés. Cela n’est vrai qu’au premier abord : une fille avec des pouvoirs magiques qui va détrôner un dictateur avec l’aide d’une bande de voleurs, ça s’est déjà vu, ok. Mais tous les clichés sont peu à peu détournés, enlevés et l’on se retrouve à la fin avec un livre très original et magnifiquement écrit ! La force de Sanderson c’est d’avoir réussi à écrire un roman superbe en partant d’une histoire qui peut sembler « bateau ». Tout comme Anonyme, je n’ai lu que les livres en anglais et peut certifier qu’ils sont écrit avec esprit et dans un style très agréable.
    Pour ceux qui reprochent l’histoire d’amour « fleur bleu » de Mistborn, c’est exagéré. Les 2 personnes concernées se voient à peu près 3 fois dans tout le livre et l’auteur ne s’appesantit pas plus que ça sur leurs sentiments.
    Je recommande ces livres au système de magie très bien trouvé à TOUS les amateurs de fantasy et même aux autres !

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  15. Je trouves dommage que les critiques de livres soient si souvent négatives. C'est vrai quoi, ça fait genre "oh, moi j'en ai tellement lu que je suis trop blasé". Je suis désolée, mais ça va faire 30 ans que je lis de la SF sous toutes ses formes, tous les genres et toutes les catégories, et je trouve toujours un intérêt à chaque histoire. (Sauf cas très exceptionnellement rare). Je suis bon public, oui, car toute œuvre littéraire a son originalité, sa personnalité, sa vision des choses, son écriture. C'est toujours un plaisir de découvrir ce que les auteurs ont a offrir, et cette œuvre-là m'a plut. Chaque volume a son intérêt et approfondit l'histoire. Les redondances peuvent se justifier, et les "coeurs-coeurs" sont aussi nécessaires que tous les reste. Biensur que les amours impossibles entre 2 clans opposés c'est aussi vieux que "Roméo et Juliette", et alors ? si ça marche encore avec "Twilight" aujourd'hui c'est justement parce que c'est un thème universel et intemporel qui ne s'épuise jamais. La magie est bien trouvée, et (peut-être est-ce la scientifique en moi qui parle) mais justement cette rigueur me parle d'avantage que d'autres formes de magies venues de nulle part. Et j'ai lu suffisamment de romans noirs pour également apprécier les bons sentiments, ça fait du bien. De toute façon, quelque soit la prouesse d'un auteur, il ne plaira jamais à tous, c'est humainement impossible. Alors mon conseil : lisez tout, et prenez ce que vous avez à y prendre ! Bises à vous, et bonne continuation =)

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